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liste qui réaliserait la fraternité résultant de la nature divine de l'homme. D'abord, n'en déplaise à M. Renan et à toute l'école panthéiste et rationaliste, notre nature n'est pas du tout divine, mais continuant la citation là où M. Renan l'a abandonnée, nous croyons que le monde marche vers le lieu, où le Christ sera toutes choses et en toutes choses (182).

Protestation de M. de Rougé contre une assertion de M. d'Anselme, et résumé final de la discussion de M. Renan.

Comme complément du long Mémoire de M. Renan et de la discussion qui s'en est suivie au sein de l'Académie, nous devons publier la lettre suivante, où M. de Rougé repousse d'abord une accusation qui avait été dirigée contre lui par M. d'Anselme (voir le n° de l'Univers du 26 juillet 1859), et où il résume très-bien et dans un sens catholique et parfaitement traditionnel, la discussion qui a eu lieu à l'Académie. Voici la lettre qui a paru dans l'Univers du 1er août dernier.

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« C'est avec un sentiment pénible, et dont je cherche à modérer l'expression, que j'ai lu, dans votre numéro du 26 juillet, les accusations toutes gratuites formulées contre moi par M. d'Anselme, à l'occasion de la discussion soulevée dans l'Académie des Inscriptions par le Mémoire de M. Renan sur le monothéisme des races sémitiques. Au milieu des fausses appréciations de M. d'Anselme et de ses insinuations malveillantes, je me contente d'extraire un membre de phrase pour le répéter ici textuellement. ..... I (M. de Rouge) n'hésite pas à s'inscrire d'avance en faux contre la révélation, en déclarant qu'il reconnaît dans le monothéisme des Egyptiens et celui des Hébreux deux faits également incontestables, mais qu'il n'y a aucune espèce de rapport entre eux. » Si un homme venait, sans aucune preuve, accuser son voisin d'une action malhonnête, vous refuseriez certainement d'ouvrir vos colonnes à de pareilles diffamations; comment donc avez-vous admis sans examen une accusation aussi grave contre la foi d'un chrétien? Je m'inscris en faux contre la révélation! Existe-t-il une seule ligne dans mes travaux qui donne l'ombre d'apparence à cette allégation? Ma foi profonde dans la vérité catholique n'a jamais été ni dissimulée, ni amoindrie par de lâches compromis avec ce qu'une certaine école nomme aujourd'hui les exigences de la critique, et j'ai bien le droit de m'étonner d'une attaque aussi peu méritée.

« Si M. d'Anselme eût assisté à une discussion qu'il ne me parait connaître que par le résumé publié dans la Revue de l'instruction publique, il aurait compris que j'ai simple

(182) Induentes novum hominem, eum qui renova, tur in agnitionem, secundum imaginem ejus qui creaillum: ubi non est Gentilis et Judæus circumci

ment nié la possibilité d'attribuer à l'éducation égyptienne de Moïse, la doctrine monothéiste qui domine le Pentateuque. J'étais d'accord sur ce point avec tous ceux qui comprennent la valeur historique de la Genèse, et avec M. Renan lui-même. Je me refusais, d'un autre côté, à croire que la connaissance d'un Dieu unique et créateur eût été introduite en Egypte par la famille de Jacob. Les textes où j'avais trouvé cette doctrine paraissent remonter à une époque plus reculée. Ce sont ces deux rapports de filiation directe que je tiens pour également insoutenables devant les faits historiques. Il ressort de ces prémisses une conséquence directement opposée à celle que M. d'Anselme m'attribue avec une insigne légèreté. « Le rapport entre les croyances des deux peuples est beaucoup plus ancien, et si l'on joint ce fait aux similitudes constatées entre la langue égyptienne et celle du groupe sémitique, il sera difficile à un esprit logique de ne pas les faire dériver l'un et l'autre de l'union primitive des deux races. C'est ce qu'a bien senti le savant rédacteur des Annales de philosophie chrétienne, (V. le n° d'avril 1859, t. XIX, p. 292.) L'esprit de M. Bonneity, exercé depuis longtemps à la discussion de ces questions, y apporte une dialectique plus serrée que celle de M. d'Anselme, à qui il faut laisser toute la responsabilité de ce qu'il croit avoir dévoilé dans les histoires primitives de l'Assyrie, de la Chine, de l'Inde, etc., ainsi que celle de son Dieu, ieue, teue. Puisque je me trouve forcé de rétablir ici mon opinion dans la discussion soulevée par M. Renan, permettez-moi de communiquer à vos lecteurs l'impression qu'elle m'a laissée.

« Il est nécessaire de dire d'abord que, quel que fût le nombre des objections élevées contre les idées énoncées par M. Renan, dans ce travail présenté sous la forme d'une simple communication, la discussion ne pouvait aboutir, dans le sein de l'Académie, à un résultat formulé. La théologie et le dogme n'entrent d'ailleurs dans les attributions de ce corps savant qu'à un point de vue tout à fait accessoire et comme auxiliaire de l'érudition: c'est donc d'un commun accord, e' par un sentiment de convenance, que la discussion s'est toujours maintenue dans la limite des faits étudiés par M. Renan et des conséquences très-mal définies que notre confrère prétendait en tirer.

Ce jeune orientaliste se caractérise jusqu'ici comme un esprit très-subtil, mais plus exercé à la négation qu'aux conquêtes de la science. Dans ses œuvres philosophiques, il a coutume d'environner ses prémisses d'une foule de distinctions et de présenter ses résultats sous des formes parées d'une brillante couleur, mais aux contours insaisissables. Il y a toujours du plus ou du moins dans les races qu'il établit et dans les ten

sio et præputium, barbarus et Scytha, servus et liber: sed omnia et in omnibus Christus. (Colo.s. m, 40 el

41.)

dances qu'il leur prête, en sorte que ses thèses historiques ne sont pas plus faciles à définir que la religion spéciale qu'il semble réserver aux esprits délicats et perfectionnés. « J'ai cherché à me rendre compte des principales idées répandues dans le Mémoire sur le monothéisme des peuples sémitiques, et je crois qu'on peut en reconnaître la filiation. La doctrine philosophique qui consiste à considérer le monothéisme, comme un résultat progressif des efforts de l'esprit humain, avait un grand mérite aux yeux des écoles du siècle dernier, c'est d'être en opposition directe avec la tradition chrétienne. Mais si l'histoire grecque semble, au premier coup d'œil, favoriser cette supposition, les origines religieuses du peuple hébreu se dressent à l'encontre comme une vivante protestation. Aussi l'école n'avait trouvé rien. de mieux à faire, à ce point de vue comme à bien d'autres, que de supprimer la Bible (toujours au nom de la critique).

Mais M. Renan est un orientaliste trop exercé pour rester dans cette ornière surannée: il a compris, du moins en partie, la valeur historique du livre sacré, qui resplendit chaque jour aux nouvelles lumières. de la science. Il a devant les yeux un peuple qui se trouve, dès l'âge des patriarches, en possession de la doctrine monothéiste la plus pure et la plus élevée; il ne rencontre cependant, dans cette nation, aucune trace d'une force d'esprit supérieure qui ait pu lui faire produire, bien avant les autres peuples, une aussi parfaite conception. M. Renan ne cache pas l'étonnement que lui cause ce grand fait. D'où cela peut-il venir? s'est-il écrié plusieurs fois dans le cours de la discussion. Pour qui supprime de l'histoire des hommes l'enseignement divin, la difficulté peut, en effet, paraître insoluble.

a Le Chrétien ne comprend pas cet étonnement profond; éclairé par une double lumière, il sait que Dieu, en créant un être libre et moral, lui a nécessairement donné les moyens de connaître ses devoirs. Quelle que soit la part faite par les diverses écoles à l'enseignement extérieur ou aux efforts propres de la raison humaine, façonnée par le Créateur, toujours est-il que, pour le Chrétien, aussitôt que l'homme a existé avec la plénitude de ses facultés, il a dû connaître son Dieu. De l'égalité des devoirs naît l'égalité du droit à connaître le législateur et sa loi.

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dieux imparfaits du polythéisme. La conclusion devrait être, suivant M. Renan, que le Sémites auraient produit le dogme du monothéisme par une disposition spéciale et commune à la race, d'organisation intellectuelle. « Si l'on examine de près ce système, ainsi dépouillé de son appareil érudit, on reconnaîtra facilement que les prémisses, les raisonnements et les conséquences sont également dénués de toute valeur.

« Premièrement, parmi les Sémites, les nations chez lesquelles on peut reconnaître des traces plus marquées de monothéisme ont reçu l'enseignement patriarcal d'Abraham ou d'Isaac; quel appui leur croyance peut-elle donc apporter à la thèse de M. Renan? Les autres (Assyriens, Phéniciens, etc.) sont manifestement idolâtres. Chez les Hébreux eux-mêmes, si l'on veut chercher dans leur histoire une tendance constitutionnelle pour une forme de culte, on trouvera un penchant des plus décidés pour l'idolâtrie. « Secondement, tous les autres peuples auraient été voués par leur nature, presque fatalement, à une idolâtrie primitive; ici encore les réclamations se sont élevées de tous côtés. Si vous démêlez des traces importantes de la croyance monothéiste au milieu des idoles arabes, araméennes, etc., comment refusez-vous de les reconnaître chez les autres peuples? M. Maury réclame au nom de la doctrine monothéiste, clairement enseignée dans les livres sacrés de la Chine; M. Régnier prétend que les Védas laissent la question indécise quant aux croyances primitives de l'Inde. Il n'est pas jusqu'à Jupiter qui ne voie interpréter sa suprématie par M. Villemain dans le sens de l'idée monothéiste (et, ce semble, avec raison). Quant à l'Egypte, le Dieu suprême y était nommé le Dieu un, vivant en vérité; celui qui a fait tout ce qui existe, qui a créé les étrès - C'est le générateur existant seul, qui a fait le ciel et créé la terre, etc. (183).

« Beaucoup d'autres passages contiennent les mêmes idées et ne laissent aucun doute sur l'absolu de la doctrine égyptienne: ils appartienneut à des textes dont la rédaction précède l'époque de Moïse, et dont plusieurs faisaient partie des hymnes sacrés les plus anciens.

« Voilà un monothéisme originel constaté jusque parmi les fils de Cham; le contraste entre les races sur l'essence de la religion n'existe donc pas dans le sens où M. Renan l'a prétendu. L'Egypte, en possession d'un admirable fonds de doctrines sur l'essence de Dieu et sur l'immortalité de l'âme, ne s'en est pas moins souillée par les superstitions les plus dégradantes; elle suffit pour résumer l'histoire religieuse de toute l'antiquité; jusqu'au jour heureux où la lumière fut partout rallumée aux flambeaux des ApôVie E. DE ROUGE.

tres. >>

chrétienne. (T. XV, p. 509, et t. XIX, p. 292, 4° série.)

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§ 1".

De la croyance en l'état de nature. Importance de la question.

En face de cette croyance à l'état de nature plusieurs personnes pourraient demeurer indifférentes, et dire : Peu importe quelle soit l'origine de l'homme; nous naissons au sein de la civilisation et nous protitons de ses bienfaits.

Cette question offre un grave intérêt. L'homme n'a pu naître que dans deux conditions libre et indépendant, ou soumis à quelque autorité.

Voici les conséquences de ces deux conditions :

S'il est né soumis à une autorité, il doit rester soumis à cette autorité. Si au contraire le hasard ou une autre cause l'a jeté sur la terre, il reste toujours maître en religion et en gouvernement.

Cette dernière opinion prédomine, et ses progrès dans l'esprit de la jeunesse effraient à bon droit.

Origine de cette opinion. D'abord il n'est pas de monument authentique qui prouve l'état de nature. Ses défenseurs n'ont que des préjugés. Nous qui l'attaquons, nous possédons un monument authentique qui contredit celte hypothèse, la Bible. Ainsi, au dire de Rousseau (847)*, pour ceux qui admettent cette histoire la question devrait être toute décidée.

Inconnue des Hébreux. Cependant pour Cependant pour accorder la Bible avec les systèmes rationalistes, quelques-uns disent qu'après la grande séparation dans la plaine de Sennaar une partie du genre humain pénétra dans des contrées inconnues; là il tomba dans l'état de nature.

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Et des peuples primitifs. Les plus anciens peuples, les Babyloniens, les Assyriens, les Egyptiens, n'ont pas connu la croyance à l'état de nature; leur histoire n'est pas suivie, mais à de longs intervalles ils

(847) Discours sur l'origine et l'inégalité des conditions, etc.

(848) Voir PLATON dans le Protagoras, in-folio, page 224, et les Lois, livre I, page 804.- Euripide cité dans PLUTARQUE: De Placitis philos., lib. 1, ch. 7.- BEROSE dans LE SYNCELLE, page 28.- DIODORE, l. 1, p. 11, 12, 52; 1. v. page 387.— STRABON, t. IV, page 306; 1. x1, pag. 707; liv, XIII, page 885.

*Comme le Lecteur s'expliquerait peut-être difficilement la transition du dernier chiffre de la série des renvois de Notes, à celui-ci, nous jugeons à propos d'en dire la raison. Le présent article est extrait d'un ouvrage faisant partie de nos Publications et intitulé: Introduction aux Démonstrations évangéliques, dont toutes les pages sont stéréotypées ou clichées.

nous apparaissent avec leurs chefs, leur civilisation, leur puissance, dans la seule histoire contemporaine que l'on connaisse.

Quand les monuments deviennent plus suivis, ces grands peuples, au lieu de se montrer comme dans l'enfance, nous offrent une civilisation commencée depuis longtemps.

Appuyée seulement sur les mythes de la Grèce. Les historiens poëtes de la Grèce ont seuls parlé de cet état de nature. Il s'agit donc d'un peuple qui n'a pu conserver un Souvenir exact de son origine; ce sont des historiens qui, à plusieurs siècles de distance, ont fait l'histoire des origines des dif férentes tribus de la Grèce, qui aujourd'hui donnent à la croyance en l'état de nature une si grave autorité ! Et même ces historiens poëtes étaient séparés des nations dont ils écrivaient les origines, par des montagnes, des guerres, des préjugés. Les historiens plus graves qui suivirent, acceptèrent toutes ces traditions, et les accréditèrent.

Les philosophes grecs acceptent et exploi tent ces opinions. Les philosophes acceptèrent ces idées et en firent les fondements de leur science, parce qu'ils aimaient à voir l'homme sortir de l'état sauvage par l'énergie de ses facultés. On les retrouve dans Platon, Euripide, Bérose, Diodore, Strabon (848). Aristote place l'homme au premier anneau de la hiérarchie des animaux; Epicure fit de ces idées un système.

Les Romains les adoptent après la conquête de la Grèce. - Dans Rome, quand elle n'avait pas de philosophes, on ne crut point à l'état de nature (849); cette croyance ne fut adoptée des Romains qu'après l'entrée des sophistes; Lucrèce l'apporta d'Athènes (850), d'autres écrivains latins l'accueillirent (851), Horace a décrit cet état dans son r livre des Satires, III, v. 99 et suiv. Ces croyances rationalistes entrèrent dans la loi romaine:

« Le droit naturel, dit-elle, est ce que la nature apprend à tous les animaux. Ĉar ce droit n'est pas seulement propre à l'homme, mais encore il est commun à tous les animaux qui sont sur la terre, dans la mer ou dans les airs (852). »

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Cette croyance marque la ruine de la société romaine. Quand les sophistes discutent sur l'origine du genre humain, l'empire romain s'écroule de toutes parts, et c'est dans le christianisme qui rattache l'homme à Dieu que vont se réfugier les débris de la tradition véritable de ce vieux monde. Les hommes se reposèrent sur la foi de cette doctrine qui leur montre Dieu enseignant le premier homme.

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Cette croyance reparaît à la Renaissance.

Quand les barbares eurent fini leurs déplacements, les lettres et les manuscrits furent exhumés; c'est le siècle de la crédulité la plus naïve, et du culte le plus fanatique pour tout ce qui était grec. Aristote imposa ses idées, même sa croyance à l'état de nature.

Dès le x siècle, lorsque le code des lois romaines eut été découvert, les lettrés le commentèrent, y trouvèrent la croyance en l'état de nature, et l'adoptèrent; on voulut concilier les Pères et Platon, l'autorité des codes romains et celle de l'Evangile, l'origine du genre humain racontée par la Genèse avec celle que les poëtes grecs avaient donnée au monde.

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Les conséquences de cette théorie. Cette croyance fructifia bientôt; sous forme de théorie les résultats pratiques des principes de l'état de nature furent mis en avant par quelques écrivains isolés et entreprenants que ne purent déconcerter les clameurs ni les réfutations.

Hobbes et Spinosa, partant de ce principe, prétendirent que les droits que l'homme tient de la nature ne peuvent être prescrits; qu'ainsi il était encore libre de tout lien politique, moral ou social. Les auteurs chrétiens crurent devoir combattre ces principes, et nous devons à leur opposition le célèbre ouvrage de Puffendorff: Le droit de la nature et des gens.

Base erronée de la méthode de Puffendorff. -Puffendorff prend malheureusement le même point de départ que ses adversaires, et prétend les conduire à des conséquences opposées. Il mène les hommes de l'état de nature vers la société et même vers la société chrétienne, tandis que ses adversaires les conduisent de la société vers les forêts, et sont plus conséquents.

Rousseau trouvé trop paradoxal et pourtant accueilli. Rousseau, qui renouvelle les idées de Hobbes, est traité d'insensé par des philosophes; cependant les économistes, les légistes, exploitent ces principes politiques. On a touché au fondement même de la société, l'ancien pouvoir tombe et avec lui l'ancien ordre des choses.

Tentative pour reconstruire l'état social. - Comme si les hommes venaient de sortir des forêts, ils renversent et fondent. On adopte les théories d'Epicure et de Lucrèce. Les Français ont abjuré toute idée nationale et chrétienne, et veulent ressusciter la vieille

société romaine.

Nécessité d'abandonner le système de l'état de nature. Ce système, qui a pour point

de départ l'état de nature, n'est appuyé sur aucun monument certain. Les monuments historiques sur l'origine de tous les peuples prouvent que, par le fait, l'état de nature n'a jamais existe.

Quelle est la marche que doit suivre celui qui combat l'état de nature? - Celui qui attaque l'état de nature ne doit pas rechercher comment il s'est fait que les peuples aient été sitôt civilisés, ni quelle était cette civilisation, ni quels ont été ses progrès ou sa décadence, il lui suffit de remonter aussi haut qu'il est possible dans l'histoire de chaque peuple et de pouvoir dire: Le voilà civilisé.

Ce que dit la Bible. Après avoir écouté les hypothèses des philosophes, nous ouvrons nos livres et nous y voyons: Formavil igitur Deus hominem de limo terræ, et inspiravit in faciem ejus spiraculum vitæ..... (Genèse, 11.)

Dieu ne livre point l'homme à ses propres forces, il préside à son instruction: Consilium et linguam, et oculos, et aures, et cor dedit illis excogitandi... (Eccli. xvII.)

Sans doute il n'y avait pas de villes ni de palais, mais la civilisation ne consiste pas dans le luxe, mais dans les croyances et les pratiques. Les adversaires doivent admettre ces croyances, ou abjurer toute foi à l'histoire.

Nous voyons, 1656 ans après la création du monde, le déluge détruire tout le genre humain et le réduire à huit personnes. Et pourtant, au sortir de l'arche, ces hommes ne se précipitent point dans les forêts, mais élèvent un autel et font un sacrifice.

Cent ans plus tard les descendants de Noé entreprennent d'élever une tour qui touche le ciel. Le progrès de la civilisation apparaît dans cette gigantesque entreprise. Dieu confond leur orgueil, et le genre humain se disperse dans la plaine de Sennaar.

Alors commence l'histoire de cinq peuples: celle des Hébreux, des Egyptiens, des Babyloniens, des Assyriens et des Mèdes. L'histoire seule des Hébreux ne présente pas d'interruption.

On n'a que des notions incertaines sur les autres peuples. On voit Cham fonder l'empire d'Egypte, Nemrod jeter les fondements de l'empire de Babylone, Assur fonder celui d'Assyrie, et un troisième fils de Japhet établir celui des Mèdes. Jusqu'en 3180 quelques événements cités par les livres saints révèlent l'existence de ces peuples et leur civilisation; mais à partir de cette époque les ténèbres sont complètes.

Avec ces données on peut réfuter la croyance en l'état de nature. - Ces premières époques que nous révèle l'histoire devaient être trèsrapprochées du prétendu état de nature. Pourtant ces armées immenses, ces puissants empires, cette tour bâtie par les enfants de Noé, ce lac Moris, ces pyramides d'Egypte, ces peintures qui résistaient à l'action de l'air; ces machines qui soulevaient à la hauteur de six cents pieds des masses énormes, ces oiseaux gravés sur le

granit dont on peut reconnaître l'espèce (853) ne prouvent pas que le genre humain fût alors dans l'enfance.

« Où place-t-on done les prétendus temps de barbarie et d'ignorance? De plaisants philosophes ont dit: Les siècles ne nous manquent pas. Ils vous manquent très-fort, car l'époque du déluge est là pour étouffer tous les romans de l'imagination (834). »

Ainsi, ce n'est point chez ces peuples qu'il faut aller chercher des preuves de l'existence de l'état de nature.

Ce que les annales de la Grèce offrent de probable. - Jusqu'à l'an 2087, les Grecs nomment eux-mêmes cette époque temps inconnus alors apparaissent Saturne, Jupiter, Neptune, Pluton, contemporains d'Abraham; ils forment un vaste empire en Europe. On ne sait rien de ces Titans, on croit qu'ils venaient d'Egypte : ils disparaissent, leur empire se dissout.

Vers l'an du monde 2098, de nouvelles colonies venues d'Egypte et de Phénicie, l'empire d'Athènes et d'Argos sont fondés. Les traditions des Athéniens citent Ogygès, vivant vers l'an 2173, en même temps qu'lnachus vivait à Argos. Après Ogygès on ne sait plus rien jusqu'à Actée qui vivait vers l'an 2250, lequel fut remplacé par Cécrops, venu encore de l'Egypte, et qui bâtit, vers l'an 2400, Athènes, qu'il appela alors Cecropia.

Alors commencent les temps historiques. Les marbres de Paros donnent la chronologie des principales époques d'Athènes.

Preuves que la civilisation avait précédé la barbarie dans la Grèce. — De grands travaux et d'anciens monuments existant encore prouvent que la civilisation avait devancé l'époque historique.

Le lac Copaïs, au centre de la Béotie, qui servait de réservoir à douze petites rivières qui n'avaient point d'issue, menaçait de tout engloutir. Des canaux souterrains furent ouverts à travers le flanc d'une montagne d'une largeur de plus de deux lieues pour faire écouler les eaux dans la mer Eubée. Ces canaux sont au nombre de plus de cinquante, et les historiens grecs ne peuvent nous citer les noms de ceux qui les creusèrent. Des puits ont été ouverts du sommet de la montagne à une profondeur étonnante, afin qu'on pût les visiter. Strabon nous dit qu'Alexandre les fit nettoyer. Ceux qui exécutaient de si gigantesques travaux n'avaient guère besoin des leçons d'une Cérès, d'un Triptolème, d'un Bacchus; la civilisation devait être alors bien avancée. Ainsi, toute cette mythologie des poëtes repose sur l'imagination.

Ce que l'on doit conclure. On doit conclure qu'en Grèce il n'a jamais existé d'hommes tels que les décrivent les partisans de l'état de nature, et que les traditions d'Orphées et d'Amphions ne sont que des

(853) Voir la description des peintures et basreliefs de Thèbes dans le grand ouvrage sur FEgypte, ainsi que le dernier voyage de M. Cham

fables, ou confirment ce que nous avons dit : c'est qu'avant cette civilisation i en avail existé une autre. Tout ce que l'on peut accorder, c'est qu'avant l'arrivée des Egyptiens ces peuples étaient isolés, et que leur mise en contact opéra un mouvement rapide vers la civilisation. De plus, le poëme d'Homère qui chante la guerre de Troie (1217) fait voir que la civilisation était déjà de vieille date.

Pour savoir d'où venait cette civilisation, écoutons d'abord Platon: « Ce qu'il importe le plus à l'homme de savoir, s'apprend aisément et parfaitement si quelqu'un nous l'enseigne.» Puis Hippocrate: « Je ne doute point que les arts n'aient été primitivement des grâces accordées aux hommes par les dieux. »

Amérique. Au xv siècle, un nouveau monde fut découvert et des hommes sans civilisation s'y rencontrèrent; les philosophes virent en eux les enfants de la nature et préconisèrent cet heureux état. Les Mexicains et les Péruviens étaient civilisés, d'autres peuplades étaient barbares. Il faut voir si les premiers devaient à leurs forces cet état de civilisation, et si l'état de nature était l'état primitif des seconds.

Preuves d'une ancienne civilisation. L'Amérique a été primitivement peuplée par l'Asie; des analogies de mours rendent le doute impossible. L'Amérique a été habitée par des peuples civilisés, des monuments existant rendent le fait incontestable: ruines de palais, de temples, de bains, d'hôtelleries publiques; pyramides semblables à celles de Siam et des Indes; des sculptures dont l'origine remonte à plusieurs siècles avant la découverte de l'Amérique.

Ainsi l'état de civilisation a été le premier état de l'Amérique, et conséquemment, los sauvages de cette contrée ne sont plus que des êtres dégradés.

L'état des sauvages est un état de dégrada tion. La dégradation du sauvage de l'Amérique est évidente; chez lui les formes du corps sont hideuses. Chez lui point de prévoyance, point de perfectibilité. Il est vicieux en suivant son instinct. Il est criminel sans remords, il chante en dévorant son ennemi.

Raisonnement absurde des défenseurs de l'état de nature. - Voici comment raisonnent nos adversaires: Puisque c'est nous qui portons aux sauvages la civilisation, et qu'ils ne peuvent la recevoir qu'avec peine, on devrait conclure, ce semble, qu'on ne peut pas se civiliser soi-même; nos adversaires disent au contraire Le sauvage a besoin de gens civilisés pour sortir de sa dégradation, donc les hommes se sont civilisés euxmêmes.

Explication du mot grec αυτοχθονες. -- Les historiens grecs et latins donnent souvent le

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