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centre intellectuel se forme ou reçoit. C'est ainsi qu'il trouve à l'eau la saveur de la liqueur qu'il croit ou a l'intention de boire. Quand bien même les faits de vue à distance et de divination, avec lesquels on alimente et on exploite encore aujourd'hui la crédulité humaine, auraient reçu une consécration scientifique, ils n'autoriseraient pas encore à croire à l'existence d'un pouvoir surnaturel. Car les quelques renseignements qu'on fournit au magnétisé suffisent, son imagination aidant, à faire naître en lui une série d'idées qui se rapprochent toujours plus ou moins de ce qui existe et que la bonne volonté des croyants transforme ensuite facilement en la reproduction exacte de la réalité. Ces idées, une fois nées et systématisées, réagissent immédiatement sur la couche optique et y évoquent des images subjectives qui font croire au sujet lui-même qu'il voit réellement. La vue et l'audition par l'épigastre, si elles étaient démontrées, ne seraient même pas complétement incompatibles avec les lois de l'innervation. Un ébranlement apporté par le plexus solaire peut s'étendre jusque dans la couche optique, se répandre dans toute son étendue et ne faire entrer en activité que les cellules du noyau visuel ou celles du noyau auditif, toutes les autres parties de ce foyer général de toutes les sensibilités se trouvant, ainsi que le reste du système nerveux, plongées momentanément dans l'inertie. par suite de l'état morbide dit somnambulisme (1).

Hypnotisme. On donne ce nom à un sommeil artificiel qui est identique avec celui du magnétisme animal et qui n'en diffère que parce qu'il a été provoqué par des manœuvres en apparence différentes et dans le but d'obtenir l'anesthésie et non pas les manifestations intellectuelles plus ou moins bizarres du somnambulisme artificiel. C'est un médecin de Manchester, Braïd, qui, en 1841, apprit au monde médical qu'il suffit de regarder, à une distance de quelques centimètres du nez, pendant 20 ou 30 minutes, très-fixement, un corps brillant pour s'endormir, devenir insensible et pouvoir subir des opérations sans en éprouver la moindre douleur. Le fait était loin d'être nouveau cependant, car, depuis longtemps, les voyageurs avaient déclaré que les moines du mont Athos tombent à volonté en catalepsie, en fixant leur nombril; que les fakirs des Grandes • Indes s'endorment et deviennent complétement insensibles en re

(1) Richet dit que le somnambulisme artificiel n'est qu'une névrose expérimentale, dont on retrouve des éléments épars dans les autres névroses (Journal de l'Anat. et de la Phys., juillet 1875, page 348).

gardant le bout de leur nez. Depuis bien des siècles, les endormeurs égyptiens déterminent le sommeil en faisant fixer soit une boule de cristal, soit une assiette blanche sur laquelle sont tracés deux triangles croisés, le tout étant rendu plus brillant par une couche d'huile. Dans nos pays, l'expérience du vulgaire avait aussi précédé la science; car, dans bien des localités, les gens du peuple ont l'habitude de placer au-dessus du berceau de leurs enfants des boules ou des objets brillants pour leur faciliter l'arrivée du sommeil. Qui ne sait encore qu'on endort très-vite une poule en lui tenant le bec fixé à l'extrémité d'une ligne blanche tracée sur le sol? L'idée de l'application à la chirurgie n'était elle-même nouvelle qu'en Europe. Car, avant cette époque, le docteur Esdarte, dans les Indes, endormait ses malades en les forçant à fixer la figure de son domestique nègre, lequel avait pour mission d'incliner sa tête par-dessus le chevet du lit. Toutefois, il faut le reconnaître, c'est Braïd qui a dondé à ce fait un véritable passe-port scientifique pour l'Occident; mais sa croyance dans la valeur de la phrénologie l'a entraîné au delà des limites du positif et même du vraisemblable. Il a prétendu qu'en pressant certaines parties du crâne, on pouvait suggérer les idées correspondantes aux protubérances phrénologiques. Une autre observation qui résulte de ses recherches sur les divers affluents du même sujet, et qui a été sanctionnée depuis, c'est que si on place un cataleptique dans une pose exprimant l'orgueil, ou l'humilité, ou la colère, immédiatement le sujet éprouve ces divers sentiments. Il y a là une preuve bien remarquable de l'influence réciproque qu'exercent entre elles les parties périphériques et centrales du système nerveux, puisque, si le sentiment provoque la mimique, celle-ci peut engendrer, à son tour, l'acte affectif. En France, M. Azam, de Bordeaux, a repris les expériences de Braïd et a tenté de substituer la pratique de l'hypnotisme à l'emploi du chloroforme. Sa tentative a échoué, à cause de la grande inconstance des résultats et parce que l'ébranlement qu'on donne alors au système nerveux expose à des dangers presque aussi sérieux que ceux qui sont inhérents au chloroforme. Dégagé de ses applications, le phénomène de l'hypnotisme n'est en définitive qu'un mode de manifestation du nervosisme, spécialement déterminé par la fatigue des yeux soumis à une impression vive, constante et exclusive, et placés artificiellement dans les conditions du strabisme convergent. Cette titillation particulière de l'appareil de la vision n'arrive à troubler l'innervation d'une façon

réellement appréciable que chez les individus qui possèdent un système nerveux exalté; ce qui explique l'inconstance des résultats qu'Azam a eu le tort de vouloir généraliser. Quand des troubles se manifestent, ils peuvent fort bien consister en de la catalepsie, de l'extase et même dans de l'hystérie convulsive, ce qui prouve bien que l'excitant ne fait ici que développer les aptitudes personnelles de nervosisme. Si ces troubles ne prennent pas ces formes spéciales, alors seulement ils constituent le véritable appareil symptomatique de l'hypnotisme proprement dit. Il survient une anesthésie générale qui est remplacée plus tard par de l'hyperesthésie. Toutefois, cette dernière n'apparaît pas pour l'œil. Elle porte surtout sur le sens musculaire et sur celui de la température. L'ouïe acquiert une telle finesse qu'une conversation peut être entendue d'un étage à l'autre. La seule chose qui semble au premier abord établir une ligne de démarcation entre les hypnotisés et les somnambules, c'est que, chez les premiers, l'anesthésie et l'hyperesthésie peuvent exister, l'intelligence restant inctacte; tandis que, chez les seconds, les facultés intellectuelles sout en même temps perverties et exaltées. Mais ce n'est pas là une différence réelle. Tout dépend de la direction que l'on donne à l'excitant. Chez l'hypnotisé, il n'y a que des troubles des sens, parce que l'excitant s'adresse uniquement aux organes des sensations. C'est, au contraire, à l'intelligence et surtout à l'imagination des somnambules que l'on parle; et les questions que l'on adresse pendant l'accès ne font qu'entretenir le trouble intellectuel provoqué par les passes et le jeu de physionomie. La découverte de l'hypnotisme a eu, du moins, le mérite de démontrer l'absurdité de la théorie du fluide magnétique et de ramener le magnétisme animal à sa juste valeur.

Léthargie. L'activité de la vie se présente avec des degrés infinis à l'état de veille. La période active de certains individus serait presque du sommeil pour d'autres. La même richesse de nuances se rencontre dans la période opposée, celle du repos. Le sommeil oscille autour d'une moyenne physiologique dont il peut s'éloigner assez pour donner naissance à des nuances pathologiques. Les unes sont en deçà, les autres au delà de cette moyenne. Les états que nous venons d'examiner sont des spécimens des premières. Les autres se présentent avec des physionomies moins nombreuses et moins caractéristiques. Jusqu'à présent, la pathologie classique n'a même envisagé que les plus extrêmes, dont elle a fait une seule maladie,

la léthargie. Au plus haut degré, l'économie présente toutes les apparences de la mort. Elle n'est plus une statue animée comme dans le somnambulisme; elle n'est même plus une statue expressive comme dans l'extase. Elle est devenue la statue du sommeil. L'immobilité est absolue. Les stimulants les plus violents n'arrivent pas à réveiller les sens. Rien ne peut sortir les muscles de leur inertie; pas le plus léger frémissement fibrillaire à la face venant attester l'existence d'un moment de rêve. L'intelligence est aussi anéantie que le corps. La respiration et la circulation sont réduites à si peu de chose qu'il est presque impossible de constater la persistance de ces fonctions. Cet état est bien distinct du coma où la face est congestionnée, où le pouls vibre d'une manière exagérée et où la respiration se montre stertoreuse. L'accès de léthargie se produit, en général, brusquement, dure un plus ou moins grand nombre d'heures ou de jours et cesse tout aussi brusquement qu'il a commencé. L'homme, dans ces circonstances, semble copier les animaux inférieurs qui sont susceptibles de présenter le phénomème de la reviviscence. C'est une machine sans moteur, mais qui conserve son intégrité matérielle de façon à pouvoir entrer en fonctionnement dès qu'elle aura retrouvé l'impulsion qui lui fait défaut. La situation du système nerveux dans la léthargie est facile à comprendre. Son inertie n'est générale, ni dans le somnambulisme où une fraction des centres intellectuel, sensitif et moteur continue à fonctionner avec la plus parfaite harmonie, ni dans l'extase où il y a persistance de certains sentiments avec une mimique passive qui leur est appropriée, ni dans le sommeil où des vibrations 'spontanées viennent à chaque instant troubler le calme de la substance corticale et de la couche optique, et produire les rêves qui, eux-mêmes, peuvent réveiller incomplétement les centres moteurs de la phonation et de la locomotion partielle. Dans la léthargie, l'inertie est complète pour la totalité de l'axe cérébro-spinal. Pas la plus légère oscillation dans aucun point. C'est le nec plus ultra du repos. Aussi ne faut-il pas s'étonner de voir cet état se prolonger sans préjudice pour l'économie. Il n'y a plus d'usure, et, à la fin, elle doit se retrouver telle qu'elle était au début de l'accès. Un seul point paraît ne faire que sommeiller, c'est le bulbe, qui est l'ultimum moriens dans le sommeil comme dans les maladies. Il continue à réaliser comme un rudiment de respiration, de même qu'on entretient un feu léger dans les hautsfourneaux qui sont momentanément éteints pour la production

industrielle. Il est une autre forme de léthargie que Despine appelle incomplète et qui nous fait assister à un autre mode de fractionnement de l'activité nerveuse. Celle-ci est exclusivement limitée à la substance corticale et à la couche optique avec toutes ses dépendances périphériques. Tout le système moteur reste plongé dans l'inertie la plus absolue. L'appareil d'innervation n'est plus susceptible d'éprouver que des courants centripètes. Il sent les impressions, il les élabore même dans son cerveau, mais il est devenu incapable de la moindre réaction. Les spiritualistes pourraient considérer cet état comme une mort anticipée ou plutôt inachevée, dans laquelle l'âme aurait perdu tous ses droits sur le corps, tout en lui restant enchaînée. L'homme ainsi frappé jouit en effet de toutes ses facultés intellectuelles. Il voit, il entend, il comprend, il juge et raisonne d'une manière latente. Mais il ne peut rien manifester, ni par des jeux de physionomie, ni par des mouvements. Il a toutes les apparences de la mort.

Maladie du sommeil. On a appliqué cette désignation à une affection épidémique qui fait de grands ravages parmi les populations nègres de l'Afrique. Beaucoup la regardent même comme ne figurant jamais dans la pathologie des autres races humaines. Mais, depuis les travaux de Griffon du Bellay et de Guérin sur ce sujet, quelques faits analogues ont été observés en Europe sur des blancs, et, tous les ans, les journaux de médecine enregistrent un ou plusieurs cas de ce genre. Chez les nègres, la maladie s'annonce pendant un plus ou moins grand nombre de jours par une légère céphalalgie occupant le plus souvent la région sus-orbitaire, et par une sensation de constriction aux tempes. Puis, à la fin de chaque repas, les malades sont saisis par un sommeil invincible d'une durée de plus en plus longue. Chacun de ces accès réguliers est précédé d'une sensation d'engourdissement du cuir chevelu et d'une pesanteur de la paupière supérieure, qui entraîne bientôt son prolapsus complet. Plus tard, l'état de plénitude de l'estomac n'est même plus nécessaire pour provoquer ces crises de sommeil. Elles surprennent le malade dans toutes les positions. Elles sont d'abord entrecoupées par des moments de veille. Mais il n'y a là encore qu'une veille relative. L'intelligence se montre bien alors intacte, mais elle est diminuée et surtout paresseuse. Le malade comprend toutes les questions, mais il est lent à les saisir et y répond d'un air hébété. Les perceptions sensorielles sont exactes, mais elles s'exécutent

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