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toutes les Comédies compofées dans des mœurs étrangeres, avec lesquelles on auroit voulu l'amufer. En effet, à moins que de connoître l'Efpagne & les Espagnols (connoiffance qu'un Poëte n'eft pas en droit d'exiger du fpectateur) on n'entend pas le fin de la plupart des plaifanteries de ces piéces. Combien y a-t'il de fpectateurs qui ne comprennent pas la moitié des plaifanteries de Dom Japhet? celle, par exemple, qui roule fur le reproche que les Caftillans qui prononcent bien & nettement, font aux Portugais qui prononcent mal, & qui mangent une partie des fyllabes: Ce font les guenons qui parlent Portugais.

Nous avons eu depuis quatre-vingt ans deux différentes troupes de Comédiens Italiens établis à Paris. Ces Comédiens ont été obligés de parler François ; c'eft la langue de ceux qui les payent. Mais comme les piéces Italiennes qui ne font point compofées dans nos mœurs, ne peuvent amufer le public, les Comédiens dont je parle ont encore été obligés de jouer des piéces écrites dans les mœurs Françoifes. Les premiers Auteurs Anglois

qui mirent en leur langue les Comédies de Moliere, les traduifirent mot à mot. Ceux qui l'ont fait dans la fuite, ont accommodé la Comédie Françoise aux mœurs Angloifes. Ils en ont changé la fcène & les incidens, & elles en ont plu davantage. C'est ainsi que Monfeur Wycherley en ufa, lorfqu'il fit du Mifantrope de Moliere fon Homme au franc procédé, qu'il fuppofe être un Anglois & homme de mer.

Nos premiers faifeurs d'Opera fe font égarés, ainfi que nos Poëtes Comiques, pour avoir imité trop fervilement les Opera des Italiens de qui nous emprun tions ce genre de fpectacle, fans faire attention que le goût des François ayant été élevé par les Tragédies de Corneille & de Racine, ainfi que par les Comédies de Moliere, il exigeoit plus de vraisemblance, qu'il demandoit plus de régularité & plus de dignité dans les Poëmes dramatiques, qu'on n'en exige au-delà des Alpes. Auffi nous ne fçaurions plus lire aujourd'hui fans dédain l'Opera de Gilbert, & la Pomone de l'Abbé Perrin. Ces piéces écrites depuis foixante-huit ans, nous paroiffent des Poëmes gothiques compofés cing

ou fix générations avant nous. Monfieur Quinault, qui travailla pour notre théâtre Lyrique après les Auteurs que j'ai cités, n'eut pas fait deux Opera, qu'il comprit bien que les perfonnages de bouffons, effentiels dans les Opera d'Italie, ne convenoient pas dans des Opera faits pour des François. Thefée eft le dernier Opera où Monfieur Quinault ait introduit des bouffons; & le foin qu'il a pris d'annoblir leur caractere, montre qu'il avoit déja fenti que ces rôles étoient hors de leur place dans des Tragédies faites pour être chantées, autant que dans des Tragédies faites pour être décla

mées.

Il ne fuffit pas que l'Auteur d'une Comédie en place la fcène au milieu du peuple qui la doit voir repréfenter, il faut encore que fon fujet foit à la portée de tout le monde, & que tout le monde puiffe en concevoir fans peine le nœud, le dénouement, & entendre la fin du dialogue des perfonnages. Une Comédie qui roule fur le détail d'une profeffion particuliere, & dont le Public, généralement parlant, n'est pas inftruit, ne fçauroit réuffir z

Nous avons vu échouer une Comédie, parce qu'il falloit avoir plaidé longtems pour l'entendre. Ces farces, dont le fujet éternel eft le train de vie de gens de mauvaises mœurs & d'un certain étage, font autant contre les regles que contre la bienféance. Il n'eft qu'un certain nombre de perfonnes qui ayent affez fréquenté les originaux dont on expofe des copies, pour juger fi les caracteres & les événemens font traités dans la vraisemblance. On fe laffe de la mauvaise compagnie fur le théâtre, comme on s'en laffe dans le monde, & l'on dit des Poëtes de pareilles piéces, ce que Defpréaux dit du fatyrique Regnier.

SECTION XXII.

Quelques remarques fur la Poëfie Paftorale &fur les Bergers des Eglogues.

LA

A fcène des Poëmes Bucoliques doit toujours être à la campagne, du moins elle ne doit être ailleurs que pour quelques momens: En voici la

raifon. L'effence des Poëmes Bucoliques confifte à emprunter des prés, des bois, des arbres, des animaux, en un mot, de tous les objets qui parent nos campagnes, les métaphores, les comparaisons & les autres figures dont le ftyle de ces poemes eft fpécialement formé. Il faut donc fuppofer que les Interlocuteurs des Poëlies Paftorales ayent ces objets devant leurs yeux. Le fonds de ces especes de tableaux doit toujours, pour ainfi dire, être un payfage. Ainfi les actions violentes & fanguinaires ne fçauroient être le fujet d'une Eglogue. Des perfonnages agités par des paffions furieufes & tragiques doivent être infenfibles aux beautés ruftiques. Il feroit entierement contre la vraisemblance qu'ils fiffent affez d'attention fur les objets qui fe préfentent à la campagne, pour en tirer leurs fi gures. Un Général qui donne une bataille, fait-il réflexion fi le terrein qu'il fait occuper par fon corps de réserve, feroit propre pour y affeoir une maifon de campagne ?

Je ne crois pas qu'il foit de l'effence de l'Eglogue de ne faire parler que des amoureux. Puifque les Bergers d'Egyp:

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