Page images
PDF
EPUB

ou montraient des singes, des chiens et autres animaux savants. Souvent tous réunis représentaient une querelle de femmes, des scènes d'hommes niais ou de gens ivres et des pièces dramatiques. M. Jal, dans son Dictionnaire critique de biographie et d'histoire, cite plusieurs de ces bouffons ambulants qu'il nous représente comme

[graphic][subsumed][merged small]

admis à travailler même devant des souverains comme le roi Charles VI ou la reine Anne de Bretagne.

Il est vraisemblable que ces bouffons de rencontre n'avaient pas tous le même costume, et que sauf quelques traits particuliers qui servaient à les distinguer du commun, ils s'habillaient de pièces et de morceaux, suivant l'usage ordinaire des bateleurs et des amuseurs de profession. Il n'en était pas de même pour les bouffons en titre attachés à la suite d'un grand per

sonnage laïque ou ecclésiastique. Il y avait pour ceux-là un « habit de fol» toujours ou presque toujours le même malgré quelques différences de détail. Dans un petit poème du quinzième siècle intitulé les Souhaiz du Monde où chaque état parlant à son tour exprime ses vœux, le bouffon parle ainsi :

« Pour mon souhait qui nuyt et jour m'assotte,
Je souhaitte des choses nompareilles :

Premièrement une belle marotte

Et chapperon garny de grans oreilles,
Des sonnettes faisant bruyt à merveilles,
Fy de soucy, de chagrin et de deul,
Dancer de hait dessoubs buissons et treilles,
Bon appétit pour vuider pots, bouteilles,
Et à la fin pour trésor un linceul. »

Le bouffon avait en effet comme attribut distinctif une marotte c'était une sorte

de sceptre surmonté d'une tête coiffée d'un capuchon bigarré de diverses couleurs et garni de grelots, dont le nom marotte ou mariotte serait un diminutif de Marie. Le bouffon portait en outre une sorte de bonnet pointu, garni de longues oreilles terminées par des grelots: il semble même que ce soit surtout ce capuchon qui ait caractérisé la condition de fou; car dans une curieuse gravure tirée d'un ouvrage

allemand publié en 1512, le Grelots de fou au bonnet et souliers

Schelmenzunft (la corpo

à la poulaine, d'après une estampe

ration des fous) on voit un personnage décoré de ce capuchon dont les pointes sont rabattues à gauche et à droite, et portant dans une sorte de serviette attachée à son cou de petits bouffons qui n'ont que la tête ou le buste, et qu'il sème autour de lui dans la campagne; ces germes de bouffons destinés à grandir se reconnaissent comme le semeur lui-même au fameux bonnet,

[graphic][merged small]

avec cette différence qu'ici les pointes en sont droites. et semblables à des oreilles d'âne.

Quant au vêtement des bouffons, c'était une jaquette découpée à angles aigus, sur laquelle ils portaient le plus souvent une épée de bois doré et parfois aussi une vessie de porc gonflée renfermant une poignée de pois secs et suspendue à l'extrémité d'une baguette. Ce sont les cadeaux que Panurge fait à Triboulet au livre III, chapitre XLV du Pantagruel : « Panurge à sa venue luy donna

une vessie de porc bien enflée et résonnante à cause des pois qui dedans estoient, plus une espée de bois bien dorée, plus une petite gibecière faite d'une coque de tortue, plus une bouteille clisséc1, pleine de vin breton

[graphic][merged small]

et un quarteron de pommes blandureau. Triboulet ceignit l'espée et la gibecière, prit la vessie en main, nangea part des pommes, but tout le vin. Panurge le

1. Garnie d'une clisse ou d'une enveloppe d'osier tressé.

regardoit curieusement et dit : « Encore ne vis-je oncques fol, et si en ay vu pour plus de dix mille francs, qui ne bût volontiers et à longs traits. » On le voit; bien boire était aussi un attribut de la profession.

La couleur du costume des bouffons n'était pas indifférente. Ce costume était bariolé de jaune et de vert. Ces deux couleurs n'ont jamais eu, surtout au moyen âge, une excellente renommée. Vert était le bonnet dont on coiffait le banqueroutier au pilori des Halles; verte aussi était autrefois la calotte du galérien au bagne. Pour le jaune, il fut toujours au moyen âge une marque de félonie, de déshonneur, de bassesse ou de mépris. M. Leber dans le livre intitulé: Monnaies inconnues des évêques des innocents, des fous, recueillies et décrites par M. M. J. R. (Rigollot) d'Amiens, avec des notes et une introduction sur les espèces de plomb, le personnage de fou et les rébus dans le moyen âge par M. C. L. (Charles Leber), Paris, 1837, rappelle que le bourreau imprimait à la maison d'un criminel de lèse-majesté le cachet de l'infamie en la barbouillant de jaune. C'était la couleur des laquais et plus particulièrement des valets employés aux exécutions de la haute justice. Le concile d'Arles, en 1254, ayant décrété que les juifs porteraient sur l'estomac une marque ronde qui les distinguât des chrétiens, saint Louis voulut que cette marque fût d'étoffe jaune.

Les fous portèrent à leur tour ces couleurs qui firent dès lors partie de leurs attributs, et cela au moins jusqu'au dix-septième siècle. Un journal inédit de 1614 à 1620 cité par M. A. Cheruel dans son Histoire de l'administration monarchique en France1, raconte que,

1. Tome I, page 272.

[ocr errors]
« PreviousContinue »