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hypothèse, nous n'aurions pas une valeur linéaire infinie, dans la vérité rigoureuse du mot, puisque nous pouvons supposer un ensemble de lignes dont celle-ci ne serait qu'une partie. Mais alors est-elle infinie ou tinie? l'une et l'autre, moyennant la distinction voulue. Elle est infinie, c'est-à-dire nous avons l'idée d'infini ou de négation de limite appliquée à une ligne droite unique; mais si, au lieu d'une ligne droite unique, il s'agit d'une valeur linéaire sans condition, la ligne supposée cesse d'être infinie; ce n'est point sous cette condition que la négation de limite est appliquée; le résultat est et doit être différent.

Que s'il s'agit de deux lignes seules, même anomalie. Soit une droite prolongée à l'intini dans les deux sens, à côté de laquelle nous traçons une courbe se prolongeant à Finfini, parallèlement à la droite, en des ondulations continues. A ne consulter que leur direction, et abstraction faite de leur valeur linéaire, ces deux lignes sont infinies; mais si vous considérez leur valeur linéaire, la ligne courbe est plus longue que la droite. En effet, rectifiez une partie de la coure correspondant à une partie de la ligne droite, elle demeurera plus longue que la droite; or, comme cela se peut faire dans toute la longueur des deux lignes, il suit que la valeur linéaire de la courbe est supérieure à celle de la droite, proportionnelleiuent à la loi de ses ondulations.

Nous voyons par cet exemple comment l'idée de l'infini se peut appliquer en des conditions différentes, et produire, sans contradiction aucune, des résultats différents. Ce qui est intini sous un rapport ne l'est point sous un autre; de là vient ce que l'on appelle ordres d'infinis, lesquels jouent un si grand rôle dans les mathématiques; mais, je le répète, ces contradictions deviennent inexplicables si l'on attribue à l'idée d'infini une valeur absolue; si l'on y voit autre chose que la représentation abstraite de négation de limite.

Est-il possible de concevoir une longueur infinie absolue, c'est-à-dire une valeur néaire à laquelle s'applique d'une manière absolue la négation de limite? Je crois pouvoir répondre négativement. Quelle que soit, en effet, cette ligne, on en pourra toujours maginer d'autres dont la somme, ajoutée à la valeur de la première, donnera une valeur supérieure; contradiction évidente entre la négation de limite et la condition à laquelle on veut soumettre celte négation. Vous exigez une valeur néaire impliquant d'une imanière absolue la négation de limite, et d'autre part, vous exigez que cette valeur linéaire se trouve dans une ligne déterminée, laquelle, par cela même qu'elle est déterminee, exclut la négation absolue de limite: des données contradictoires sont posées dans le problème; le résultat doit être une contradiction.

Que faut-il donc pour concevoir une valeur linéaire absolument infinie? N admettre aucune condition qui exclue la négation abso

lue de limite. Il s'agit ici de distinguer entre le concept pur et l'intuition sensible qui le doit exprimer. Le concept d'une valeur linéaire infinie existe du moment que nous unissons les deux idées générales: valeur linéaire et négation de limite. Il n'est pas aussi facile d'imaginer, même en général, l'intuition sensible représentative de ce concept. Pour y parvenir au moins d'une certaine manière, supposons un espace saus limites: et considérant en général toutes les lignes droites ou courbes que l'on peut y tracer, sous toutes les conditions ou directions, faisons la somme de ces valeurs linéaires; le résultat sera une valeur linéaire absolument infinie, parce que nous lui aurons appliqué la négation de limite sans aucune restriction.

Nous obtiendrons de la même manière une valeur de surface infinie; il est évident, en effet, que l'on peut appliquer à la surface tout ce qui a été dit des valeurs linéaires.

Observons que, dans tous les exemples donnés, nous appliquons la négation de limite à l'étendue considérée uniquement dans quelques-unes de ses dimensions. Une étendue infinie absolue les doit comprendre toutes. L'infini absolu, en tant qu'étendue, est l'étendue dans toutes ses dimensions, l'étendue absolument sans limites. Observons aussi que pour obtenir une valeur de lignes ou de surfaces absolument infinie, nous avons besoin de présupposer une valeur d'étendue absolument intinie.

La première condition implique la seconde.

VIII. Concept d'un nombre infini. Pouvons-nous concevoir un nombre infini?-D'une part, admettre le doute, n'estce point nier la possibilité? De l'autre, nous connaissons et nous pouvons affirmer, sans hésitation, qu'un nombre donné n'est pas infini; or, comment le pourrions-nous si nous n'avions l'idée de nombre infini?

Les observations que nous avons faites. relativement à l'infinité des séries sem bleraient démontrer que cette idée n'est qu'illusion.

A notre avis, la question se peut résoudre à l'aide des principes établis dans le chapitre précédent. Je ne vois point de difficulté à admettre l'idée d'un nombre infini; je ne vois point que cette idée implique aucune espèce de contradiction.

Un nombre est un ensemble d'unités; l'idée nombre est éminemment générale. Pour concevoir le nombre, nous n'avons besoin ni de savoir à quelle classe les unités appartiennent, ni combien elles sont. Le nombre, en général, fait abstraction d'une manière absolue de toute propriété déterminée. Quelque grand, en effet, que soit un nombre déterminé, il est évident que nous pouvons en concevoir un plus grand, et que si nous assignons une limite à ce nombre, nous pouvons la reculer sans cesse, de telle sorte que la limite de l'un ne soit point la limite de Fautre. Il suit que l'idée de nombre implique

l'idée de limite et celle de la négation d'une certaine limite; or, si nous unissons à l'idée de nombre en général celle de négatiou de toute limite en général, nous aurons l'idée

d'un nombre infini.

Mais que représente cette idée? rien de déterminé c'est un concept entièrement abstrait, formé des deux concepts abstraits, nombre et négation de limite. Il n'y a rien dans les objets déterminés qui lui corresponde; œuvre de notre esprit s'exerçant sur certains objets, d'une manière générale et indéterminée. - Nous voilà désormais en état de résoudre les difficultés précédemment indiquées.

Si nous cessons de considérer comme infinie une série de termes qui nous avait l'abord paru telle, c'est que nous cessons d'appliquer la négation de limite sous les mêmes conditions.

Soit la série A, B, C, D, E.

Il est évident que nous pouvons la prolonger à l'infini et la concevoir sans limite: dans ce sens, le nombre des termes est infini, parce que l'idée négation de limite est réellement appliqué à la série. Mais demander si le nombre des termes est inlini d'une manière absoJue, c'est faire abstraction de la condition à laquelle nous avions attaché la négation de limite ce qui était infini dans une hypothèse ne saurait l'être en une hypothèse toute différente. Toutefois, il n'y a point de contradiction, parce que le oui et le non s'appliquent à des suppositions d'un ordre diffé

Tent.

Soit une ligne que nous mesurons par mètres à mesure que la ligne se prolonge, le nombre des mètres se multiplie; or nous pouvons concevoir cette multiplication en tant qu'infinie, et dans ce cas, le nombre des mètres sera infini. Que si, sachant que le mètre comprend dix décimètres, nous prenons le décimètre pour unité, nous avons pour résultat un nombre dix fois plus grand; voilà deux infinis dont l'un est plus grand que l'autre; y a-t-il quelque contradiction? Non, assurément. Car, dans le premier cas, l'idée de négation de limite était subordonnée à une condition, la division en mètres ; dans le second, nous introduisons une condition différente, la division en décimètres.

Mais, dira-t-on peut-être, ces nombres, considérés en eux-mêmes, qu'ils se rapportent à des mètres ou à des décimètres, sont égaux ou ne le sont point; partant ils sont ou ne sont pas intinis. L'objection s'évanouit si vous relevez l'équivoque sur laquelle elle repose. En faisant abstraction de tout rapport à des divisions déterminées, vous considérez le nombre en général; or, dans cette supposition, il n'y a point deux cas différents, mais un seul; donc il ne peut y avoir rapport de plus grand ou de moindre. Vous vous trouvez en présence d'un concept unique, du concept de nombre, en général, combiné avec l'idée de négation de limite, aussi en général; c'est pourquoi le résultat doit être le nombre infini dans toute son abstraction.

La difficulté gît dans une contradiction que l'on ne remarque point à première vue; vous Voulez faire abstraction de toute condition particulière pour savoir si les nombres sont infinis ou ne le sont point, et vous supposez en même temps ces conditions, puisque l'objection implique diverses espèces d'unités. Il s'agit de telle espèce de nombres, et vous prétendez considérer les nombres en eux-mêmes; contradiction manifeste, puisque vous les prenez en même temps avec ou sans conditions particulières.

Nous conclurons de ce qui précède que l'idée de nombre infini, purement abstraite, considérée en dehors de tout rapport individuel et déterminé, n'implique aucune contradiction, puisqu'elle ne contient autre chose que ces idées, nombre, ou ensemble d'êtres, et négation absolue de limite mais nous ne saurions affirmer, sur cette seule donnée, que le nombre infini soit réalisable. Le nombre infini ne peut être actuel si l'on ne suppose un ensemble infini d'êtres; or ces êtres réalisés doivent avoir leurs propriétés caractéristiques et sont soumis aux conditions que ces propriétés leur imposent. Comme dans le concept général on fait abstraction, d'une manière absolue, de ces conditions, il est impossible de découvrir par le concept seul la contradiction que ces conditions peuvent emporter avec elles. De là, bien qu'il n'y ait dans le concept aucune contradiction, il arrive souvent que l'on vient se heurter contre cette difficulté, dès qu'il s'agit de faire descendre l'idée dans le champ de l'expérience; le concept général et indélerminé n'est point contradictoire; la contradiction apparaît dans la réalisation. C'est ainsi que certaines mécaniques, parfaites en théorie, ne peuvent fonctionner, parce que la matière sur laquelle elles devraient agir ne le permet point. Les êtres finis sont, pour ainsi dire, la matière dans laquelle se doivent réaliser les concepts métaphysiques et indéterminés. De ce que les uns sont possibles, il ne suit point absolument que les autres le soient. La réalité peut entraîner avec elle certaines propriétés déterminées, lesquelles impliquent une contradiction à l'état latent dans le concept général; contradiction que la réalité met en évidence.

IX.

Concept de l'étendue infinie.

Ce concept comprend deux idées : étendue et négation absolue de limite. L'idée de l'étendue est, de son côté, un concept général se rapportant, quel que soit son objel, à cette intuition qui représente l'ensemble des trois dimensions dont la forme pure est l'espace. Il est évident que les deux idées, étendue en général et négation de limite, se peuvent réunir en un même concept. Or, si c'est là ce que l'on nomme idée d'une étendue infinie, notre esprit possède cette idée. Ajoutons que, dans ce concept de l'étendue infinie, nous faisons abstraction de toute réalité, incertains que nous sommes si, dans la nature intine des êtres étendus, il ne se trouve point quelque obstacle à cet infini absolu.

Il pourrait se trouver, en effet, certaines contradictions latentes que le concept géné ral ne nous révèle pas.

Le lecteur voudra bien observer qu'il s'agit ici de l'idée de l'étendue et non de la représentation sensible de l'étendue. En effet. si j'ose affirmer la possibilité de concevoir une étendue infinie, il n'en est pas de même par rapport à la représentation sensible de l'étendue infinie. Nous pouvons étendre indéfiniment la représentation, nous ne pouvons la rendre infinie.

La raison confirme les données de la conscience et atteste avec elle cette impossibilité. Les représentations sensibles internes sont la répétition des représentations externes, ou tout au moins elles sont formées des éléments fournis par celles-ci. La vue et le toucher nous donnent la représentation de l'étendue. Or, ces deux sens impliquent la nite; les sens n'atteignent que l'immédiat ; que serait la vue si une limite ne lui envoyait les rayons lumineux? Les représentations sensibles, quelles qu'elles soient, ne sauraient perdre ce caractère de limitation; leur objet peut grandir, la limite peut reculer, mais non cesser d'être; donc il nous est impossible, il est impossible à tout être sensible d'imaginer une étendue infinie.

J'ai proposé plus haut contre l'étendue infinie, en tant que volume sans limites, une ifficulté fondée sur ce que l'impénétrabité n'étant point comprise dans le concept d'un solide, l'on peut imaginer une série innie d'infinis placés les uns dans les autres; mais cette difficulté n'a de valeur qu'à propos des solides dont le concept implique autre chose que l'idée pure d'étendue. En effet, l'étendue suppose des parties placées les unes hors des autres; on ne saurait la concevoir autrement. Une substance corporelle peut occuper une certaine partie de espace, cela est certain; il est certain qu'en dépouillant ce corps de l'impénétrabilité, nous pourrons placer un autre corps au même lieu, et ainsi jusqu'à l'infini; mais ans ce cas, le concept n'est point un concept d'étendue pure; nous ajoutons quelque chose, bien qu'en général et d'une manière indéterminée, à l'idée d'êtres occupant un lieu. Comment, s'il n'en était ainsi, distinguerions-nous l'espace représentant Vetendu pure des solides placés dans cet espace? Et ces solides mêmes, ne serionsnous pas exposés à les confondre les uns avec les autres, si nous ne reconnaissions qu'il y a entre eux, en général et d'une manière indéterminée, une certaine différence?

X-Sur la possibilité de l'étendue infinie.

Pourquoi une étendue infinie ne seraitelle point possible? Je n'aperçois aucune incompatibilité entre les idées étendue et négation de limite. Il nous est plus difficile de concevoir l'étendue absolument limitée que de la concevoir sans limites: au delà de toute imite notre imagination crée des espaces sans fin.

Il me semble pareillement qu'il n'y a rien dans cette idée qui soit contraire à la toutepuissance divine. Au delà de toute étendue Dieu peut créer une autre étendue; dans la supposition qu'il eût voulu appliquer sa force créatrice à toute l'étendue possible, il aurait créé une étendue infinie.

Ici, toutefois, se présente une difficulté. Si Dieu avait créé une étendue infinie, il ne pourrait créer une étendue nouvelle; son pouvoir serait épuisé; donc il ne serait pas

infini.

La difficulté tient à une fausse application de l'idée puissance infinie. Lorsqu'on dit: Dieu peut toutes choses, on n'entend point qu'il puisse des choses contradictoires; la toute-puissance n'est point un attribut absurde; or, c'est ce qui aurait lieu si elle s'exerçait sur des absurdités. Une étendue absolument infinie implique contradiction par rapport à une autre élendue distincte; car, par cela seul qu'une étendue est infinic, elle contient toutes les étendues possibles.

Dans la supposition que cette étendue infinie existât, affirmer que Dieu n'en pourrait produire une autre, ce n'est point limiter la toute-puissance de Dieu; c'est dire seulement que Dieu ne peut faire une chose absurde.

Nous allons être plus clair. L'intelligence divine est infinie, et ne saurait embrasser en aucun temps plus d'idées qu'elle n'en embrasse aujourd'hui tout progrès implique une imperfection, puisqu'il suppose un mouvement du moins bien vers le mieux. Dire que Dieu ne comprendra jamais que les verités qu'il comprend aujourd'hui, est-ce limiter son intelligence? Non, certainement, car il ne peut comprendre davantage, parce qu'il comprend en même temps et tout le réel et tout le possible. Loin de limiter l'intelligence de Dieu, la proposition affirme son infinité; l'intelligence de Dieu n'est point susceptible de perfection, parce qu'elle est infinie. Cet exemple doit nous faire comprendre en quel sens il faut prendre le mot ne peut, lorsqu'on l'applique à Dieu : ce que l'on nie de Dieu n'est point perfection, mais absurdité; c'est pourquoi, selon saint Thomas, il faudrait dire non que Dieu ne peut faire une chose, mais que cette chose ne saurait être faite.

Il semble donc probable que l'idée d'un volume infini, laquelle n'est autre que l'idée de l'espace, implique l'idée pure de l'étendue infinie. Tout autre élément introduit dans cette idée est un élément étranger; il ajoute XI. à l'étendue pure une chose qui ne lui appartient pas, comme sont les différences entre les êtres étendus, alors même que ces différences sont conçues d'une manière indéterminée.

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La discussion dans laquelle nous allons entrer est ancienne comme la philosophie: le spectacle grandiose de l'univers, l'imagi

nation de l'homme qui se plaît à créer, par delà tous les mondes, des espaces sans fin, devaient naturellement amener ces questions: l'étendue de l'univers a-t-elle une limite? peut-elle en avoir? est-il possible qu'elle n'en ait point?

Quelques philosophes nient la possibilité d'une étendue infinie, nous allons examiner les raisons qu'ils font valoir.

L'étendue est une propriété des substances finies; or, ce qui appartient au fini ne saurait être infini comment, en effet, concevoir qu'un être fini puisse contenir un infini quel qu'il soit?

Ce raisonnement n'est pas concluant. Il est vrai que la substance étendue est finie, dans ce sens qu'elle ne possède point l'infini absolu tel qu'on le conçoit dans l'Etre suprême; mais il ne suit point de là qu'elle ne puisse être infinie sous certains points de

vue.

Il faudrait prouver que toutes les propriétés d'un être émanent de sa substance. Les figures, dans les corps, sont des propriétés accidentelles de ces corps, et, toutefois, nombre de ces figures n'ont aucun rapport avec la substance; purs accidents qui apparaissent ou disparaissent, non par la force intérieure de la substance, mais par l'action d'une cause externe. Nous voyons l'étendue dans les corps, mais l'essence des corps nous est inconnue; partant, nous ne saurions dire jusqu'à quel point cette propriété se trouve unie à la substance, et si la première émane de la seconde, ou n'est qu'une propriété étrangère qui lui peut être ôtée sans qu'il y ait altération essentielle.

Il y a plus; de cette affirmation: l'infini ne peut sortir du fini, il ne suit point que d'une substance finie ne puisse sortir une certaine propriété infinie.

En adinetiant la propriété infinie, rien ne nous empêcherait d'admettre dans la substance finie ce qui serait nécessaire pour que cette propriété y eût sa racine; il suffirait de sauvegarder le caractère de fini que doit avoir toute créature. Lorsqu'on dit des êtres créés qu'ils ne sont point infinis, qu'ils ne sauraient l'être, on entend parler de l'infinité essentielle, de cette infinité qui implique nécessité d'être et indépendance sous tous les points de vue; mais il ne s'agit point d'une infinité relative, comme le serait l'infinité de l'étendue.

Soutenir a priori que l'étendue infinie est impossible, parce que toute propriété de la substance finie est finie, c'est supposer ce qui est en question: il s'agit, en effet, de savoir si l'une des propriétés de la substance, l'étendue, peut être infinie. Avant d'aflirmer que nulle de ces propriétés ne peut 1 être, il faut prouver que l'étendue ne l'est point. Impossible autrement d'établir la proposition négative: Nulle propriété de la substance tinie n'est intinie. On le voit,

(1017) Il s'agit ici de la différence entre quantités postives; car relativem nt à des quantrés d'une aure espèce, on peut représenter algébriquement

l'argument que nous combattons implique. en quelque sorte une pétition de principe, puisqu'il se fonde sur une proposition générale dont nous ne pouvons être certains avant d'avoir résolu la question présente.

L'étendue infinie devrait êtie la plus grande de toutes les étendues; or, aucune étendue ne peut avoir ce privilége. Une étendue quelconque étant donnée, Dieu peut en retrancher une partie, un mètre, par exemple; or, dans ce cas, l'étendue infinie devient finie; mais, comme la différence entre l'une et l'autre ne serait que d'un mètre, il suit de cette hypothèse que la première ellemême n'était pas infinie. Il est absurde. en effet, de prétendre qu'entre le fini et l'infini, il n'y a qu'un mètre de différence.

Cette difficulté mérite qu'on l'approfondisse; car, à première vue, elle paraît insoluble.

L'on dit La différence entre le fini et l'infini ne peut être finie. Je ne crois point cette assertion parfaitement exacte. Observons que la différence entre deux quantités positives, finies ou infinies, ne saurait être infinie d'une manière absolue, dans le sens de décroissance. La différence est l'excès d'une quantité sur une autre quantité. Différence implique une certaine limite; par cela même, en effet, qu'il ne s'agit que d'un excédant, on entend que la quantité dépassée n'entre point dans la différence. Soit D différence, A quantité supérieure, a quantité inférieure. En aucun cas D ne peut être infini. Supposons D-A-a; dans cette supposition, D+a=A; donc pour que la valeur D puisse atteindre la valeur A, il faut lui adjoindre a; donc D ne saurait être infini.

=

--

-a: ce

Que si nous supposons A infini en faisant A∞, nous aurous D=A--α==∞ qui nous donne D+a. Donc afin que D devienne infini, il faut lui adjoindre a; et nous n'aurons jamais D∞ autrement que, dans la supposition de a=o: or, puisque l'équation D=A-a aura été convertie en DĦA—0=A, la différence ne sera point réelle, mais supposée.

Donc entre des quantités positives point de différence infinie absolue; il est certain, du moins, que la différence ne peut être infinie dans le sens de décroissance dans ce cas, réunir les deux idées, différence et infini, c'est tomber dans une contradiction (1017).

La différence entre une quantité infinie et une quantité finie donnée ne sera point une quantité finie donnée : cette différence est infinie en un certain sens. En effet, dans la supposition que la ligue donnée est finie, nous la pouvons superposer à la ligne intinie en l'une de ses directions, quelle qu'elle soit, et à partir de l'un des points de cette igne, quel qu'il soit; elle mesure une certaine étendue de la ligne infinie. Supposons maintenant une seconde ligne finie par la

use différence infinie. Soient ces deux quantités : {x—a) el (~a). En cherchant la différence, nous avons: D —α)—(—α)—»—a+a=».

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quelle il s'agit de représenter la différence. cherchée; nous devrons la superposer à la ligne infinie à partir du point où la première ligne finie se termine: or il est évident que la seconde ligne se terminera de même en un autre point, selon sa longueur, et qu'elle ne pourra mesurer la différence de la ligne infinie à la ligne finie.

Même résultat par la forme algébrique. Soit A une valeur finie donnée : la différence entre A et ne saurait être une valeur finie donnée. En exprimani la différence par D, nous aurons - AD: done D + A∞. Si les deux valeurs étaient finies, il résulterait un infini de deux valeurs finies données, ce qui est impossible.

Donc une différence peut être infinie d'une certaine manière, selon le sens dans lequel est pris le mot infini. Du point où nous nous trouvons, on tire vers le nord une ligne prolongée à l'infini; cette ligne déjà se prolongeait à l'infini dans la direction du sud; en un sens, la différence entre la somme des deux Iges et l'une des deux lignes est infinie.

Il en est ainsi des expressions algébriques: la valeur infini 2, comparée à ∞, donne pour résultat 2∞ 881∞.

En général, d'une valeur infinie quelconque, nous pouvons tirer relativement à cette valeur une différence finie quelconque, pourvu que le terme à soustraire ne soit point une valeur finie donnée. Soito la valeur infinie: cet e valeur contient toutes les valeurs finies de son espèce, et, partant, la valeur tinie A je puis done former cette équation: AB. Quelle que soit la valeur de B, je tiens que le rapport de Bà∞ esta; car en ajoutant A à B, il résulte ∞ . L'équation -AB me donne B+ A∞, et pareillement -BA: or, comme A est une valeur finie dans la supposition, et que A est la différence finie donnée entre et B, il résulte que l'on peut trouver une différence finie dans toute valeur infinie.

D'où l'on voit qu'il est possible d'assigner à une étendue infinie une différence finie, sans lui enlever son caractère d'infini. L'infini, par cela seul qu'il est tel, implique tout ce qui appartient à l'ordre d'infini qui lui est propre. Prenons quelle que ce soit de ces valeurs infinies; à la considérer comme une différence, il résultera une différence finie. Mais, loin de prouver contre l'infini de la valeur en question, ce fait le confirme; car il prouve que tout le fini se trouve compris dans l'infini.

Dans ce cas, le terme à soustraire sera inini sous un certain rapport, mais non dans l'ordre de décroissance, en tant qu'il lui manque la quantité qu'on lui a enlevée.

Il existe entre la possibilité d'une etendue infinie absolue un argument qui me semble plus difficile à résoudre. Je m'étonne que les adversaires de cette possibilité ne l'aient point relevé le voici :

Le fait de l'existence d'une étendue infinie admis, Dieu peut anéantir cette étendue, et créer une étendue nouvelle également innie. La somme totale des deux étendues ort

plus grande que chacune d'elles en particulier donc aucune des deux étendues ne sera véritablement infinie. Rien n'empêche de supposer cet anéantissement répété à l'infini; d'où il résulte une série d'étendues infinies. Les termes de cette série ne peuvent exister en même temps, puisqu'une étendue infinie actuelle exclut les autres; donc, comme la somme de toutes les étendues est plus grande qu'un nombre quelconque d'étendues partielles, l'étendue infinie absolue se doit irouver non dans les nombres partiels, mais dans la somme; donc l'étendue infinie en acle ou actuelle est intrinsèquement impossible.

Four résoudre la difficulté, distinguons entre l'étendue en soi et la chose étendue. Toute la question repose sur la possibilité intrinsèque de l'infinité de l'étendue consdérée en elle-même, abstraction faite du sujet dans lequel cette étendue se trouve. L'on fait passer sous nos yeux une série d'étendues infinies qui se succèdent; mais cette Succession s'opère entre des êtres étendus dont le nombre va se multipliant: elle ne s'opère point dans l'étendue elle-même.

L'idée pure de l'étendue infinie n'est point augmentée par les nouvelles étendues que nous pouvons concevoir : l'étendue apparaît, disparaît, reparaît, et disparaît encore, mais sans augmenter. La succession prouve la possibilité intrinsèque de son apparition, de sa disparition; elle prouve qu'elle est essentiellement contingente, puisqu'il ne lui répugne pas de cesser d'être lorsqu'elle est, et de passer de nouveau du non être à l'être. Etudions nos idées; nous verrons qu'il nous est impossible d'agrandir par aucune supposition l'étendue infinie lorsqu'une fois nous l'avons conçue ainsi, et que tout se réduit à une succession de productions et d'anéantissements. L'idée de l'étendue infinie m'apparaît comme un fait primitif de notre esprit; cette infinité que nous imaginons dans l'espèce n'est que le résultat des efforts de l'idée qui veut se formuler dans une réalité. L'homine a reçu du Créateur le don de l'intuition sensible et la possibilité de dilater cette intuition dans une proportion infinie: or, pour cela, nous avions besoin de l'idée d'une étendue infinie.

XII. — Si l'étendue infinie existe.

Une étendue infinie est-elle possible? Y a-t-il une étendue infinie? - Questions essentiellement différentes, puisque l'on peut en même temps affirmer pour l'une et répondre négativement pour l'autre.

Descartes prétend que l'étendue de l'univers est indéfinie; mais ce mot indéfini, qui peut offrir un sens rationnel, lorsqu'on s'en Sert en vue de la portée de notre esprit, perd sa valeur lorsqu'on l'applique aux choses. L'étendue du monde est indéfinie dans ce sens que nous ne pouvons lui assigner des limites; mais dans la réalité, les imites du monde existent ou n'existent pas; point de moyen terme entre le oui et le non, et partant, entre l'existence des limites et leur non existence; si elles existent, l'étendue du monde est finie; infinie, si elles n'existent pas.

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