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plus ou moins obtuse. Ils n'ont qu'une vie purement végétative. En un mot, ils ont tous les attributs de l'idiotie; mais ils se distinguent des simples idiots par certains caractères surajoutés. Ils sont d'abord stériles; il semble qu'ils sont les derniers êtres ayant le droit de représenter l'espèce humaine. Ils sont déjà venus hors nature. Ce sont des hybrides, une aberration de la nature qui doit être effacée de la création et ne doit pas se propager. Ils ont une physionomie caractéristique par leur laideur et leur aspect d'abrutissement. Les paupières sont épaisses; la mâchoire supérieure et les pommettes sont saillantes, le nez est aplati, déprimé à sa racine; la bouche démesurément grande; la lèvre inférieure pendante; le regard stupide. Les extrémités sont disproportionnées; les membres inférieurs sont grêles, surtout lorsqu'on les compare avec le développement du tronc et des membres supérieurs. Les mains et les pieds sont souvent difformes. L'ossification offre une marche des plus irrégulières et présente, parfois, une exubérance extraordinaire. Les trous de la base du crâne sont souvent rétrécis. C'est ce qui a conduit M. Bach à considérer le crétinisme comme le rachitisme des os du crâne. Selon lui, l'atrophie des nerfs résultant de ce rétrécissement des orifices de sortie, serait la cause première du manque de perceptions. Les dents présentent aussi une évolution tardive et anormale. Les altérations des centres nerveux ne sont pas non plus identiques avec celles des idiots. Les hémisphères sont bien, comme chez ces derniers, insymétriques, diminués de poids, à circonvolutions mal dessinées et à cellules rudimentaires; mais ils ont, de plus, la moelle et le bulbe considérablement atrophiés. Là se trouve évidemment la cause de la dégradation physique du tronc et des membres, ainsi que du caractère chancelant de leur démarche. Un fait bien remarquable, c'est que le tissu cellulaire sous-cutané est hypertrophié comme chez les monstres acéphales. Le tissu connectif possède bien une certaine vitalité morbide; il est bien le foyer qui donne naissance à la plupart des productions pathologiques de la nutrition, mais, au point de vue physiologique, il est un terrain vague, d'une utilité secondaire et tout à fait générale; il sert d'atmosphère, d'étui irrigateur aux véritables éléments militants de la vie. Tout ce qui, dans la masse embryonnaire, n'a pas pu s'élever à la hauteur d'un de ces éléments, devient cette gangue ambiante. C'est dans cette loi d'histogénie que se trouve la véritable cause de l'hypertrophie du tissu cellulaire chez les crétins. Comme leurs centres nerveux sont réduits

à la plus simple expression, les muscles, qui représentent les moyens d'action et de réaction de ces centres, s'arrêtent à des proportions qui les mettent à l'unisson avec celles de leur chef; et, dès lors, une grande partie du tissu embryonnaire en est réduite à prendre le rang de masse conjonctive. Enfin, les crétins ont pour cachet particulier d'être affectés d'un goître plus ou moins volumineux. Comme cette affection règne d'une manière endémique dans les étroites vallées des Alpes, on avait d'abord pensé devoir l'attribuer au défaut d'insolation; mais elle se rencontre aussi dans les vallées les plus larges et les mieux éclairées. D'autres auteurs ont invoqué la misère et la réunion de toutes les mauvaises conditions hygiéniques. Il est incontestable qu'elles ont le pouvoir de donner plus d'extension à l'envahissement de cette maladie; mais elles ne peuvent pas seules la créer, car elle ne respecte aucune des classes de la société. Plusieurs médecins ont accusé soit l'absence d'iode dans l'air et l'eau de la boisson, soit la présence dans celle-ci de sels magnésiens, d'aluminium, de chaux, de pyrites ferrugineuses; mais les relevés statistiques ont donné des résultats contradictoires sous ce rapport. A une époque antérieure, une opinion de Maignien a compté un grand nombre de partisans. Partant de ce fait que le goître et le crétinisme sont liés entre eux de la manière la plus intime, il pense que l'hypertrophie de la glande thyroïde est la cause unique des troubles intellectuels; qu'en comprimant les carotides, elle empêche la nutrition de la partie antérieure de l'encéphale et détermine ainsi un arrêt de développement. L'existence de nombreux crétins non goìtreux fit facilement renoncer à cette idée. Après avoir épuisé toutes les argumentations possibles, on en est généralement venu aujourd'hui à attribuer le crétinisme à une intoxication miasmatique, comparable à celle qui produit la cachexie paludéenne, à un principe organique dont le développement serait favorisé par l'humidité et une certaine température. Ce poison, après s'être introduit dans le sang par les boissons ou l'air inspiré, agirait surtout sur le système nerveux central. Il exercerait sur lui une action stupéfiante et arrêterait son développement. L'évolution incomplète du système nerveux réagirait ensuite sur l'économie tout entière. M. le professeur Tourdes a prêté à cette théorie l'appui de sa haute autorité scientifique. Je suis loin de nier la possibilité de cette intoxication miasmatique; je suis même loin de nier l'intervention possible de certaines eaux, puisqu'il est démontré qu'il en est qui peuvent engen

drer le goître; mais je crois que celui-ci, lorsqu'il existe, a une certaine part à réclamer dans l'état d'atrophie et d'incapacité du cerveau.' Des recherches que j'ai entreprises sur les fonctions de la glande thyroïde, et dont je dois réserver la communication pour un mémoire spécial déjà en voie de publication, m'ont conduit à regarder cette glande vasculaire sanguine comme préparant avec le sang les principes immédiats de l'encéphale et de la génération. En supprimant ce laboratoire, certains goîtres destructeurs peuvent, comme cela a lieu chez les crétins, rendre impuissants à la fois le sperme et le cerveau. J'ajouterai encore que j'ai acquis la preuve que la thyroïde peut être altérée et incapable de fournir son produit sans que cette incapacité se traduise à l'extérieur, de même que certains goîtres, véritables hypertrophies, ne font qu'augmenter sa puissance fonctionnelle.

QUARANTE ET UNIÈME LEÇON.

MESSIEURS,

Pour terminer l'analyse physiologique des maladies mentales, il nous reste encore à examiner, à notre point de vue, une entité morbide dont l'entrée dans le cadre nosologique a soulevé de nombreuses discussions; c'est celle qui a reçu le nom de paralysie générale des aliénés.

PARALYSIE GÉNÉRALE DES ALIÉNÉS.

Sommaire descriptif. C'est une maladie mentale qui s'accompagne de paralysie musculaire et qui aboutit toujours à la démence. Dans la période prodromique, le caractère des malades se montre changé, irritable; ils commettent tout à coup des actes d'indélicatesse et de débauche auxquels on ne s'attendait pas de leur part. Bientôt ils sont pris d'un délire dit ambitieux. Ils ont la manie des grandeurs et des folles dépenses. D'autres sont moins bruyants; ils restent plongés dans une béatitude silencieuse et vivent dans un contentement d'eux-mêmes que rien ne peut altérer. Ils sont convaincus qu'ils sont de grands poëtes ou de grands artistes ou qu'ils sont superbes de beauté. Ils sont continuellement à s'admirer devant une glace. Mais, en même temps qu'il y a cette exaltation dans les aspirations, contrairement aux fous ambitieux ordinaires, leur puissance intellectuelle ne s'élève pas au niveau de leurs prétentions. Ils n'entreprennent jamais ce qu'ils annoncent toujours vouloir faire. Ils se vantent de choses qu'ils n'ont jamais réalisées. Ils n'ont pas la logique et la vigueur des fous ambitieux; ils sont inconséquents dans leurs idées et leurs convictions. C'est que, chez eux, la démence se mêle à la folie ambitieuse. Même dès le début, les cellules commencent déjà à éprouver la dégénérescence graisseuse. Les prétentions folles sont l'œuvre de la congestion, l'impuissance et la démence sont celles de la dégénérescence. Con

curremment avec ces désordres intellectuels, on remarque (et c'est ce qui fait le cachet de la maladie pour les cliniciens) des troubles du côté de la mobilité et de la sensibilité. Il y a un tremblement et une contraction irrégulière des muscles de la langue, des lèvres, de la face et de la mâchoire inférieure, d'où une grande difficulté dans l'articulation des sons. Dès le début, il y a aussi une inégalité des pupilles, symptôme dont je me servirai pour appuyer ma manière de comprendre un des modes de genèse de la maladie. Les muscles des membres sont moins rapidement altérés dans leur fonctionnement. Cependant, on remarque de bonne heure que les malades marchent avec une certaine difficulté. Ils sont aussi comme entraînés par leur propre poids. Ils trébuchent, ils sont maladroits de leurs mains et ne peuvent plus ni écrire ni dessiner. Il en est chez lesquels ces symptômes musculaires du début sont plus marqués et semblent exister seuls. Il faut une observation bien attentive pour constater çà et là quelques traces de délire. Quelques-uns ont, en outre, une anesthésie générale. Dans une seconde période, les symptômes paralytiques se prononcent de plus en plus, tandis que l'excitation intellectuelle diminue pour faire place peu à peu à la démence. Ils ont bien une légère surexcitation, qui éclate même par moment en paroxysmes. La congestion continue, mais elle ne vient plus que stimuler plus ou moins un terrain qui a perdu la plus grande partie de ses moyens d'action. En revanche, ils ne marchent plus qu'avec beaucoup de difficulté. Ils ne peuvent plus porter leurs aliments à leur bouche. L'appétit est toutefois vorace, et ils mangent gloutonnement. Bientôt il y a incontinence d'urine et de matières fécales. La parole devient tout à fait inintelligible. Ils ne peuvent plus se tenir debout; mais la force musculaire n'est jamais complétement éteinte. La démence s'accentue de plus en plus, et ils meurent, soit au milieu du coma, soit par épuisement résultant des escarres, soit sous l'influence d'une maladie intercurrente, soit enfin par l'introduction d'un bol alimentaire dans le larynx.

Si on tient compte de toutes les assertions émises par les auteurs, les altérations qu'on peut rencontrer à l'autopsie sont les suivantes : 1° une congestion très-intense du cuir chevelu, qui s'accompagne même très-souvent de bosses sanguines; 2o une grande vascularisation avec opacité de la pie-mère; 3° l'adhérence intime de cette membrane avec la couche corticale; 4° la diminution de la consistance cérébrale; 5° son changement de coloration. Dans les premiers

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