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& pour le donner à chaque perfonné dans fon portrait. Mais le Peintre ha bile fçait donner à chacun dans for portrait l'air & l'attitude qui lui font propres, en vertu de fa conformation Le Peintre habile a le talent de difeerner le naturel qui eft toujours varié Ainfi la contenance & l'action des per fonnes qu'il peint, font toujours va◄ riées. L'expérience aide encore beau coup à trouver la différence qui est réellement entre des objets qui au premier coup d'œil nous paroiffent les mêmes. Ceux qui voyent des Negres pour la premiere fois croyent que tous les vifages des Negres font prefque femblables; mais à force de les voir, ils trouvent les vifages des Negres aufli différens entre eux que le font les vifages des hommes blancs. Voilà pourquoi Moliere a trouvé plus d'originaux parmi les hommes, quand il a été à l'âge de cinquante ans, qu'il n'en trouvoit lorfqu'il n'avoit encore que quarante ans. Je reviens à ma propofition, c'eft qu'il ne s'enfuit pas que tous les fujets de Comédie foient épui fés, de ce que les perfonnes qui n'ont point de génie pour la Comédie

que

n'ont pas étudié les hommes par le côté que la Comédie doit les étudier, n'en peuvent pas indiquer de nouveaux, liri

Le commun des hommes eft donc bien capable de reconnoître un carac tere, lorfque ce caractere a reçu fa forme & fa rondeur théâtrale; mais tant que les traits propres à ce caractere, & qui doivent fervir à le deffiner, demeu rent hoyés & confondus dans une infi. nité de difcours & d'actions que les bienféances, la mode, la coutume, la profeffion & l'intérêt font faire à tous les hommes à peu près du même air, & d'une maniere fi uniforme que leur caractere ne s'y décele qu'impercepti blement, il n'y a que ceux qui font nés avec le génie de la Comédie, qui puisfent les difcernes. Eux feuls peuvent dire quel caractere refulteroit de ces traits, fi ces traits étoient détachés des actions & des difcours indifférens, fi ces traits, rapprochés les uns des au tres étoient immédiatement réunis entr'eux. Enfin difcerner les caracteres de la Nature, c'eft invention. Ainfi l'homme qui n'eft pas né avec le génie de la Comédie, ne les fçauroit démêler; comme celui qui n'eft pas né

avec le génie de la Peinture, n'eft pas capable de difcerner dans la Nature quels font les objets les plus propres à être peints! Quàm multa vident Pictores in umbris, & in eminentia, quæ nos non videmus! Combien de chofes un Peintre n'obferve-t'il pas dans un incident de lumiere que nos yeux n'apperçoivent point, dit Cicéron. (a)

Je conclus donc que les Peintres & les Poëtes qui tiennent leur vocation aux Arts qu'ils profeffent, du génie, & non pas de la néceffité de fubfifter, trouveront toujours des fujets neufs dans la Nature. Pour parler figurément, leurs devanciers ont encore laiffé plus de marbre dans les carrieres qu'ils n'en ont tiré pour le mettre en œuvre. (a) Acad. Quæft. lib. IV.

SECTION XXVIII.

De la vraisemblance en Poëfie. LA premiere regle que les Peintres

& les Poëtes foient tenus d'obferver en traitant le fujet qu'ils ont choifi

c'eft de n'y rien mettre qui foit contre la vraisemblance. Les hommes ne fçauroient être guere touchés d'un événement qui leur paroît fenfiblement impoflible. Il eft permis aux Poëtes comme aux Peintres qui traitent les faits hiftoriques, de fupprimer une partie de la vérité. Les uns & les autres peuvent ajouter à ces faits des incidens de leur invention:

Ficta potes multa addere veris,

dit Vida. On ne traite point de menteurs les Poëtes & les Peintres qui le font. La fiction ne palle pour meníonge que dans les ouvrages qu'on donne pour contenir exactement la vérité des faits. Ce qui feroit un menfonge dans l'hiftoire de Charles VII, ne l'eft pas dans le Poëme de la Pucelle. Ainfi le Poëte qui feint une aventure honorable à fon Héros pour le rendre plus grand, n'eft pas un impofteur, quoique l'Hiftorien qui feroit la même chofe, pafsâr pour tel. On n'a rien à reprocher au Poëte, fi fon invention ne choque point la vraisemblance, & fi le fait qu'il imagine, eft tel qu'il ait pû arriver véritablement. Parlons d'a

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bord du vraisemblable en Poëfe. Un fait vraisemblable eft un fait poffible dans les circonstances où on le fait arriver. Ce qui eft impoffible en ces circonstances, ne fçauroit paroître vraisemblable. Je n'entends pas ici par imponible ce qui eft au-deffus des forces humaines, mais ce qui paroît im→ poffible, même en le prétant à toutes les fuppofitions que le Poëte fçauroit faire. Comme le Poëte elt en droit d'exiger de nous que nous trouvions poffible tout ce qui paroiffoit poffible dans les tems où il met fa fcène, & ou il tranfporte en quelque façon fes lecteurs, nous ne pouvons point, par exemple, l'accufer de manquer à la vraisemblance, en fuppofant que Diane enleve Iphigénie pour la tranfpor-ter dans la Tauride, dáns le moment qu'on alloit facrifier cette Princesse. L'événement étoit poffible, fuivant la théologie des Grecs dé ce tems-là,

Après cela que des perfonnes plus: Hardies que moi, ofent marquer les bornes entre la vraifemblance & le merveilleux, par rapport à chaque genre de Poëfie, par rapport au tems où l'on fuppofe que l'événement efti Lw

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