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Reflexions critiques fuppofés dans une certaine fituation; & en tirant de fon génie les traits les plus propres à bien exprimer ces fentimens. Voilà ce qui diftingue le Poëte d'un Hiftorien, qui ne doit point orner fes récits de circonstances tirées de fon imagination y qui n'invente pas des fituations pour rendre les événemens qu'il narre plus intéreflans, & à qui mêmeil eft rarement permis d'exercer fon génie, en lui faifant produire des fentimens convenables a fes perfonnages pour les leur préter. Les difcours que leogrand Corneille fait tenir à Cefar dans la more de Pompée, font une meilleure preuve de l'abondance de faveine

de la fublimité de fon imagination; que l'invention des allégories du Prologue de la Toifon d'or.lt

Il faut avoir unel imagination plus féconde & plus jufte, pour imaginer & pour rencontrer les traits dont la Nature fe fert dans l'expreflion des paflions, que pour inventer des figures en blemati→ ques. On produit tant qu'on veut deces fymboles par le fecours de deux ou trois livres qui font des fources intariables de pareils polifichers au lieu qu'il faut avoir une imagination fertile, & quị

foit guidée encore par une intelligence fage & judicieufe, pour réuffir dans l'ex preffion des pallions, & pour y peindre avec vérité leurs fymptômes.

Mais, diront les Partisans de l'efprit, ne doit il pas y avoir plus de mérite à inventer des chofes qui ne furent jamais penfées, qu'à copier la Nature, ainfi que fait votre Peintre, qui excelle dans l'expreffion des paffions? Je leur réponds qu'il faut fçavoir faire quelque chofede plus que copier fervilement la Nature, ce qui eft déja beaucoup pour donner à chaque paffion fon caractere convenable & pour bien exprimer les fentimens de tous les perfonnages d'un tableau. IL faut, pour ainsi dire, fçavoir copier la Nature fans la voir. Il faut pouvoir imaginer avec jufteffe quels font les mouve mens dans des circonftances où on ne la vit jamais. Eft-ce avoir la Nature devant les yeux que de deffiner d'après un modéle tranquille, lorfqu'il s'agit de peindre une tête où l'on découvre de l'amour à travers la fureur de la jaloufie? On voitt bien une partie de la Nature dans fon modele, mais on n'y voit pas ce qu'il y a de plus important par rapport au fujet qu'on peint. On voit bien le fujet que la

paffion doit animer, mais on ne le voit point dans l'état où la paffion doit le réduire, & c'eft dans cet état qu'il le faut prendre. Il faut que le Peintre applique encore à la tête qu'il fait ce que les livres difent en général de l'effet des paffions fur le vifage, & des traits aufquels elles y font marquées. Toutes les expreffions doivent tenir du caracterede tête qu'on donne au perfonnage qu'on représente agité d'une certaine paffion. Il faut donc que l'imagination de l'ouvrier fupplée à tout ce qu'il y a de plus difficile à fairedans l'expreffion, à moins qu'il n'ait dans fon attelier un modèle encore plus grandComédien queBaron.

SECTION X X V.

Des perfonnages & des actions allégori ques par rapport à la Poëfie. PARLON ARLONS préfentement de l'ufage qu'on peut faire en Poëfie des perfonnages & des actions allégoriques. Les perfonnages allégoriques que la Poëfie employe font de deux efpeces. Il en eft de parfaits, & d'autres que nous appellerons imparfaits. It

Les perfonnages allégoriques parfaits font ceux que la Poëfie crée entiérement, aufquels elle donne un corps & une ame, & qu'elle rend capables de toutes les actions, & de tous les fentimens des hommes. C'eft ainsi que les Poëtes ont perfonnifié dans leurs vers la Victoire, la Sageffe, la Gloire, en un mot, tout ce que nous avons dit que les Peintres avoient perfonnifié dans leurs tableaux.

Les perfonnages allégoriques imparfaits font les Etres qui exiftent déja réellement, aufquels la Poëfie donne la faculté de penfer & de parler qu'ils n'ont pas, mais fans leur prêter une exiftence parfaite, & fans leur donner un être tel que le nôtre. Ainfi la Poëfie fait des perfonnages allégoriques imparfaits, quand elle prête des fentimens aux bois, aux fleuves, en un mot quand elle fait penfer & parler tous les êtres inanimés, ou quand, élevant les animaux au-deffus de leur fphere, elle leur prête plus de raifon qu'ils n'en ont, & la voix articulée qui leur manque. Ces derniers perfonnages allégoriques font le plus grand ornement de la Poëfie, qui n'est jamais fi pompeufe, que lorfqu'elle anime &

qu'elle fait parler toute la Nature. C'est en quoi confifte le fublime du Pfeaume In exitu Ifrael de Egypto, & de quelques autres, dont les perfonnes de goût font aufli touchées que des plus beaux endroits de l'Iliade & de l'Enéïde. Mais ces perfonnages imparfaits ne font point propres à jouer un rôle dans l'action d'un Poëme, à moins que cette action ne foit celle d'un Apologue Ils peuvent feulement,comme spectateurs, prendre part aux actions des autres perfonnages, ainfi que les Choeurs prenoient part aux Tragédies des Anciens.

Je crois qu'on peut traiter dans la Poë. fie les perfonnages allégoriques parfaits, comme nous les avons traités dans la Peinture. Ils n'y doivent pas jouer un des rôles principaux d'une action, mais ils y peuvent feulement intervenir, foit comme les attributs des perfonnages principaux, foit pour exprimer plus noblement, par le fecours de la fiction, ce qui paroîtroit trivial, s'il étoit dit fimplement. Voilà pourquoi Virgile perfonnifie la Renommée dans l'Enéïde. On remarquera que ce Poëte fait entrer dans fon ouvrage un petit nombre de perfonnages de cette efpeces

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