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l'innervation vaso-motrice de toute la tête, il en résulte d'abord, pendant la période irritative, une contraction spasmodique des vaisseaux de cette extrémité, c'est-à-dire une congestion active; puis, plus tard, lorsque le fonctionnement des ganglions cervicaux se trouve enrayé ou supprimé, une paralysie de ces mêmes vaisseaux et, par suite, une congestion passive. Sous l'influence de ces conditions de vascularisation, l'encéphale s'altère à son tour. Dans les premiers moments, les cellules corticales se trouvent être surexcitées. De là le délire ambitieux. Il en est de même des cellules du cervelet et de la protubérance; de là l'exaltation des forces musculaires. Plus tard, les cellules, s'étant trouvées surmenées, éprouvent la dégénérescence graisseuse, et la démence remplace le délire, la paralysie l'exubérance des forces musculaires. Le paralysé général serait une expérience naturelle correspondant à celle que Cl. Bernard créait artificiellement par la section du sympathique cervical, avec cette différence, toutefois, qu'au lieu d'une simple paralysie, il y aurait un état d'irritation des ganglions prédisposant aux processus inflammatoires. Il existe en effet une analogie des plus frappantes entre ce qui se passe chez les animaux en expérience et chez les paralysés généraux. Ceux-ci ont le visage congestionné. La température de leur tête est plus élevée. Leurs yeux sont injectés et larmoyants. Ils sont même plus saillants; ils ont surtout la même expression que chez les opérés. Ils offrent aussi les mêmes modifications pupillaires. Comme chez les animaux, on trouve à l'autopsie le cuir chevelu et les méninges gorgés de sang. Ils ont des bosses sanguines dans l'épaisseur du pavillon de l'oreille. L'envahissement des autres régions du sympathique explique d'autre part quelques-uns des troubles nutritifs que présentent les paralysés; l'hypersécrétion de tous les sucs digestifs et, par suite, la rapidité de la digestion et l'abondance des selles ; l'épaississement de la muqueuse intestinale, les congestions passives du poumon, les irrégularités des battements du cœur, les troubles de la sécrétion urinaire. Comment, maintenant, le sympathique devient-il malade le premier? C'est ce que je ne peux dire. Il est à remarquer toutefois qu'une des causes les plus fréquentes de la paralysie générale est l'alcoolisme. Or, l'alcool se répand partout avec la masse sanguine, aussi bien sur le sympathique que dans l'encéphale. Il y a même pour lui une influence anticipée. C'est lui qui anime les viscères qui reçoivent directemeut l'alcool du dehors, qui l'absorbent après l'avoir conservé un certain temps

comme contenu. Cet alcool titille les expansions nerveuses du sympathique et peut déjà retentir sur ses ganglions. C'est ainsi que peuvent agir aussi les excès de table, la cuisine excitante. La paralysie générale est, en effet, très-fréquente chez ceux qui, par leur position officielle, sont obligés d'accepter de nombreuses invitations. La même explication pourrait s'appliquer à l'influence incontestable des excitations désordonnées des vésicules séminales, des ovaires et de l'utérus.

Avant de quitter le domaine des maladies mentales, permettez-moi de vous mentionner encore une affection, appelée pellagre, qui est de nature à faire ressortir les liens qui rattachent le centre intellectuel aux phénomènes de nutrition. On y voit marcher de front, avec la plus grande solidarité, la formation d'un érythème d'apparence érysipélateuse ou scarlatineuse, de la diarrhée et des vomissements, de la faiblesse musculaire et de l'incertitude de la marche, analogues à celles que l'on remarque dans la paralysie générale; enfin des troubles psychiques, de nature dépressive, constituant une véritable lypémanic. A chaque printemps, ces trois ordres d'accidents, cutanés, digestifs et intellectuels, s'aggravent simultanément.

Aphémie ou aphasie.

Sommaire descriptif. Cette maladie est essentiellement caractérisée par l'impossibilité où se trouve le malade d'exprimer sa pensée. Lorsqu'elle se présente dans toute sa pureté, le sujet n'a pas seulement perdu l'usage de la parole, mais aussi celui de l'écriture et de la lecture. De plus, cette impossibilité est générale et porte sur tous les mots possibles. Le malade est entièrement privé de la fonction expression. Mais, dans la pratique, cet état complet se rencontre rarement, et on se trouve en présence d'une infinité de variétés. Chaque malade a, pour ainsi dire, sa forme particulière. Toutefois on peut arriver, avec Falret, à les classer dans un des principaux groupes suivants: 1° les uns, tout en conservant l'intégrité de leur intelligence et des organes de la parole, ne peuvent pas se rappeler ni articuler spontanément certains mots; mais ils sont encore capables de les prononcer quand on les leur dicte. Parmi les malades de cette catégorie, il en est auxquels un seul mot fait défaut; d'autres, au contraire, sont incapables d'en exprimer un seul. Une dame, soignée par Crichton, était dans ce dernier cas, et cependant elle avait con

servé une bonne mémoire des choses; elle ne pouvait pas les nommer, voilà tout. Un jeune homme, observé par Gall, ne pouvait désigner nominativement aucun objet, et quand on en nommait devant lui, il les décrivait parfaitement. Bergmann a vu un jeune homme qui, devenu aphémique à la suite d'une chute par la fenêtre, ne pouvait dire spontanément aucun substantif et trouvait cependant tous les verbes. De là des phrases impossibles ou plutôt des périphrases. Quand il voulait parler de ciseaux, il disait: Ce avec quoi on coupe; d'une fenêtre Ce par où il fait clair. Une dame était réduite à mettre tous les verbes à l'infinitif. Parmi les malades de cette catégorie, il en est qui mettent irrésistiblement toujours le même mot à la place de ceux qu'ils voudraient dire et qu'ils ont dans la pensée. Un homme demandait toujours ses bottes à la place de pain; et cependant, quand on lui prononçait le mot pain, il le répétait tout de suite après. Un autre, à la place de tous les mots qu'il avait l'intention de dire, prononçait toujours madame ou mon Dieu. Un autre répondait à tout: Sivona; un troisième : Juste Dieu! Un ambassadeur français, à Saint-Pétersbourg, n'avait perdu que la faculté de dire son nom. Dans les visites de l'an, il fut obligé de donner sa carte à lire à tous les huissiers. 2o Dans une deuxième catégorie, les individus peuvent encore prononcer spontanément certains mots, mais ceux qu'ils sont dans l'impossibilité de dire d'eux-mêmes, ils ne peuvent plus, comme les précédents, les répéter quand on les prononce devant eux; mais ils conservent la faculté d'écrire ou de lire. Lallemand a vu un homme qui écrivait parfaitement, dans des termes toujours appropriés et souvent élevés, toutes ses pensées, mais qui ne pouvait prononcer que quelques syllabes, même quand on lui épelait les mots. Martinet en a vu un autre qui répondait par écrit à toutes les questions, sans hésitation, et qui ne pouvait produire que des sons vocaux tout à fait inintelligibles. Sous les yeux de Trousseau, un mathématicien faisait les calculs les plus compliqués, et il ne pouvait même pas prononcer les chiffres. Un artilleur lisait très-bien, et si on lui retirait rapidement le livre, il ne pouvait pas même immédiatement répéter sans le livre le dernier mot qu'il venait de lire. On pourrait multiplier ces exemples, mais les précédents suffisent pour vous faire saisir la nuance de cette catégorie. 3o Dans une troisième catégorie, les malades ont nonseulement perdu l'aptitude de prononcer spontanément, soit tous les mots, soit un certain nombre de mots, non-seulement l'aptitude de les répéter quand on les leur épelle, mais même de les lire et de les écrire:

c'est le type complet. Dans cette forme, on trouve aussi des individus qui, irrésistiblement, quand ils veulent parler ou lire, ou écrire, disent toujours le même mot ou une même syllabe. L'un disait et lisait toujours ba ba; un autre, eo; un autre, sinner; un autre, par le commandement; un autre, cheval. Notez que ce dernier était devenu aphémique en recevant un coup de pied de cheval. L'ébranlement à la fois physique et moral subi au moment de l'accident avait sans doute hyperesthésié un point du centre intellectuel au détriment des autres. Il avait créé le mot fixe en même temps que l'idée fixe. L'aphémie, quelle que soit sa forme, peut exister seule, à l'exclusion de toute autre espèce de symptôme, ou bien elle est accompagnée de divers symptômes psychiques ou paralytiques. Dans un grand nombre de cas, ce mélange n'existe qu'au début. On assiste alors à une première période un peu confuse, où le trouble du langage est difficile à démêler et à suivre. Mais, au bout d'un certain temps, les troubles intellectuels disparaissent, les phénomènes paralytiques s'effacent de plus en plus et l'aphémie se manifeste dans toute sa netteté. Dans d'autres cas, l'aphémie semble n'être que le reste d'une affection cérébrale plus générale. Parfois, c'est à la suite d'une attaque épileptiforme qu'elle se montre, ou bien consécutivement à une apoplexie se traduisant par une hémiplégie siégeant presque toujours du côté droit. Mais on peut, sous ce rapport, rencontrer toutes les nuances. La paralysie peut être très-incomplète et disparaître au bout de quelques jours et même de quelques heures. A ce moment, le malade s'habille lui-même, va et vient, se conduit comme la plupart des hommes; mais, en fait de langage, il ne peut faire que des signes négatifs ou affirmatifs, soit avec la main, soit avec la tête (1).

Analyse physiologique. En voyant les troubles de la parole susceptibles de s'isoler d'une manière aussi nette de toutes les autres manifestations morbides de l'intelligence, de la motilité et de la sensibilité, on s'est trouvé naturellement porté à supposer l'existence, dans l'encéphale, d'une portion exclusivement affectée à l'exercice de la parole, d'une portion qui pouvait être regardée comme l'organe nerveux central spécial du langage tant écrit que parlé. Le fait était trop favorable au système de la phrénologie pour n'être pas

(1) Clarus reconnaît comme causes possibles d'aphasie les embolies cérébrales, le traumatisme de l'encéphale, les tubercules, les tumeurs du cerveau, l'hydrocéphalie, la fièvre typhoïde, les fièvres éruptives. (Jahrb. für Kinderheilk. VII. Jahrg., 4. Heft. 5 juillet 1874.)

exploité par ses partisans. Aussi est-ce Gall qui, le premier, a attiré l'attention des médecins sur l'aphémie. En cela, il a tout au moins rendu un certain service à la médecine pratique, qui, n'étant pas stimulée par une idée préconçue, passe souvent à côté de faits vrais sans s'en apercevoir. La réprobation générale que rencontra bientôt la phrénologie fit enterrer avec elle l'idée de la localisation de l'organe de la parole. Mais l'observation clinique vint plus tard raviver l'idée en dehors même de toute tendance phrénologique. En 1825, Bouillaud, se basant sur ses autopsies, déclara que l'aphémie était toujours liée à une lésion matérielle, tumeur, apoplexie ou ramollissement du lobe antérieur de l'un des deux hémisphères, ou des deux à la fois. En 1836, Dax, d'après ses propres observations, crut devoir attribuer l'aphémie aussi bien au lobe postérieur qu'au lobe antérieur; mais, faisant rompre l'organe nerveux de la parole avec la loi de symétrie, il assura que l'hémisphère gauche était seul capable de supprimer le langage et, par conséquent aussi, de l'engendrer. En 1861, Broca proposa, toujours d'après les résultats nécroscopiques, une localisation plus précise: il plaça le siége de l'élocution et, par suite, le foyer morbide de l'aphémie, exclusivement dans la troisième circonvolution frontale gauche. Il fit toutefois une réserve plus tard, et reconnut que la même circonvolution du côté droit pouvait donner lieu à cette maladie, mais à titre d'exception excessivement rare seulement. Il établit en outre que l'aphémie tient presque toujours à un ramollissement provoqué par une embolie de l'artère sylvienne. En 1866, M. de Font-Reaulx, cherchant à expliquer quelques faits qui paraissaient en contradiction avec la détermination précédente, a restreint encore le siége de l'organe nerveux de la parole à la moitié postérieure de la troisième circonvolution frontale, tout en admettant la possibilité de l'intervention d'une partie plus reculée de la circonvolution d'enceinte de la scissure de Sylvius et du lobule de l'insula. Cette dernière interprétation est restée peu connue; celle de Broca a reçu seule une véritable consécration classique, non pas sans avoir eu toutefois à subir des attaques sérieuses.

On a fait observer que tous les organes sont doubles ou formés de deux parties mathématiquement symétriques, et qu'il serait assez singulier, en présence de cette loi générale, que le lobe gauche ait seul le droit de formuler la pensée. Pour répondre à cette objection, Broca a réuni un certain nombre d'arguments: 1° d'après l'examen de 40 cerveaux, il a déclaré que le lobe frontal gauche se distinguait

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