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il y a chez nos voisins d'outre-Manche un autre Punch plus véritablement bouffon, satirique, franc parleur, jovial, prêt à siffler tout scandale, à fustiger tout ridicule, et qui pourrait être comparé au Pasquin de la place Navone. Aujourd'hui même encore, ce Punch joue un grand rôle, surtout dans la politique. Tout homme célèbre, tout évènement considérable est salué ou raillé par lui. On raconte que lord Nelson, le vainqueur d'Aboukir et de Trafalgar, fut représenté un jour à côté de Punch avec cette légende : « Viens ici, Punch, mon garçon, viens sur mon bord m'aider à combattre les Français1. Je te ferai capitaine ou commodore, si tu veux. Nenni, nenni, répondait Punch, je ne me noierais. N'aie donc pas peur. Ne sais-tu pas que celui qui est né pour être pendu ne court aucun risque de se noyer? »

C'est surtout au moment des élections que s'exerce la verve satirique de Punch. Au début de ce siècle, sir Francis Burdett, un des membres les plus distingués du parti libéral, ami de Fox', qui protesta à la Chambre

un nom d'emprunt, il se peignait lui-même, racontant ses propres aventures. Ce ne fut pas son premier ouvrage, mais c'est celui qui le plaça tout d'un coup au-dessus des autres poètes de l'Angleterre contemporaine.

1. Horace Nelson fut l'ennemi acharné de la France au commencement de ce siècle. La haine que William Pitt avait vouée à notre pays l'inspira plus que tout autre Anglais de son temps. C'est lui qui enferma Bonaparte en Egypte par la victoire d'Aboukir du 1er août 1798. C'est lui encore qui, à Trafalgar (21 octobre 1805), fit échouer le plan d'invasion que Napoléon Ier avait préparé contre la Grande-Bretagne; mais il y resta enseveli dans son triomphe. L'Angleterre lui fit des funérailles royales et lui éleva un tombeau dans l'abbaye de Westminster.

2. Charles Fox fut pendant trente ans, de 1776 à 1806, le chef et l'orateur le plus brillant du parti libéral au Parlement (d'Angleterre. Plusieurs fois ministre, il combattit toujours la politique de

des Communes contre le rétablissement des Bourbons en France, ne dédaignait pas de solliciter le concours de Punch pour faire réussir sa candidature au Parlement. On le représentait arrivant chez

Punch en humble solliciteur.

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« Pour qui êtes-vous, monsieur Punch? disait-il d'une voix douce. J'espère que vous me donnerez votre appui. Je n'en sais rien. Demandez à ma femme. Je laisse toutes ces choses à gouverner à mistress Punch. C'est très bien fait. Que dites-vous, mistress Judy? Vive Dieu! le joli petit poupon que vous avez là! Je voudrais que le mien lui ressemblât.

Eh! mais cela aurait pu arriver, sir Francis, car vous ressemblez beaucoup à mon mari. Vous avez comme lui un nez de grande et belle dimension. C'est la vérité, mistress Judy. Mais lady Burdett ne vous ressemble pas, ajoute Burdett en l'embrassant. Oh! lejoli nourrisson vraiment! Comment vont ses petites entrailles? Comme un

M. Punch. personnage moderne.

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Pitt, qui voulait que l'Angleterre haît la France, comme Rome haïssait Carthage. Il s'efforçait au contraire de mettre un terme aux inimitiés qui divisaient ces deux grandes nations, et il fut assez heureux pour voir en 1783 et en 1802 ses idées triompher. Il se préparait à négocier une nouvelle paix entre le cabinet de Saint-James et celui des Tuileries, lorsqu'il mourut en 1806. Cette fin prématurée fut un malheur pour l'Angleterre, la France et l'Europe.

charme, je vous assure. » Et Mistress Judy, flattée dans son orgueil de mère, accorde la voix de Punch à un si aimable candidat1.

Le Punch anglais a son sosie en Allemagne; mais celui-ci c'est un farceur plus lourd, plus grossier, un bouffon de « haulte graisse et de forte beuverie ». C'est le Hanswurst, le Jean Boudin. Lui aussi descend en droite ligne du Maccus des Atellanes. La plus ancienne et la plus exacte définition du personnage se trouve dans les écrits de Martin Luther. L'auteur de la Réforme le fait souvent intervenir dans ses conversations familières. Il a même donné ce nom comme titre à un libelle dirigé contre le duc Henri de Brunswick-Wolfenbuttel. « D'autres, dit-il, ont employé ce nom avant moi pour désigner des gens grossiers et malencontreux qui, voulant montrer de la finesse, ne commettent que des balourdises et des inconvenances. C'est dans ce sens qu'il m'est arrivé souvent d'en faire usage principalement dans mes sermons. » Depuis Luther, le type a variė. Il ne faut pas croire cependant que le Hanswurst de nos jours soit, comme on l'a dit, un Arlequin allemand. Ce bouffon balourd et vorace, replet et corpulent, est bien différent de notre Arlequin, toujours léger, svelte, alerte et spirituel. C'est là, d'ailleurs, un type qui n'aurait aucune chance de plaire et de faire fortune dans les pays d'outre-Rhin. Ces personnages ne deviennent populaires qu'à la condition de rappeler par quelques traits le caractère des habitants. Il faut qu'on puisse à certains égards les considérer comme des types nationaux.

1. Ajoutons que le plus vif et le plus spirituel des journaux satiriques de Londres a pris et porte encore aujourd'hui le titre de Punch.

Le bouffon populaire en Hollande est aussi un Hanswurst qui se rattache étroitement au Maccus comme ses collègues. Mais depuis longtemps ce personnage n'est plus qu'un paillasse qui bat la caisse à la porte et invite la foule à entrer. Autrefois il jouait un drame animé par les plaisanteries d'un bourgmestre et d'un lourd paysan de la Frise. Aujourd'hui il est remplacé comme acteur par le Hans Pickelhäring (Jean Hareng salé) et par le Hans Klaassen (Jean Nicolas), qui tous deux ont les mœurs turbulentes du Pulcinella napolitain et du Punch anglais.

Enfin il y a encore un llanswurst en Autriche, le joyeux paysan Casperlé, qui est lui aussi un descendant authentique du Maccus, et qui, comme son ancêtre, dans les parades foraines, égaye surtout les gens de la campagne par ses tours facétieux et ses lazzi burlesques. L'antique personnage des Atellanes a ainsi engendré toute une lignée de petits-fils qui ont perpétué à travers les âges son nom, ses grimaces et son personnage, et qui, depuis tantôt vingt siècles, ont contribué à répandre au sein des masses populaires le don de la gaieté.

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Maccus est comme le Protée de la fable: il revêt mille formes suivant les temps et suivant les pays. Nous l'avons vu en Italie, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande. Il fait aussi, sous le nom de Karagheuz, les délices de la population des faubourgs de Constantinople1. Sur les places du vieux Stamboul, une figurine grotesque représente en charge un Turc de la classe moyenne, sorte d'ombre chinoise qui remue les bras, les jambes et la tête derrière un voile transparent. C'est le Karagheuz qui joue toujours avec son compère HadjiHaiwath le premier rôle dans certaines comédies singulièrement bouffonnes. Karagheuz, parent dépravé de Polichinelle, sot, fourbe et cynique, aussi mal embouché qu'un drôle de bas étage, fait rire et même hurler d'enthousiasme son auditoire par toutes sortes de bons mots, de calembourgs, de gestes extravagants qui le plus souvent n'ont rien de commun avec le ton et avec les manières d'une honnête compagnie.

1. Voir Edmondo de Amicis. chette, 1876, page 132.

Constantinople. Paris, Ha

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