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DE PHILOSOPHIE.

THEODICEE, MORALE,

ET

HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE.

ABSOLU (THEORIE DE L'). Voy. SCHEL

LING.

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ACTE DE FOI. Voy. SURNATurel. ALEXANDRIE (ECOLE D'). L'école d'Alexandrie est tout à la fois une école mystique et une école éclectique. Elle réunit ainsi les deux doctrines qui conviennent le mieux à une école destinée à clore une période importante de l'histoire : le mysticisme, parce qu'après avoir épuisé tous les systèmes, et en avoir tiré d'abord le scepticisme, l'esprit humain n'a plus d'autre ressource qu'une foi enthousiaste et des vérités intuitives; l'éclectisme, parce que ce soin scrupuleux de tout recueillir et de tout concilier est le signe tout à la fois d'une civilisation extrême et de l'absence d'originalité. L'école d'Alexandrie n'en a pas moins été une grande école, venue en son temps, digne de sa tâche immense (1). Au moment où la civilisation grecque va périr, elle la reproduit pour ainsi dire tout entière, et lutte contre l'esprit nouveau avec toutes les forces du passé réunies. L'éclectisme alexandrin n'aspire pas seulement à réconcilier tous les systèmes de la Grèce, et parmi eux, les deux systèmes fondamentaux de Platon et d'Aristote. C'est une alliance de l'esprit grec et de l'esprit oriental, de la philosophie et des religions. Des vues élevées, une érudition universelle, des ressources infinies pour réunir et concilier les principes les plus divers,tels sont les mérites de cet éclectisme, dont le défaut capital est l'absence d'une critique sévère.

L'école d'Alexandrie, comme toute école mystique, est avant tout préoccupée de la nature de Dieu, et la manière dont elle le conçoit garde la trace de sa double méthode. Le dieu des Alexandrins est en effet le dicu

A

actif et organisateur du Timée, le dieu de la Métaphysique absorbé dans la contemplation de lui-même, et cette Unité absolue des Eléates, que Platon voyait au bout de la dia lectique, et devant lequel il reculait. Trop éclairés pour ne pas voir toutes les conditions du problème philosophique, les Alexandrins ne voulaient sacrifier ni cette vertu efficace et productrice sans laquelle Dieu n'est plus qu'une hypothèse inutile, ni cette immobilité de l'intelligence, qui place l'intelligence parfaite au-dessus de tout mouvement, ni cette distinction profonde de la perfection par essence et de tout le reste des êtres qui plaçait la nature de Dieu dans une région presque inaccessible, au-dessus même du premier des universaux. Mais, une fois cette triple forme de la Divinité admise, ils se trouvaient en présence de deux difficultés insolubles : la première, c'est l'impossibilité de concevoir cette unité supérieure de l'être, et, par conséquent, ineffable et non existante; la seconde, c'est la contradiction qui existe entre ces déterminations diverses de la nature d'un même Dieu. En effet, quand les Alexandrins admettent l'unité éléatique, ils excluent l'être de la nature divine; quand ils proclament avec Platon et Aristote que Dieu est l'intelligence première, ils font, au contraire, de Dieu l'être même, puisqu'il y a identité entre l'intelligence et l'être. De plus, l'immobilité de l'intelligence divine est démontrée par l'incompatibilité de la perfection et du mouvement, tandis qu'on affirme d'un autre côté que Dieu, sans cesser d'être parfait, est la cause mobile du mouvement. Pour sortir de cette difficulté, les Alexandrins entreprennent de diviser la nature de Dieu, sans cependant en faire trois dieux; et prenant aux théogonies

(1) Voy l'Histoire de l'école d'Alexandrie, par M. Jules Simon, 2 vol. in-8; Paris, 1844, 1845. DICTIONN. DE Philosophie III.

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orientales leurs mystérieuses trinités, et aux pythagoriciens leurs formules numériques, ils donnent pour cause à tout ce qui est, un Dieu unique, en trois hypostases inégales, savoir l'unité ou l'absolu, l'intelligence ou l'être en soi, l'âme ou le moteur mobile. Mais cette trinité hypostatique n'est pas plus intelligible que la première des trois hypostases dont elle se compose. La raison humaine affirme donc nécessairement que la nature de Dieu ainsi conçue est deux fois contradictoire. Il en résulte de deux choses June: c'est qu'il faut renoncer à l'hypothèse même de la trinité hypostatique, ou à l'infaillibilité de la raison, et c'est ce dernier parti que prennent les Alexandrins.

Ils ne disent pas, d'une façon absolue, que la raison est trompeuse, car, s'ils le disaient, que deviendrait leur éclectisme? Ils admettent la raison, mais dans une certaine mesure, c'est-à-dire en plaçant au-dessus d'elle une faculté supérieure qui, non-seulement la dépasse, mais même la contredit. Au fond, c'est nier la raison; et cette subordination est tout simplement impossible, car la raison est absolument vraie, ou elle est absolument fausse. Cette contradiction n'arrête pas les Alexandrins; elle ne leur vient pas même à l'esprit. Ils démontrent sans hésiter, par le moyen de la raison, l'existence d'un Dieu dont la nature contredit positivement la raison.

Quant à cette faculté supérieure à la raison, que serait-ce, sinon l'extase? L'extase est donc, suivant eux, un état de l'esprit pendant lequel nous entrons en communion immédiate avec l'absolu, et le connaissons intimement sans l'intervention de la raison, et par une intuition supérieure. Cette intuition de la vérité absolue existe en effet, comme les Alexandrins le prétendent; elle n'est pas due à l'extase, car l'extase n'est pas une faculté spéciale, mais un certain état de nos facultés intellectuelles et sensibles; elle n'est pas en contradiction avec la raison, car la raison est souveraine, et conséquemment, tout ce qui la contredit est faux de toute fausseté. Loin d'être en contradiction avec la raison, cette intuition de l'absolu est la raison elle-même, que les Alexandrius ne comprennent pas quand ils l'étudient, et qu'ils trouvent ensuite sans la reconnaître. L'erreur qu'ils commettent sur la raison, lorsqu'ils la décrivent, les trompe sur la nature du premier moteur, et sur celle de l'intelligence; et l'erreur qu'ils commettent sur la raison, lorsqu'ils la confondent avec l'extase, les trompe sur la nature de l'absolu. Cette fausse distinction de deux facultés, où en réalité il n'y en a qu'une, rend nécessaire le dogme de la trinité hypostatique, et en même temps le rend possible, puisque le principe de contradiction est un principe de la raison, que l'extase, faculté supérieure, peut violer impunément. Mais dès que l'on rend à la raison sa nature et son autorité, ce dogme, qui implique une contradiction dans les termes, devient impossible, et, du même coup, inutile.

Au reste, si l'extase n'a pas ce caractère que les Alexandrins lui attribuent, elle est cependant un phénomène réel, qui se produit à de certains moments et dans certaines âmes, dont les causes, la nature et les effets méritent d'être étudiés, et que les Alexandrins ont analysé, malgré leurs fautes, avec profondeur et subtilité. C'est encore là un des titres de cette école, et l'on ne doit pas être surpris de la voir exceller dans la description d'un phénomène psychologique. C'est le propre de toute école mystique de marquer la trace de son passage dans la psychologie. Les mystiques dédaignent la raison, comme trop subjective; mais quand ils cherchent à saisir quelque chose au delà des conceptions de la raison, c'est en eux-mêmes qu'ils voient ce qu'ils croient voir dans l'absolu. Ainsi, leur dédain pour ce qu'il y a de moins personnel dans l'homme, les conduit à s'absorber, à leur insu, dans ce qu'il y a au contraire de plus individuel, c'est-àdire dans la sensibilité.

Le caractère essentiel qu'ils attribuent à l'extase, celui qui, suivant eux, la rend supérieure à la raison, en lui ôtant le caractère de subjectivité qui fait l'infirmité de la raison humaine, c'est l'identification, dans l'extase, de la pensée et de son objet. Ainsi, quand nous percevons l'unité absolue, au moment où elle nous est dévoilée, nous ne faisons qu'un avec elle. Une des conditions de la possibilité de l'extase est donc la nonpermanence des essences individuelles, puisque je puis, par l'extase, cesser d'être moi, et le redevenir. Cette théorie de la trinité hypostatique contribue aussi à leur faire considérer les différences qui séparent les êtres comme accidentelles, et pour ainsi dire comme révocables; car il est également vrai de dire, par exemple, que la première hypostase est autre chose que la seconde, et que ces deux hypostases sont une seule et inême chose. Cette manière d'envisager la distinction des individus contient l'explication de leur système du monde. Le monde est un ensemble de phénomènes qui se distinguent de Dieu, et en même temps se confondent en lui. Une force produit un effort; on peut dire, ou que cet effort est la for:e même de cette force et ne fait qu'un avec elle, ou qu'il s'en distingue. Il en est de même, dans le système des Alexandrins, du monde et de Dieu. Le monde sort de Dieu, ou, pour employer l'expression consacrée, il en émane. Cependant, il n'est pas hors de Dieu. Les individus ont une définition, et par conséquent une essence particulière; cependant, ils peuvent perdre cette essence et s'absorber dans l'essence universelle. Deux courants traversent le monde, produisent et absorbent la vie, et en même temps l'expliquent l'un est la série des émanations, qui va de l'un au multiple, du parfait à l'imparfait par une série infinie d'intermédiaires; l'autre est la loi du retour, par laquelle tout être aspire à remonter à sa source, à moins qu'il ne soit dépravé, et finalement à rentrer dans le sein de Dieu.

Tels sont, avec une morale pure et digne de l'école de Platon, les caractères principeux de la philosophie Alexandrine; mais chaque philosophe a, dans l'école, sa doctrine particulière. Le fondateur de l'école d'Alexandrie est Ammonius Saccas (2), qui eut pour disciples Plotin (3), Origène (4), Longin (5), Erennius. Plotin est le plus illustre ses Ennéades sont le plus beau monument du mysticisme alexandrin (6). Après Jui Porphyre, érudit, disert, plein de sagacité et de modération, moins enthousiaste que son maître Plotin, donna plus à la raison qu'au mysticisme (7). Jamblique (8), au contraire, est plus mystique encore que Plotin, ou plutôt ce n'est déjà plus du mysticisine, c'est une crédulité aveugle et une tendance de plus en plus prononcée à obtenir la connaissance de l'absolu, plutôt par des évocations et des cérémonies que par la force de la pensée et l'ardeur des aspirations. Théodore continue l'influence de Porphyre mais les disciples de Jamblique, Sopater, Edésius, Maxime entraînent définitivement l'école à la théurgie. L'empereur Julien est le disciple d'Edésius (9). L'école d'Athènes n'est qu'un développement nouveau sur un autre théâtre de la philosophie alexandrine. Syrien, et surtout Proclus, en sont les maîtres les plus illustres (10). C'est la même philosophie, sous une forme plus savante et plus littéraire. Les écrivains d'Athènes et d'Alexandrie produisent presque tous leurs doctrines sous la forme de commentaires des dialogues de Platon. Poussant le principe de l'éclectisme à l'absurde, loin de chercher l'originalité, ils la repoussent, et prétendent retrouver leurs doctrines dans toutes les écoles antérieures.

L'école d'Alexandrie, fondée deux cents ans après la venue de Jésus-Christ, attachée Bux croyances, aux arts et aux mœurs de la Grèce, lutte dans les commencements contre l'influence croissante du christianisme. Quand les Chrétiens, opprimés d'hier, obtiennent la liberté, et aussitôt après l'empire, les Alexandrins se sentent et sont réellement vaincus avec les dieux du paganisme, qui pourtant ne sont pour eux que des symboles. lis relèvent un instant la tête, quand Julien, dont ils ont causé l'apostasie, monte sur le trône; mais la réaction fut terrible. Un décret de Justinien ferma les écoles d'Athènes en 519. Ce qui restait des successeurs de Plotin, de Porphyre et de

(2) Ammonius Saccas a été précédé lui-même par Potamon, qui jeta les premiers fondements de l'éclectisme.

(3) Plotin, né à Lycopolis, mort la deuxième année du règne de Claude, à l'âge de 66 ans.

(4) Il ne faut pas confondre cet Origène avec l'Origène chrétien.

(5) Plotin disait de Longin, qu'il était plutôt philologue que philosophe. Longin était en effet un critique illustre, quoique le Traité du Sublime, qu'on lui a attribué, ne soit pas de lui.

(6) Edition complète des Ennéades, Oxford, 1835, 3 vol. in-4, par M. Creutzer, avec des notes de l'éditeur, et la traduction de Marsile Ficin.

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AMOUR FILIAL. Voy. FILIAL.

ANIMAUX, leur existence prouve un Dieu créateur. Voy. DIEU (Preuves de son exislence). Voy. aussi EXISTENCe de Dieu.

ANIMISME (d'anima, âme). - Système médico-psychologique qui explique les phénomènes de la vie et de la maladie par l'action de l'âme, au lieu de les rapporter à

des

causes purement physiques ou chimiques. Cette doctrine, dont l'archée de VanHelmont paraît être le germe, a été soutenue au XVIIIe siècle par le célèbre Stahl, professeur à l'université de Halle; elle se retrouve, avec quelques modifications, dans le thème du principe vital de l'école de Montpellier, de Barthez, Bordeu, etc. Elle compte aujourd'hui de chauds partisans et puise de solides arguments dans l'influence incontestable du moral sur le physique.

Une fois mis en présence, ces deux principes immatériels, l'âme et la vie, l'un donné par la conscience et par la psychologie, l'autre par l'induction et la physiologie, il s'agit de savoir si réellement ils sont deux, ou bien si le second n'est pas simplement une puissance du premier, comme l'ont pensé une foule de philosophes, de médecins et de théologiens anciens et modernes.

§ I.

L'essence même de l'âme, voilà notre premier argument en faveur de l'animisme.

Ce n'est pas assez d'avoir rendu l'activité à l'âme, et de l'avoir définie par la force, il faut attentivement considérer toutes les suites de cette définition par rapport à son union avec le corps. C'est ce que n'ont pas

(7) Porphyre, né 232 ans après Jésus-Christ. Il avait pour condisciple, à l'école de Plotin, Amélius, dont les écrits ne nous sont pas parvenus.

Voyez sur Porphyre un Mémoire de M. Parisot, en latin, 1 vol. in-8; Paris, 1845.

(8) Jamblique de Chalcis en Célésyrie, disciple de Porphyre.

(9) Julien est né en 331 à Byzance.
(40) Proclus est né à Byzance en 412.

Voy. sur Proclus un Mémoire de M. BERGER, intitulé Proclus, exposition de sa doctrine, Paris, 1840; et un Mémoire de M. Jules SIMON, intitulé: Du commentaire de Proclus sur le Timée de Platon, Paris, 1839.

fait Maine de Biran et Jouffroy, qui, tons deux, après avoir restitué à l'âme son activité essentielle, la supposent néanmoins inerte et impuissante à l'égard de tous les organes, à l'exception de ceux du mouvement volontaire. Pe ce que l'âme est une force, et de ce qu'elle est jointe au corps, ne suit-il pas que son action doit s'étendre sur le corps tout entier? La façon dont les forces extérieures se comportent, d'après la mécanique, la physique on la chimie, peut nous aider à comprendre comment l'âme elle même, en qui est le type d'après lequel nous concevons toutes ces forces, doit se comporter à l'égard du corps. Quelle est la nature et quelle est la loi d'une force? C'est l'action incessante, l'action sans relâche; cesser d'agir pour une force, c'est cesser d'être. Mais jusqu'où s'étendra l'action de telle ou telle force en particulier? Elle n'a de bornes que celles du corps lui-même sur lequel elle agit. L'action de la pesanteur, de l'électricité, des affinités chimiques, n'est pas concentrée sur quelques parties d'un corps, elle s'exerce plus ou moins sur toutes sans exception; elle est à l'intérieur comme à la surface, au centre comme aux extrémités, partout présente, partout agissante, quoiqu'à des degrés divers. Ainsi, l'action de l'âme s'étendra-t-elle au corps tout entier, auquel elle est unie, sans en excepter aucune de ses molécules.

Si une âme purement pensante, incapable de toute action sur le corps, sans nul lien avec lui, enfermée dans son enceinte, comme un prisonnier dans son cachot, ou comme un oiseau dans sa cage, est la plus grande des chimères; une âme douée d'une activité essentielle et néanmoins impuissante, sinon sur le corps tout entier, au moins sur le plus grand nombre de ses parties, quoique, étant unie également avec les unes comme avec les autres, est aussi une chimère et même une contradiction. On comprend mieux cette action d'une manière absolue, que ceux qui la circonscrivent d'une façon si arbitraire, faisant mouvoir le corps, ici par l'âme, là par un autre principe.

D'ailleurs, comment concevoir qu'une seule des parties du corps échappe à son empire, puisque toutes forment par leur en chaînement et leur connexion un seul tout, un organe unique? Descartes et les Cartésiens eux-mêmes, quoique peu enclins, on le sait, à exagérer le lien qui unit l'âme et le corps, soutiennent néanmoins l'union intime de l'âme avec toutes ses parties. Descartes prouve que l'âme est jointe à tout le corps, qui est un et en quelque sorte indivisible.

« L'âme, dit-il, est jointe à tout le corps, et elle n'est pas dans quelqu'une de ses parties à l'exception des autres, à cause qu'il est un et en quelque façon indivisible, à raison de la disposition de ses organes qui se rapportent tellement l'un à l'autre que,

(11) Traité des Passions, art. 30: ‹ Que l'âme est unie à toutes les parties du corps conjointement,›

lorsque quelqu'un d'enx est ôté, cela rend tout le corps défectueux; et à cause qu'elle' est d'une nature qui n'a aucun rapport à l'étendue ni aux dimensions et aux autres propriétés de la matière dont le corps est composé, mais seulement à tout l'assemblage de ses organes; comme il paraît de ce qu'on ne saurait concevoir la moitié ou le tiers d'une âme, ni quelle étendue elle occupe, et qu'elle ne devient pas plus petite de ce qu'on retranche quelque partie du corps, mais qu'elle s'en sépare entièrement lorsqu'on dissout l'assemblage de ses organes (11). »

Bossuet, qui s'inspire de saint Thomas, non moins que de Descartes, exprime avec plus de force encore ce lien nécessaire de l'âme avec toutes les parties du corps.

« Le corps, dit-il, n'est pas un simple instrument appliqué par le dehors, et l'âme, de son côté, doit être unie au corps en son tout, parce qu'elle lui est unie comme à un seul organe, parfait dans sa totalité ... L'âme et le corps ne font ensemble qu'un tout naturel, et il y a entre les parties une parfaite et nécessaire communication. » Plus loin il ajoute : « Le corps, à le regarder comme organique, est un par la proportion et la correspondance de ses parties, de sorte qu'on peut l'appeler un même organe, de même, et à plus forte raison qu'un luth ou un orgue est appelé un seul instrument (12). »

Mais comme il s'agit du corps, consultons plutôt les anatomistes et les physiologistes que les philosophes. Or les plus habiles physiologistes de notre temps nous apportent une preuve nouvelle en faveur de cette unité de toutes les parties du corps, à s&voir, l'unité du système nerveux, qui est l'organe essentiel de la vie, soit de la vie intellectuelle, soit de la vie sensitive et végé tative.

Jusqu'à nos jours les physiologistes avaient cru que le nerf grand sympathique, organe de la vie organique, était indépen dant du système nerveux de la vie de relation. Les renflements ganglionnaires étaient considérés comme des espèces de cerveaux capables de développer la force nerveuse et de la communiquer aux viscères, sans aucun concours du cerveau et de la moelle épinière. A la sensibilité organique on attribuait des nerfs d'une nature et d'une couleur particulières, des nerfs gris opposés aux nerfs blancs de la vie de relation, les uns et les autres tirant leur origine de points différents de la moelle épinière ou du cerveau. C'est sur la prétendue indépendance de ces deux ordres de nerfs que Bichat fondait sa distinction de deux vies, de la vie de relation ou vie animale et de la vie organique. Mais, depuis Bichat, la physiologie a réuni, grâce au progrès de l'anatomie, ce que d'abord, à première vue, elle avait séparé. « Anjourd'hui, dit M. Longet, la plupart des physio

(12) Connaissance de Dieu et de soi-même.

logistes regardent ce concours comme indispensable, et voient dans le grand sympathique un appareil nerveux qui, à l'aide d'innombrables racines, tire surtout son influence de l'axe cérébro-spinal (13).

Les plus babiles physiologistes et, en particulier, M. Cl. Bernard, reconnaissent et professent, avec M. Longet, cette unité du système nerveux (14). Or, quoi de plus favorable que cette unité de l'organe de la pensée et de la vie à la doctrine de l'unité de leur principe? N'en est-elle pas, pour ainsi dire, comme l'énoncé et la formule physiologique?

Ce que disait M. Royer-Collard du scepticisine par rapport à l'entendement, on pourrait le dire de l'action de l'âme par rapport au corps; sitôt que l'action de l'âme est admise sur un seul point, sur un seul organe, sur un seul muscle, elle envahit nécessairement le corps tout entier, en vertu de la connexion de toutes les parties du corps, en vertu de cette unité du système nerveux. Voici donc la conclusion à laquelle il nous paraît nécessaire d'aboutir l'âme étant une force et non une pensée, il ne se peut qu'elle n'agisse pas continuellement sur le corps; le corps étant un, le corps ne formant qu'un organe unique, il ne se peut qu'elle n'agisse pas sur le corps tout entier.

On voit, sans faire intervenir encore les lumières que la conscience nous fournira, quelles fortes présomptions se tirent, soit de la nature elle-même de l'âme, soit de la nature du corps, en faveur d'une dénomination sans partage, d'une action universelle del'âme sur le corps tout entier; c'est-à-dire en faveur de l'animisme. Le raisonnement que nous venons de faire, fondé sur la nature même de la force, sur l'unité du corps, sur l'unité du système nerveux, recevra une nouvelle confirmation par une observation suffisamment approfondie de ce qui se passe au dedans de nous. Mais avant d'arriver aux arguments psychologiques, nous voulons épuiser les arguments métaphysiques.

A celui de l'unité de la machine du corps, ajoutons l'argument plus décisif de l'unité de la nature humaine, comprenant à la fois l'âme et le corps. Cette unité domine toutes les luttes dont nous sommes le théâtre ; elle nous contraint de tout rapporter en nous à un principe unique, sans lequel elle ne pourrait exister. Mais peut-on supposer

(13) Traité de Physiologie, Paris, 1850, tom. II, p. 370.

(14) Dans le Dictionnaire des sciences médicales, art. SYSTÈME NERVEUX, il est dit que le système nerveux, dans l'état sain, représente un instrument unique. Malgré la diversité d'action de chacune des parties constitutives du système nerveux dit M. Flourens, ce système n'en forme pas moins un système unique. (Recherches sur le système nerveux, Paris, 1842, chap. 12, sur l'unité du système nerveux).

Kolliker rapporte, dans son travail sur la structure des nerfs, des observations qui prouvent qu'on peut suivre assez loin dans la mocile les filets du

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l'identité des causes, hors la ressemblance des effets, sans aller, comme le dit Maine de Biran, contre la véritable méthode de la science des faits? Où il y a des effets radicalement différents, ne faut-il pas supposer des causes différentes?

Jouffroy lui-même a fait voir la fausseté de cette prétendue règle. Combien ne diffèrent pas les phénomènes dits psychologiques, qu'on rapporte au moi, et les phénomènes physiologiques, qu'on rapporte à une seule et même cause, la force vitale? Où est la ressemblance entre la pensée et le sentiment? Où est aussi la ressemblance entre les diverses fonctions des organes, entre la sécrétion de la bile et la circulation du sang, entre l'absorption et l'évaporation, etc. Pour demeurer fidèle jusqu'au bout à la règle invoquée contre l'animisme par Maine de Biran et par l'école de Montpellier, ce ne sont pas seulement deux âmes, deux causes irréductibles qu'il faudrait mettre dans l'homme, mais tout autant qu'il s'y trouve de catégories, de phénomènes différents, soit dans l'ordre de l'âme pensante, soit dans l'ordre de la vie. Autant.il ya de facultés, autant il y aurait d'âmes. Quoi de plus divers en effet que la seusibilité, la volonté et l'intelligence? Je ne sais même s'il ne faudrait pas une âme pour voir, une autre pour entendre, etc. Quant à la règle physiologique, elle se composerait d'autant de causes distinctes qu'il y a d'archées dans Van Helmont, ou de sensibilités particulières dans Bordeu, ou bien d'âmes, d'après ce physiologiste allemand contemporain, Pflüger, qui de chaque renflement du système nerveux, fait un centre particulier de fonctions sensitives on même volontaires. Mais l'unité du moi, l'unité de la vie, s'opposent, chacune de son côté, à un semblable morcellement, non moins que l'unité elle-même de l'homme tout entier s'oppose, suivant nous, au dédoublement de l'âme et de la vie.

Si maintenant nous jetons les yeux en dehors de nous; si nous considérons la méthode, et surtout la tendance actuelle des sciences physiques, nous ne les voyons pas davantage multiplier les causes à proportion de la diversité des phénomènes. Que d'effets, de plus en plus divers, ou même, à ce qu'il senible, opposés, ne voyons-nous pas, au contraire, les physiciens rapporter à une seule et même cause! C'est l'électricité qui

grand sympathique qui y prennent leur origine. MM. Budge et Waller, dans un Mémoire couronné par l'Académie des sciences, ont démontré que les ganglions et les nerfs de la vie végétative ne président pas directement aux mouvements de la pupille, bien qu'ils y distribuent leurs rameaux; ce centre cilio-spinal est dans la moelle elle-même, et les nerfs végétatifs de la pupille en tirent leur origine. M. Faivre a fait voir que chez les insectes, le nerf végétatif de l'intestin n'est qu'une branche des nerfs de la vie animale. Enfin, M. Budge a démontré récemment que la moelle dans sa région iuférieure est centre génital et qu'elle agit par l'intermédiaire du sympathique."

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