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idées. Leurs actes sont vagues, incertains, sans but. Quelques-uns semblent avoir perdu l'aptitude à harmoniser la mimique avec leurs pensées. Ils prennent un air triste quand ils éprouvent et qu'ils expriment des idées gaies. Ils sont moins impressionnables à tous les excitants physiques et moraux. Peut-être le système nerveux périphérique est-il déjà altéré lui-même, et ne remplit-il que d'une manière imparfaite son rôle de transmission. Mais s'ils sentent moins, cela tient surtout à l'état du cerveau. C'est, avant tout, la consécration psychique qui fait défaut. La sensation brute persiste ou n'est qu'amoindrie. La démence peut être absolue, ou bien s'accompagner de délire. C'est que, sans doute, les quelques parties restées intactes fonctionnent d'une manière irrégulière et parfois exagérée. Elles dérivent, pour ainsi dire, sur elles le sang qui ne rencontre plus, dans les parties voisines, des conduits d'irrigation suffisants. Chez quelques-uns, c'est un délire systématisé, qui reste toujours le même, parce qu'il n'y a qu'une seule et même partie restée intacte et qui se trouve, par conséquent, toujours en scène. Les hallucinations sont très-fréquentes. La couche optique prend une moindre part à l'altération et elle reçoit un rapport plus considérable dans la distribution du liquide sanguin. Au fur et à mesure que l'animal baisse, le végétal semble prendre plus d'essor. Ils ont un appétit exigeant. L'assimilation s'exécute bien. Ils acquièrent un embonpoint notable.

La démence se produit dans plusieurs circonstances différentes. Elle peut résulter presque physiologiquement des progrès de l'âge. C'est ce qu'on appelle la démence sénile. Le cerveau se raréfie à sa manière, comme les parties osseuses. Elle peut être le dernier terme de la folie. C'est la démence vésanique. Le travail exagéré des cellules pendant la folie les épuise, les use et les tue. Elle peut être produite par l'alcool qui, de son côté, a fait travailler outre mesure les cellules cérébrales, et qui, de plus, provoque peut-être chimiquement la formation de granulations graisseuses. Elle représente aussi parfois la conséquence des pyrexies ataxiques, des congestions répétées, des inflammations du cerveau, toutes causes qui exaltent et détériorent aussi les cellules.

Idiotie.

Cette affection, qui tient à un arrêt de developpement de l'organe de l'intelligence, peut se présenter sous des degrés nombreux, qui

correspondent à des lésions matérielles équivalentes. Ces lésions se trahissent même à l'extérieur, parce que les os du crâne y prennent part. Les proportions de la tête ne sont jamais normales. Toujours elle est, ou trop petite, ou trop grosse. Parfois les sinus frontaux prennent un développement exorbitant, comme chez certains animaux, et communiquent à l'ensemble l'aspect d'un type-intelligent. Les os sont très-épais. Les sutures se soudent beaucoup plus vite qu'à l'état normal et s'opposent ainsi au développement ultérieur de l'encéphale. En général, le front est bas, étroit et fuyant. Le crâne est déprimé en certains points, très-saillant en d'autres, ce qui correspond à un défaut d'équilibre des diverses parties encéphaliques. Ordinairement, c'est le diamètre vertical qui présente le raccourcissement le plus considérable, et la courbure frontale qui s'efface le plus. Il y a souvent un défaut de symétrie. Tantôt c'est un pariétal, tantôt un des côtés du frontal qui forme voussure. Virchow attribue toutes ces difformités à l'ossification prématurée des sutures et à l'interposition d'os wormiens. Griesinger dit que les unes tiennent à une pénurie de dépôt calcaire, par suite d'un vice constitutionnel; les autres à un état maladif et inflammatoire des bords des sutures. Il fait observer, ce qui est juste du reste, qu'une réunion prématurée dans un point peut arrêter le développement des autres parties du crâne; tandis que d'autres fois il se fait au contraire ailleurs un développement compensateur. On comprend, en effet, que là où le sang peut trouver de la place pour fixer de nouvelles molécules, là où le tissu encéphalique naissant rencontre moins de résistance, l'organe s'agrandit, de même que certaines branches d'un arbre prennent plus de développement lorsque d'autres sont gênées par un obstacle quelconque. Celles qui trouvent de l'espace libre devant elles profitent de la séve que les autres ne peuvent pas utiliser. C'est ainsi que certaines régions de l'encéphale et certaines fonctions cérébrales peuvent présenter une exubérance morbide que l'atrophie et l'inertie des parties voisines rendent plus apparente. Karl Stahl n'accorde pas un rôle aussi important aux sutures, et il regarde les déformations du crâne comme n'étant que des conséquences des anomalies de développement de l'encéphale. L'ossification prématurée des sutures ne ferait que maintenir et rendre invariable une déformation communiquée antérieurement par le cerveau. Parmi les faits cités par cet auteur, il en est qui ont une portée physiologique toute particulière, parce qu'ils plaident contre l'idée générale de

Gall, que professent encore plusieurs médecins, et qui consiste à localiser l'intelligence proprement dite dans la partie antérieure du cerveau. Ces faits démontrent que les déformations du crâne ne retentissent sur les fonctions psychiques qu'autant qu'il ne s'établit pas une compensation de développement dans un autre point. Lorsque la partie postérieure présente un développement capable de compenser l'atrophie de la région antérieure, les facultés n'en souffrent en rien. C'est bien là la preuve que la couche corticale est un réceptacle de notions, et que, pourvu que les notions trouvent à se placer, peu importe le point qu'elles peuvent occuper. Elles trouvent toujours, aussi, partout des fibres commissurantes capables de les associer et de réaliser les opérations de raisonnement.

Relativement aux lésions congéniales propres à l'idiotie, il y a donc deux opinions : l'une qui attribue les déformations du cerveau à celles du crâne; l'autre qui fait, au contraire, engendrer les modifications de la boîte crânienne par les arrêts de développement de l'encéphale. Moi, je crois que, la plupart du temps, l'aberration de formation marche de front dans le contenant et dans le contenu. Quoi qu'il en soit, voici quelles sont les défectuosités présentées par l'encéphale lui-même : le poids du cerveau est notablement au-dessous de la moyenne. Parfois cet organe n'est pas déformé; il est seulement très-petit, mais très-régulier : c'est une miniature d'un cerveau ordinaire. Mais, le plus souvent, il est irrégulier et même incomplet. Des parties entières peuvent manquer. En toutes circonstances, les circonvolutions sont peu développées, les anfractuosités peu profoudes. Presque toujours il y a atrophie des corps striés et surtout des couches optiques. La consistance de la substance blanche est augmentée; la grise est en moindre quantité. D'autres fois cette dernière se rencontre, sous forme d'îlots, dans des points où il n'en existe pas d'habitude. Les vaisseaux sont inégalement répartis et offrent un calibre diminué. Très-souvent on rencontre une sclérose presque générale ou bien les traces incontestables d'une méningoencéphalite. Avec un état anatomique aussi accentué et aussi général, il nous sera facile d'expliquer les diverses situations fonctionnelles des idiots. Tout à fait au bas de l'échelle de cette catégorie, on trouve des êtres qui, non-seulement sont incapables d'acquérir la moindre notion, qui non-seulement n'ont ni intelligence ni sens moral, mais qui n'ont même pas les instincts de la bête. Ce sont des masses inertes; ils ne peuvent même pas manger seuls. Il faut leur

porter les aliments jusque dans l'arrière-gorge pour provoquer la déglutition. Ils sont absolument dans la même situation que les animaux auxquels on a enlevé les lobes cérébraux. L'intégrité fonctionnelle ne commence qu'au bulbe. Tout ce qui est en avant est comme non avenu, parce qu'il est représenté par une masse informe et impropre même à un fonctionnement rudimentaire. Si on s'élève dans la série de ces êtres disgraciés par la nature, on se trouve en présence de toutes les combinaisons possibles de fonctions qui se dessinent plus ou moins bien à côté d'autres qui restent tout à fait plongées dans le néant, suivant que l'atrophie ou l'absence congéniales portent sur telle ou telle partie de l'encéphale. Ne pouvant passer en revue successivement toutes ces combinaisons, prenons une moyenne pour la soumettre à l'analyse physiologique.

Les sens sont à peine ébauchés ou manquent tout à fait. Beaucoup sont sourds et aveugles. Le toucher est des plus obtus. Le goût et l'odorat doivent être très-faibles, car les idiots ingèrent les choses les plus nauséabondes. L'état d'atrophie à peu près constant de la couche optique nous explique parfaitement toutes ces paralysies sensorielles. Celles-ci contribuent, à leur tour, à empêcher le développement de l'intelligence. La formation des idées ne peut pas se faire ou se fait mal, parce que les sens n'apportent que des données insuffisantes sur le monde extérieur. Du reste, l'atrophie et l'imperfection du centre énregistreur le rendraient incapable d'enregistrer même des impressions vigoureuses. C'est ainsi que le bagage d'idées contingentes se trouve être à peu près nul. Les facultés jugement et raisonnement sont tout aussi impossibles, d'abord parce que leur base fondamentale, la formation des idées, fait défaut, et parce que les fibres commissurantes sont elles-mêmes compromises. Les idiots n'ont point de langage; ils sont muets et ne poussent que des sons gutturaux et indéterminés. N'ayant point d'idées, ils n'ont rien à exprimer. Il en est, toutefois, qui peuvent articuler un certain nombre de phrases. C'est surtout chez les idiots qu'on voit nettement la preuve que l'organe de l'instinct n'est pas le même que celui de l'intelligence; car, la plupart du temps, ce genre de manifestations psychiques persiste, mais il est perverti. Ils sont voleurs, gloutons, paresseux, irascibles. Dans leur colère, ils déchirent tout, se déchirent eux-mêmes. C'est cet isolement des instincts et de l'intelligence qui a autorisé Bourillon à placer les instincts dans le cervelet, qui semble subir moins le travail d'atrophie que les lobes cérébraux. Mais les vivisec

tions n'autorisent pas cette localisation, puisque les animaux perdent les instincts avec les lobes cérébraux. Les centres locomoteurs sont, du reste, si mal organisés, qu'ils servent mal même les instincts restés normaux. Ils tettent mal et apprennent difficilement à mâcher et à avaler. Parfois certains actes machinaux semblent présenter un perfectionnement extraordinaire. Je ne peux m'empêcher de vous citer un fait qui s'est passé à Maréville, et qui indique bien que la délicatesse et l'aptitude à l'association de certaines touches de l'instrument cérébral peuvent se transmettre par voie d'hérédité. Un idiot, complétement dépourvu d'intelligence, ayant aperçu un tambour, se précipita vers cet instrument, fit, pendant quelques instants, des efforts inutiles pour réaliser une marche orthodoxe; puis, tout à coup, comme par enchantement, se mit à exécuter toutes les batteries possibles avec un art irréprochable. Or, son père et son grandpère avaient été tambours de régiment. Presque toujours la motilité est naturellement restreinte comme l'intelligence. Ils restent immobiles ou ne se déplacent que pour se rendre à la place où ils ont l'habitude de fixer leur inertie. Quelquefois ils se livrent à un balancement monotone, à l'instar des animaux du désert. Ils n'ont pas le sentiment de la locomotion ni de l'équilibre. Ils marchent en glissant les pieds sur le sol. Ils ne donnent pas à leur tronc la direction nécessaire pour rendre les diverses stations solides; aussi tombent-ils souvent. Leurs allures sont disgracieuses, et ils saisissent mal les objets. Lorsque les centres locomoteurs sont intacts ou peu altérés, l'inertie musculaire est d'origine purement intellectuelle. La force motrice est là, mais elle n'est pas employée, faute d'incitation volontaire; et quand elle est utilisée, elle l'est d'une manière défectueuse, à cause de l'imperfection de la machine locomotrice elle-même. Lorsque cette machine est tout à fait compromise, l'impuissance musculaire est réelle, et il y a des paralysies. Quand elle présente un développement trop considérable, soit absolu, soit relatif, elle donne lieu à des phénomènes de surexcitation, d'autant plus qu'elle n'est pas contre-balancée par le cerveau, son modérateur indispensable. Les phénomènes consistent en un tic spasmodique de la face, en spasmes divers, et même en convulsions générales. Cela se remarque surtout lorsque des causes comprimantes, comme le forceps, les coutumes des peuplades, les serre-tête de la Normandie, ont gêné le développement de la partie antérieure du crâne, en laissant, au contraire, les régions inférieures et postérieures s'épanouir.

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