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treprises, est de leur dire Vous avez bu du sang de singe.» (DIODOR. I. xx.)

Un des pressants motifs qu'alléguaient les Hébreux à Pharaon pour en obtenir la permission de sortir de son empire, était la nécessité que leur opposait leur rite sacré d'imInoler des animaux que ses sujets n'auraient pas vu sacrifier sans horreur. Toute cette Zoolatrie de l'Egypte est fort ancienne. La Bible nous la peint ron comme un emblème ou comme une allégorie, mais comme une pure zoolatrie directe. On ne peut nier que l'adoration du veau d'or dans le désert ne fût une imitation de l'égyptianisme; et l'Ecriture ne donne point du tout à entendre que ce fût un culte figuré. Indépendamment de la foi due au Livre sacré, c'est encore l'historien le mieux informé de la façon de penser égyptienne. Il distingue nettement les trois genres de cuite (Deut. IV, 16 sqq.) dont l'égyptianisme était mélangé; savoir, les idoles, les animaux quadrupèdes, oiseaux, reptiles, poissons, et les astres. La loi mosaïque ne défend rien avec plus de menaces que la fornication de ce culte fétichiste. Vous ne figurerez point, dit-elle, d'images de bétes terrestres ni aquatiques. (Exod., xx, 4; (Deut..v, 8.) Vous n'aurez point de bois sacrés: vous n'offrirez plus dorénavant de sacrifices aux velus (Levit. xvII, 8), c'est-à-dire aux animaux sauvages ou domestiques; car c'est ainsi qu'on doit traduire le mot seirim, « pilosi, hirsuti, » ou comme Juvénal l'a dit, lanata animalia, et non par dæmones, comme on l'a traduit ensuite dans les siècles où les sciences secrètes et le platonisme ont eu cours. Alors les idolâtres, dit Maimonides (Doct. perplex. II, 4, 6), s'imaginaient que les mauvais génies apparaissaient aux hommes sous la figure des boucs: c'est encore parmi nous l'opinion du menu peuple, que le diable se montre au sabbat sous cette forme; et c'est de là peut-être qu'est née cette opinion.

Que si après avoir fondé le parallèle de la religion de l'ancienne Egypte avec celle des autres Africains sur la parité des actions, qui suppose une pareille façon de penser, ressemblance dont nous rechercherons bientôt le principe dans les causes générales inhérentes à l'humanité, nous descendons sur ceci à quelques autres usages particuliers des deux peuples, ils nous en donneront encore la même opinion. On y trouve aux obsèques des morts une pratique singulière qui paraît la même. La coutume parmi les nègres est de mettre dans la sépulture d'un homme le fétiche qu'il a le plus révéré. On trouve de même avec les momies dans les tombeaux égyptiens, des chats, des oiseaux, ou autres squelettes d'animaux embaumés avec autant de soin que les cadavres humains: il y a grande apparence que c'est le fétiche du mort qu'on a embauiné avec lui, afin qu'il pût le retrouver lors de la résurrection future, et qu'en attendant il servit de préservatif contre les mauvais génies qu'on croyait inquiéter les månes des morts. (KIRKER., Edip. Egypt.) Le lion, la chèvre, le croco

dile, etc., rendaient des oracles en Egypte comme les fétiches en Nigritie. Chez l'un et l'autre peuple l'être divinisé a ses prêtres et ses prêtresses qui forment un ordre. à part du reste de la nation, et dont les fonctions passent à leur postérité. L'un et l'autre portent avec eux leur fétiche, soit à la guerre, soit dans les autres occasions d'importance, où la crainte excitée ne manque jamais d'exciter la dévotion.

Que si nous voulons comparer la fourberie dont usent les prêtres africains du serpent rayé, pour abuser des jeunes femmes sous prétexte de dévotion, l'histoire des prêtres du chien Anubis et de Pauline ne sera pas la seule qui pourra fournir matière au parallèle. Mais sans s'arrêter ici à ce point particulier, ni eux exemples qu'on pourrait donner de l'abus d'un sentiment de dévotion mal appliqué, rapportons un fait qui seu! donne une preuve décisive de la question générale, et porte au dernier degré d'évidence le parallèle de la croyance des deux nations, en nous apprenant que ce même serpent rayé, divinité des noirs, a été fort anciennement, et est encore aujourd'hui un objet d'idolâtrie pour les Egyptiens.

Si quelqu'un voulait encore douter que le culte des animaux en Egypte ne fût la même chose que le fétichisme actuellement pratiqué chez les nègres, il faudrait, ce me semble, qu'il se rendit au témoignage oculaire, récent et convaincant du docteur Richard Pocoke, qui, en 1738, a lui-même vu que le serpent rayé est une divinité en Egypte, dans une contrée faisant partie de l'ancien Nome Panopolite, sur la rive orientale du Nil, un peu au-dessous de la Thébaïde. Voici ses propres paroles, où l'on aura lieu de remarquer, que la police acquise de la nation n'y avait pas aboli l'ancien culte sauvage; que les nouvelles religions intellectuelles ont bien de la peine à y déraciner en entier l'ancienne et grossière religion matérielle; et qu'elles en ont même pris une teinture.

« Le lendemain matin (du 16 février 1738), nous arrivâmes à Raigny, où je trouvai le sheik, qui a pour objet de son culte le fameux serpent appelé Heredy. J'avais pour lui une lettre du prince d'Akiim. Il nous inena à la grotte du serpent si connu dans le pays sous le nom de Sheik-Heredy. J'en veux faire une relation particulière, pour montrer quelle est la folie, la crédulité et la superstition du peuple de cette contrée : car les chrétiens y ont foi aussi bien que les Turcs. Nous montêmes environ un demi-mille à travers les rochers, jusqu'à un endroit où la vallée est plus ouverte. Sur la droite il y a une espèce de mosquée surmontée d'un petit dôme, appuyée contre le roc, et que l'on prendrait pour le tombeau d'un sheik: près de là est une large fente dans le rocher, de laquelle ils disent que sort le serpent. Dans la mosquée il y a un tombeau à la turque, qu'ils disent être le tombeau d'Heredy. Je m'imagine que c'est un de leurs saints qui est enterré là, et qu'ils se figurent que son âme a passé dans le serpent: car je remar

quai qu'ils faisaient leurs prières auprès du tombeau, qu'ils baisaient avec beaucoup de dévotion. Vis-à-vis cette fente il y en a une autre, qu'ils disent être celle d'Hassan le fils, c'est-à-dire le fils d'Heredi. Il y a aussi deux autres ouvertures dans la roche, où, selon eux, les anges font leur demeure. Le sheik me dit qu'en cet endroit il y avait deux serpents, quoique l'opinion commune soit qu'il n'y en a qu'un. Il ajouta que ce serpent est là dès le temps de Mahomet; que sa forme est à peu près pareille à celle des autres serpents, que sa grandeur varie d'un à deux pieds de long; que sa couleur est mélangée de jaune, de rouge et de noir; qu'on peut le manier tant qu'on veut, et qu'il ne fait jamais de mal. Le serpent sort de son trou pendant les quatre mois d'été. On dit qu'on lui offre des sacrifices. Le sheik me nia ce fait, m'affirma qu'on amenait seulement des moutons et des agneaux, et qu'on donnait quelqu'argent pour l'entretien de l'huile de la lampe mais son assertion se trouvait démentie par mes propres yeux : car je voyais près du trou le sang et les entrailles des bêtes qu'on y avait égorgées. Les histoires qu'ils racontent à ce sujet, sont trop ridicules pour être répétées, si ce n'était pour donner un exemple de leur idolâtrie à cet égard, walgré l'éloignement que la religion mahométane a soin d'en inspirer. Ils disent que le serpent guérit les maladies de tous ceux qui vont le trouver, ou vers qui on l'amène : car quelquefois on l'amène dans un sac au peuple assemblé; mais jamais on ne le fait voir, probablement parce que la plupart du temps il n'est pas dans le sac. Ils racontent encore que les femmes viennent ici en grand nombre une fois l'an, qu'alors le serpent sort de sa caverne, se plaît à les regarder, et s'entortille au tour du cou de la plus belle, ce qui est un signe certain qu'elle quelques qualités extraordinaires, telles qu'en possèdent les bouris du paradis de Mahomet. Ils font une histoire d'un prince qui vint pour voir le serpent, et sur le refus yu on fit de le lui montrer, il le fit tirer par force et couper en morceaux. On les mit sous un vase, d'où le serpent sortit le moment d'après tout entier. Un chré tien à qui l'on contait cette histoire, voulant désabuser le peuple de ce grossier mensonge, offrit une grosse somme pour qu'on lui laissal couper ce serpent en morceaux; mais on ne voulut pas lui permettre de faire cette expérience. Enfin ils assurent qu'on ne peut pas mener le serpent plus loin que jusqu'à Girge au-dessus du Nil, ou jusqu à Méloui, autre ville au-dessus de ce fleuve; et que quand on voulait tenter de le mener au delà, il disparaissait aussitôt (c'est-à-dire qu'encore aujourd'hui comme autrefois, sa divinité est purement locale, et ne s'étend pas au delà de ces confins). Tout ceci me parut si elrange, que je voulus m'éclaircir à fond de cette affaire, et je fus bien surpris d'ententre un chrétien, homme grave et de bon sens, à ce qu'il me parut d'ailleurs, me dire que véritablement le serpent guérissait toujours

en elle

les malades, mais que pour l'ordinaire les gens guéris tombaient dans des accidents pires que le mal. Quelques autres Chrétiens, voulant se donner pour plus habiles que les autres, et qui croyaient aussi que le serpent opérait réellement des miracles, me dirent que, selon leur opinion, c'était ce même démon dont il est parlé dans l'histoire de Tobie, que l'ange Gabriel (Raphaël) chassa de la montague d'Ecbatane en Médie jusque dans la haute Egypte. Pour moi je crois qu'i! y a réellement quelque serpent qu'on a soin d'élever tout petit et d'apprivoiser. Tout ce que je vis ici me parut un reste de l'ancienne idolatrie des serpents sans venin mentionnés par Hérodote. Un les croyait consacrés à Jupiter; et lorsqu'on les trouvait morts, on leur dounait leur sépulture à Thèbes dans le temple de ce dieu. Voici comment s'exprime Hérodote (11, 74):

« Il y a aux environs de Thèbes des serpents sacrés, qui ne font jamais de mal aux hommes. Ils sont petits, et ont des cornes au sommet de la tête. Quand ils sont morts, on les enterre dans le temple de Jupiter, à qui on dit qu'ils sont consacrés. - Sur ce que rapporte Hérodote, que ces serpents cornus sont petits et sans venin, j'observerai à mon tour que la vipère cornue est fort commune en Egypte; mais je la crois venimeuse. Ses cornes sont semblables à celles de l'escargot, si ce n'est qu'elles sont d'une substance plus dure. » (Travels of Richard POCOKE, tom. I, pag. 25.) Je ne crois pas qu'on puisse rien trouver de plus précis que ce fait récent sur le sujet que je traite. Mais continuons le parallèle.

Les Nègres ne mangent jamais de leur animal fétiche; mais ils se nourrissent fort bien de ceux d'une autre contrée. C'était la même chose en Egypte le respect infini pour un animal dans un certain canton, ne lui en attirait aucun dans le canton voisin. Mais quel crime n'aurait-ce pas été que de tuer un chat à Bubaste, que de manger une vache à Memphis ou dans l'Inde. Quelques savants (MARSHAM, Canon. Chron.), de l'avis desquels je ne suis nullement, ont cru que c'était premièrement par là que s'était introduite la coutume religieuse de l'abstinence de certaines viandes.

Pour prix du tribut de respect que l'on payait à l'animal sacré, il devait à son tour répandre ses bienfaits sur la nation; et ce qui me persuade encore mieux que les Egyptiens n'avaient là-dessus qu'une façon de penser peu différente de celle des sauvages, c'est la vengeance que les prêtres tiraient de leur dieu, lorsqu'ils en étaient mécontents. Si la sécheresse, dit Plutarque. (In Isid.), cause dans le pays quelque grande calamité ou quelque maladie pestilentielle, les prêtres prennent en secret pendant la nuit l'animal sacré, et commencent d'abord par lui faire de fortes menaces; puis, si le inalheur continue, ils le tuent sans en dire mot ce qu'ils regardent comme une punition faite à un méchant esprit. »

Les Chinois en usent à peu près de même :

ils battent leurs idoles lorsqu'elles sont trop longtemps sans exaucer leurs prières; et chez les Romains, Auguste ayant perdu deux fois sa flotte par la tempête, châtía Neptune, en défendant de porter son image à la procession avec celle des autres divinités. Voyages de LE COMTE; SUETON., in August.)

Nous avons vu les Nègres avoir des fétiches généraux pour toute une contrée, sans préjudice du fétiche particulier à chaque canton. De même, chez les Egyptiens, il y avait des animaux dont la divinité n'était que locale, tels que le bouc ou l'ibis; il y en avait d'autres généralement respectés dans tout le pays, tels que le bélier dans la haute Egypte, et le bœuf dans la basse. Micerinus (MisCeres), ancien roi d'Egypte, ayant perdu sa fille qu'il aimait éperduement, et voulant, après sa mort, la faire honorer comme on honore une divinité, ne trouva point d'expédient plus propre que d'enfermer le corps (HERODOT. II, 129) dans une figure de vache, qui fut posée dans une espece de chapelle de la ville de Saïs, où l'on brûlait chaque jour de l'encens devant elle, et la nuit on y tenait des lampes allumées. Il fit choix à cet effet d'un des animaux fétiches le plus communément révéré grande marque que le fétichisme et le sabéisme étaient alors les deux seules religions reçues en Egypte, et que l'érection des statues de figure humaine y était rarement d'usage, ou même n'avait pas encore lieu, non plus que l'idolâtrie des hommes déifiés; à laquelle, pour le remarquer en passant, l'Egypte n'a presque pas été sujette, et qui n'a pareillement aucun cours en Nigritie.

Il est bien juste que, puisque les fétiches sont les dieux de l'Afrique, ils y soient aussi les oracles et les talismans; ils n'ont même que ce dernier degré parmi les Maures afri cains, à qui la connaissance d'un seul dieu est parvenue par le mahométisme, qui, tout défiguré qu'il est chez eux, fait néanmoins le fonds de leur religion. Quant aux Nègres, «si l'un d'eux, dit Loyer, se trouve dans quelque embarras fâcheux, il juge aussitôt que son fétiche est irrité, et ses soins se tour nent à chercher les moyens de connaître sa volonté. On a recours aux devins pour faire le tokké, qui ne demande pas peu de mystères et de cérémonies. Le devin prend en ses mains neuf courroies de cuir de la largeur d'un doigt, parsemées de petits fétiches. Il tresse ensemble ces courroies, en prononçant quelque chose d'obscur; il les jette deux ou trois fois comme au hasard. La manière dont elles tombent à terre devient un ordre du ciel, qu'il interprète. »

C'est par un usage à peu près pareil que le roi (Ezech., XXI, 21) de Babylone, debout dans un carrefour, jetait des fièches, comme les Africains jettent des tresses de courroies; et que les Assyriens, au rapport de Théocrite (THEOCR., in Pharmaceut.), faisaient tourner une toupie magique garnie de saphirs et de plaques de métal gravées de caractères astrologiques. On la fouettait avec

une courroie, en invoquant les génies. Michel Plessus qui, en parlant des Egyptiens, appelle yinge une pareille toupie, donne lieu de conjecturer qu'ils s'en servaient aussi. On sait, en effet, que par une méthode usitée pour connaître la volonté des dieux, et fort analogue à celle du tokké, de l'yinge et des flèches, les Egyptiens consultaient le ciel par l'inspection de plusieurs pierreries rassemblées sur une même monture. Nous ignorons le nom qu'ils donnaient en leur propre langue à cette espèce de divination. Il pourrait être le même que celui que portait chez les Hébreux (Voy. SELDEN. Syntagm., p. 39 et 40) un rite réellement sacré; soit que les Egyptiens le voyant pratiquer aux Hébreux, en aient abusé pour le faire dégénérer en superstition; soit que les Hébreux, comme l'ont avancé quelques habiles gens, aient apporté de l'Egypte cette méthode de divination, qui fut véritablement consacrée en leur faveur lorsqu'ils reçurent les lois, ainsi que quelques autres usages étrangers dont ils s'étaient fait une habitude. On l'appelait en Palestine déclaration de la vérité, des mots Orah, « lumen » et « themah, admirari » (PHILO., De Vit. Mos., cap. 3, et RICH. SIM. Dict.), qui peuvent se traduire au propre par lumière admirable, et selon leur sens figuré, par manifestation de la vérité.

Ainsi l'on peut conjecturer que les prétres d'Egypte déclaraient la vérité, et interprétaient les ordres du ciel, en combinant l'éclat que jetaient certaines pierreries fétiches sur lesquelles on laissait tomber les rayons du soleil.

On faisait, en Chanaan, pour de pareilles consultations, des éphods au prêtre du dieu; ce qui se voit par la longue histoire d'une pratique superstitieuse de l'hébreu Michas (Judic. xvi, 1 seqq.) qui demeurait sur la montagne d'Ephraim mais toutes ces formules égyptiennes ou phéniciennes de connaître l'avenir par l'éphod ou par l'urim, et par l'inspection des lames de métal gravées, dont on ornait les théraphins, ou qu'on enchâssait dans les murailles du temple, étaient idolâtres, à l'exception de celle que (JOSEPH., Hyppomnest. ap. Th. GALE, in Jamblic.) Jaoh avait bien voulu consacrer exprès pour le grand prêtre Aaron; tellement que, quoique l'urim et l'éphod fussent du genre des téraphins ou des fétiches talismaniques, et que le livre des juges et le prophète Osée nomment, par homionymie, l'èphod et le réraphin, cependant, les téraphins étaient regardés comme des signes d'idolatrie affectés aux étrangers; au lieu que l'éphod et l'urim hébreux étaient des signes particuliers de Jaoh, dont il avait fait choix lui-même pour manifester par de tels signes sa volonté dans son tabernacle aussi David Cimchi entend par l'éphod le culte véritable, et par les téraphins le culte étranger.

Soit que les traditions du fétichisme d'Egypte nous soient restées en plus grand nombre, soit que ce peuple superstitieux à l'excès y ait été réellement plus enclin,comme il paraît, en effet, que nul autre n'a eu tant de

fétiches, ni de si variés; on a multiplié sur lui à cet égard les railleries que les autres Orientaux, leurs voisins, et même les Grecs, selon la remarque d'Elien (De animal., XII, 5), méritaient de partager.

Pour commencer le détail du fétichisme de l'Asie par la nation la plus voisine de l'Egypte, l'ancienne divinité des Arabes (MAXIM. Tyr.. orat. 38) n'était qu'une pierre carrée un autre de leurs dieux célèbres, le Bacchus de l'Arabie, appelé chez eux Disar, était une autre pierre de six pieds de haut. (STEPHAN. Byz; ARNOB. 1. VI.) On peut voir Arnobe sur les pierres divinisées tant en Arabie qu'à Pessinunte. Il n'y a guère lieu de douter que la fameuse pierre noire, si ancienne dans le temple de la Mecque, si révérée par les nahométans, malgré les saines idées qu'ils out d'un seul Dieu, et de laquelle ils font un conte relatif à Ismaël, ne fût autrefois un pareil fétiche.

Près de là, le dieu Casius, dont la représen tation se voit sur quelques médailles, était une pierre ronde coupée par la moitié : aussi est-elle nommée par Cicéron, Jupiter lapis.

L'objet du culte religieux de la tribu de Coresh était un arbre acacia. Kaled, par ordre de Mahomet, fit couper l'arbre jusqu'à la racine, et tuer la prêtresse. La tribu de Madhaï avait un lion, celle de Morad un cheval: celle d'Amiyar, qui sont les anciens homérites, dans le pays d'Yemen, un aigle. (Vide ALSHARISTA NI.) Cet aigle sacré s'appelle Nasr en la langue du pays, et cette interprétation nous apprend, selon l'apparence, mieux qu'aucune autre, ce que c'est que le dieu Nisr ou Nisroch mentionné dans la Bible: cependant on a donné diverses autres explications de ce terme, que je ne laisserai pas que de rapporter ci-après.

Mais venons à des faits bien antérieurs à tout ceci, et qui remonteut à la plus haute antiquité dont il y ait mémoire parmi les peuples païens. Nous y verrons quelle idée ils avaient eux-mêmes sur l'origine du culte des astres, des éléments, des animaux, des plantes et des pierres. On aura lieu de remarquer, non sans quelque surprise, que, plus le témoignage est ancien, plus le fait est présenté d'une manière simple, naturelle, vraisemblable; et que la première raison qu'on ait donnée de l'introduction de ce culte. est encore la meilleure et la plus plausible qui ait jamais été alléguée de sorte qu'elle pourrait suffire, si sa simplicité, qui ne permet pas d'en faire l'application à tant d'obJets variés de l'adoration des peuples sauvages, n'obligeait d'avoir encore recours à quelque autre cause plus générale.

Il n'y a rien de plus ancien ni de plus nettement déduit sur le premier cuite des anciennes nations sauvages de l'Orient, que ce qu'on lit à ce sujet dans le fragment de Sanchoniaton, ouvrage non suspect, si on l'examine bien à fond, quoique interpolé tant par Philon de Biblos, son traducteur, que par Eusèbe qui en a donné un extrait, et qui, tous deux, ont mêlé leurs réflexions au texte original. Sanchoniaton a non-sculement le

mérite d'une haute antiquité, mais encore celui d'avoir eu sous les yeux des écrits antérieurs au sien, qu'il dit avoir tirés, partię des annales particulières des villes de Phénicie, partie des archives conservées dans les temples; et d'avoir recherché avec soin, et consulté, par préférence, les écrits de Thoth l'égyptien, persuadé, dit-il, que Thoth, étant l'inventeur des lettres, ne pouvait manquer d'être le plus ancien des écrivains. Voici comment s'explique l'auteur phénicien sur l'ancien culte des objets matériels. Le passage est important, fort raisonnable et trèsclair (SANCHONIAT. ap. Euseb., 1, 9 et 10):

« Les premiers hommes prirent pour des êtres sacrés les germes de la terre ils les estimèrent des dieux, et les adorèrent, parce qu'ils entretenaient leur vie par le moyen de ces productions de la terre, auxquelles ils devaient déjà la vie de leurs pères, et devraient à l'avenir celle de leurs enfants. Us faisaient des effusions et des libations. L'invention d'un tel culte convenait assez à leur faiblesse et à l'imbécillité de leur esprit... Aion avait touvé la façon de se nourrir des arbres... Genos et Genea, ses enfants, élevèrent leurs mains au ciel vers le soleil, qu'ils croyaient le seul dieu du ciel et appelaient par cette raison, Baal-Samain, le seigneur des cieux. (Ici le traducteur Philon insère cette remarque relative à son objet, qui était de réfuter les opinions systématiques des Grecs: Ce n'est pas sans motif que nous faisons souvent ces distinctions: elles servent à faire connaître les personnes et les actions. Les Grecs, n'y faisant pas réflexion, ont souvent pris une chose pour une autre, trompés par l'équivoque des termes...

Les vents impétueux agitèrent à tel point les arbres du pays de Tyr, que les bois, par l'agitation, prirent feu et une forêt bralée. Ousoos prit un arbre et coupa les branches, sur lesquelles il eut la hardiesse de se mettre en mer. Il consacra au vent et au feu deux colonnes i les adora, et leur fit des libations du sang des bêtes qu'il prenait à la chasse. Après que cette génération fut finie, ceux qui restèrent consacrèrent des branches de bois, adorèrent des colonnes, et leur firent des fêtes annuelles... Ouranos trouva les botyles et a fabriqué les pierres animées, ou plutôt, selon la juste correction de Bochart, les pierres graissées, lapides unclos. »

Il parle aussi dans le même fragment des apothéoses des hommes déifiés, de l'érection des temples et des statues, des sacrifices humains, etc. Son histoire contenait neuf livres, dont le premier était employé à déduire les opinions vulgaires ayant cours en Chanaan sur les origines des choses, des hommes et des arts; sur la formation du monde; sur les premiers auteurs de chaque invention commune et utile à la vie, sur l'introduction du culte divin; sur les chefs des nations, surtout phénicienne et égyptienne; sur l'établissement du pouvoir souverain. Tous ces points n'y sont touchés que de gros en gros, seulement autant qu'il en est besoin pour donner une notice des événements

les plus remarquables; soit que l'auteur n'ait pu, faute de plus amples connaissances, entrer dans un plus grand détail, soit que l'extrait qui en reste ne contienne qu'un abrégé de l'original. Son narré, quoique obscur sur les choses naturelles, assez dénué de liaison dans les faits et dans les prétendues généalogies, quelquefois mêlé de fables populaires, ne laisse pas que de nous faire bien connaître quelles étaient, sur tous ces points, la croyance et la tradition du peuple chananéen. Au fond, elles se rapportent en gros, sur la plupart des articles principaux, avec celles des peuples leurs voisins, chaldéens, hébreux et égyptiens, même grecs. On y voit qu'ils ont tous écrit les traditions reçues chez eux, et à peu près sur le même fonds d'idées; si ce n'est que la vérité, qui se retrouve pure chez les Hébreux, est souvent omise ou défigurée chez les nations voisines. Mais, quant au détail des circonstances, ils ne s'accordent plus, ce qui est très-naturel. La chose n'arrive-t-elle pas dans les histoires de faits récents qui conviennent ensemble sur le fond des événements? Rien de plus vain que les efforts et les suppositions qu'on voudra faire pour mettre une conformité totale entre les opinions de l'antiquité. Chaque pays a ses fables propres, qui ne sont pas celles d'une autre contrée, et qu'il faut lui laisser.

Je croirais volontiers que l'ouvrage de Sanchoniaton était intitulé: Origines phéniciennes, Περὶ τῶν φοινικίκων στοιχείων, De Phanicum elementis. et que le livre de cet auteur, cité aussi par Philon sous ce titre, n'est pas autre chose que sa grande histoire en neuf livres dédiée au roi Abi-Baal, où l'on voit que son principal but a été de parler des inventeurs des arts, qui se sont rendus célèbres de temps à autre; de faire l'histoire des apothéoses, en indiquant ceux qui par leurs inventions utiles, ont été mis au rang des dieux, et honorés d'un culte public; de distinguer l'établissement des différents objets de culte rendu soit aux astres, soit aux choses matérielles, soit aux hommes. Il nous indique quels étaient les plus anciennement reçus parmi ceux de la seconde espèce et peut-être en rapportait-il beaucoup d'autres dans son ouvrage dont nous n'avons plus qu'une très-petite partie; car nous apprenons d'ailleurs que ces objets étaient fort variés dans le pays dont il a écrit l'histoire.

Bénadad, roi de Damas (IV Reg. v, 18; et SELDEN, II, 10; et CLERIC in Reg.), avait son dieu Rimmon, dont le nom en hébreu signifie une grenade ou une orange. La Palestine avait des poissons nommés en langue du pays Dagon et Atergatis (Dag., Piscis, Aderdag, magnificus Piscis (DAVID CIMCHI, in Reg. 1, 5); des brebis (Astheroth, oves), des chèvres ou d'autres menus bestiaux appelés Anamelech (Pecus rex) (Vid. NIGID. ap. Germanic. in Arat. Phænomen. ; une colombe nommée depuis Sémiramis; une pierre carrée nommée aussi depuis Astarté ou Vénus Uranie car il faut, comme dit le poëte Milton en pareil cas, se servir des noms institués

depuis pour des dieux qui n'en avaient point. alors. (PAUSAN., Attic. c. 14.) Nomen lapidibus et lignis imposuerunt, dit le livre de la Sagesse. (XIV, 21.) Le nom d'Asarah, autre divinité phénicienne que le roi Josias (IV, Reg., xxш, 6) fit brûler, se traduit communément par idolum ex luco: ce qui paraît signifier un bois sacré plutôt qu'une statue de bois. Nisr, l'une des divinités de Ninive, # signifie, dit-on, en persan, bois touffu (HYDE, Rel. Pers. chap. 4, 5); il y a grande apparence néanmoins que c'est le même que le dieu Nisroch du roi Sennachérib (Sennichérif) dont Kirker (in Pantheo) traduit le nom par arche ou canot. On donnait le nom de khamos à un gros moucheron de bronze forgé en cérémonie talismanique sous l'aspect de la planète Jupiter (HYDE, ibid.): c'est un mélange de fétichisme et de sabéisme.

Je ne parle pas ici de Bel-zebub, le dieu mouche, persuadé comme je le suis que Belzebub et Belzebul sont des altérations et de fausses prononciations ironiques de Beelzebuth, qui me parait être le même mot que Baal-Sabaoth, en latin Jupiter Sabazius, le dieu des armées, ou plutôt le dieu des orientaux: quoique les Grecs aient eu un Jupiter chasse-mouches, eûç àñáμvos.

Aglibel, ou le dieu rond (Agli-Baal, rotundus dominus), pierre ronde en forme de cône, était la divinité des fétichistes d'Emesse, tandis que les sabéistes de Palmyre adoraient le soleil sous ce même nom; comme nous le voyons sur un marbre de cette superbe ville, où l'on a représenté deux figures du soleil, avec l'inscription grecque Aglibel et Malachbel, dieux du pays. Selden (Synt. 1, p. 149) explique le mot Aglibel, ou Ahgol-Baal par rotundus deus. D'autres assurent qu'il signifie vitulus deus, ce qui a toujours rapport au culte des animaux divinisés.

Le dieu Abbadir (Abb-adir, pater magnificus), était un caillou, et la déesse de Biblos à peu près la même chose. Nicolas de Damas décrit un de ces fétiches: « C'est, dit-il, une pierre ronde, polie, blanchâtre, veinée de rouge, à peu près d'un empan de diamètre. » (Ap. EUSEB. Præpar. I. 1.) Cette description nous apprend quelle était la forme des pierres divinisées et nommées botyles, au rapport de Sanchoniaton, dont le culte, selon Jui, est si ancien, qu'il en fait Uranos le premier instituteur. Les pierres de cette espèce qu'on voyait rangées en grand nombre sur le mont Liban, avaient été autrefois les grandes divinités du pays. (DAMASC. ap. Phot. n. 241, p. 1063.) Il y en avait entre Byblos et Héliopolis qui faisaient des miracles à milliers on en consacra à Jupiter, au Soleil, à Saturne, à Vénus. (ASCLEPIAD. ap. Damase. ibid.) Les pierres enveloppées de langes que Saturne dévora, selon la fable grecque, au lieu de ses enfants, étaient de tels botyles. Ils nous rappellent l'idée de ces morceaux' de pierre ou de bois enveloppés de fourrure (HEZICH.), de coton, ou de toile, que l'on trouve dans les îles de l'Amérique et chez les sauvages de la Louisiane, et qu'ils tien nent soigneusement cachés dans le sanc

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