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de tout dire et de tout faire, à condition cependant de ne point s'exposer aux redoutables colères de l'Inquisition. Quand tout se taisait autour du trône, quand les cœurs étaient pétrifiés par la crainte ou corrompus par l'adulation, lui seul élevait la voix, et, au bruit des grelots de sa marotte, faisait entendre une libre parole aux puissants du jour. Toutefois, malgré l'indulgence de Brantôme, nous ne pouvons nous empêcher de penser que Brusquet poussait parfois bien loin l'exercice de cette liberté.

Brusquet, qui survécut à Henri II, resta à la cour sous le règne de François II, et même sous celui de Charles IX. Mais la fin d'un si facétieux personnage qui avait égayé trois règnes ne répondit guère à une faveur si constante. Brantôme termine ainsi son histoire : « Enfin, le pauvre diable fut soupçonné de religion1, et que, pour la favoriser, il faisoit perdre et soustraire force paquets et dépêches du roy qui faisoient contre les huguenots. Mais ce ne fut pas tant luy comme son gendre qui estoit huguenot, sy jamais homme le fust, et pour ce, fict perdre et son beau-père et sa maison qui fut pillée aux premiers troubles. Et fut contrainct de sortir de Paris et de se sauver chez Madame de Bouillon à Noyant, qui le retira de bon cœur, et Madame de Valentinois par souvenance du feu roi Henry. De là il écrivit une lettre à M. de Strozze (le fils du maréchal2

1. C'est-à-dire, le calvinisme.

2. Philippe de Strozzi, né à Venise en 1541, fut colonel des gardes françaises dès 1565, et, à ce titre, prit une grande part aux guerres de religion. Il figurait dans le groupe des conseillers intimes qui préparèrent avec Catherine de Médicis l'abominable complot de la Saint-Barthélemy. La fin de ce Strozzi fut tragique. Il avait été chargé de commander les secours envoyés par la France au prieur don Antonio de Crato, qui essayait d'arracher le Portugal

dont nous avons conté les tours), qui me la montra qui estoit très bien faicte, et le prioit et le conjuroit, par la grande amitié que luy avoit portée M. le mareschal son père, avoir pitié de luy et luy faire pardonner, afin qu'il pust parachever le reste de ses vieux jours en paix et en repos. Mais il ne la fist guère longue après, car il y mourut. »

Il semble cependant que la requête de Brusquet présentée par Strozzi sans doute à Catherine de Médicis, qui prisait beaucoup le fils du maréchal en sa qualité de Florentin, ait été favorablement accueillie, car le compte de l'argentier de Charles IX, cité par M. Jal, mentionne à l'année 1565 « des chausses de velours noir découpées à petites bandes avec franges d'or doublées de tocque d'or et bouillonnées de taffetas noir rayé d'or et d'argent pour servir à Brusquet », à l'occasion d'une grande fête où parurent dans un tournoi presque tous les officiers de la maison de Charles IX. Brusquet était donc encore attaché, à cette date, à la domesticité royale. Mais on peut croire qu'il n'était plus que l'ombre de lui-même, et que les chagrins et les tourments avaient tari sa verve. Peut-être même ne figurait-il plus qu'à titre honoraire, pour ainsi dire, au nombre des officiers du roi, comme une sorte de témoin des règnes antérieurs que l'on se montrait avec curiosité. Quoi qu'il en soit, il faut évidemment reculer au moins jusqu'à cette année 1565 la date de la mort de Brusquet, contrairement à l'opinion de Dreux du Radier qui le fait mourir à Anet, chez Mme de Valentinois, en 1562 ou 1563. Brusquet garda

à la domination espagnole. Fait prisonnier par l'amiral SantaCruz à la bataille navale des Açores en 1582, il fut jeté à la mer.

donc pendant un tiers de siècle, de 1555 à 1565, la charge de bouffon en titre d'office, on a vu avec quel éclat, au moins sous le règne de Henri Il, qui fut la partie la plus heureuse de sa vie. On peut dire de lui qu'il est véritablement le maître du choeur des bouffons en titre d'office.

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Brusquet avait des collègues à la cour de llenri II. Sans doute sa supériorité dans le grand art de la bouffonnerie était si parfaitement reconnue et acceptée de tous qu'aucun rival ne pouvait songer à lui disputer la place et à élever marotte contre marotte. Mais Brusquet n'était pas toujours là. Ses devoirs de maître de poste le tenaient parfois éloigné de la cour. Parfois aussi il accompagnait en voyage diplomatique ou autre quelque personnage de distinction, comme on l'a vu pour le cardinal de Lorraine. Il fallait donc un suppléant à Brusquet pour dérider pendant ses absences la majesté royale.

Ce suppléant s'appelait Thonin ou Thony, diminutif d'Antoine. Il amusa successivement Henri II, François II et Charles IX, depuis 1556 où son nom figure pour la première fois dans les registres des comptes financiers de la couronne jusqu'à la fin de 1572, bien que suivant toute apparence il ait perdu son titre de bouffon quelque temps avant de mourir.

Brantôme, dans ses Hommes illustres', nous parle de

1 Voir Brantôme, chapitre intitulé: Reprise de la vie d'Anne de Montmorency.

Thonin qu'il ne prétend pas assurément comparer à Brusquet, mais qu'il paraît aussi priser cependant :

« Il avoit esté premièrement à feu M. d'Orléans', qui le demanda à sa mère en Picardie, près de Coussy, laquelle le luy octroya malaysément, d'autant, disoit

Thonin d'après Clouet (collection Hervard).

elle, qu'elle l'avait voué à l'Église, pour prier Dieu pour deux de ses frères qui estoient fols. L'un s'appelloit Gazan, et l'autre dont je ne me souviens pas du nom fut à M. le cardinal de Ferrare. Et s'il vous plaist, voyez

1. Second fils de François Ier, mort avant son pèrc.

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