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mouvement d'ensemble, le commander; mais qu'il n'est pour rien dans le mécanisme de la locomotion, dont les agents nerveux existent en dehors de lui et se trouvent agencés anatomiquement entre eux, de façon à s'entraîner mutuellement dans un travail commun, suivant un ordre préétabli. Le cerveau se réserve seulement le droit d'ordonner à cette machine de commencer, d'arrêter ou d'accélérer son jeu. Il est le joueur d'orgue dont l'instrument porte en lui-même le mécanisme des airs qu'il est susceptible de produire, mais qui peut choisir le morceau, ralentir ou précipiter le mouvement musical. On pense qu'il en est ainsi chez tous les animaux et même chez l'homme. Si ce dernier, si le chien, si le lapin ne marchent pas ou marchent mal dans les premiers temps de leur vie, cela tient, non pas à un besoin d'éducation intellectuelle, mais à ce que leurs muscles et les centres locomoteurs de l'axe cérébro-spinal sont encore en voie de formation et ne sont pas encore arrivés à un degré de développement suffisant. Si ces moyens matériels de locomotion se trouvaient, dès la naissance, aussi perfectionnés chez eux que chez le cochon d'Inde, nul doute qu'eux aussi pourraient marcher immédiatement.

En un mot, d'après l'opinion ancienne, les mouvements de détail de la locomotion seraient tous essentiellement volontaires. D'après la nouvelle, ils seraient purement automatiques. Où se trouve la vérité? Y a-t-il, oui ou non, dans l'axe cérébro-spinal, une machine nerveuse de la locomotion, donnée tout organisée par la nature et mise seulement à la disposition des caprices de la volonté et du cerveau? Nous avons déjà touché à cette question à propos de la moelle. Le moment est venu de la traiter dans tout son développement, car presque tous les physiologistes accordent à la protubérance un rôle considérable dans la locomotion. Nous allons d'abord constater ce que les animaux des diverses classes peuvent faire sans lobes cérébraux, comme station et comme progression. Pour cela, le mieux sera de chercher à reproduire ici, en partie, les expériences pratiquées par M. Onimus. Puis, ces résultats constatés, comme l'animal, après la mutilation indiquée, se trouve avoir conservé nonseulement sa protubérance, son bulbe et sa moelle, mais encore son cervelet, nous chercherons à faire la part réelle de la partie qui nous occupe.

Comparez ces deux grenouilles, dont l'une est intacte et l'autre a subi l'ablation des deux lobes cérébraux, elles ont exactement la

même attitude. Il vous serait impossible de trouver la moindre différence dans leur mode de station. Si, il y en a une, mais en faveur de l'animal mutilé. Chez ce dernier, l'attitude est plus ferme et plus mathématiquement régulière. En outre, elle est toujours la même à tous les moments. Elle n'est pas à chaque instant plus ou moins modifiée par une volonté capricieuse. Elle s'impose à lui. Si on place la grenouille intacte sur le dos, parfois elle y reste. La grenouille sans cerveau ne peut pas y rester. Sitôt que la main cesse de l'y maintenir, elle se retourne brusquement, comme si elle était mue par un ressort, et elle reprend immanquablement son attitude réglementaire. Quand la première se redresse, elle prend, au contraire, des maintiens variés. Un fait signalé par Onimus et que je n'arrive pas à reproduire en ce moment, mérite l'attention des pathologistes. Si on déplace très-lentement un des membres, et si on l'amène peu à peu dans une situation même difficile à tenir, ce membre reste comme figé dans la position communiquée. L'animal ne le retire pas sous lui, comme quand il possède son cerveau. Le phénomène est tout à fait identique avec le symptôme caractéristique de la catalepsie, maladie que nous rapporterons, en effet, à la protubérance.

Je pince la grenouille intacte. Un heureux hasard fait qu'en ce moment elle a la volonté de ne pas fuir. Elle se contente d'agiter le membre pincé, et elle montre qu'il est en son pouvoir de ne point céder à l'incitation étrangère. Il n'en est plus de même de l'opérée. Sitôt qu'on la sollicite, même faiblement, elle marche toujours droit devant elle, et toujours avec le même rhythme. Mises dans l'eau, les deux grenouilles ne se conduisent pas non plus de la même façon. La première va se blottir au fond du vase, parfois elle sort de son immobilité, nage un instant tantôt dans une direction, tantôt dans une autre, s'arrête, puis reprend sa course ou se blottit encore. En un mot, il est évident qu'elle est maîtresse de sa locomotion et qu'elle satisfait tous ses caprices. La seconde reste à la surface. Elle nage aussitôt en ligne droite, de la façon la plus méthodique, jusqu'à ce qu'elle rencontre la paroi du vase, où elle resterait arrêtée indéfiniment si je ne la ramenais au centre. Je ne l'ai pas plutôt abandonnée à elle-même, qu'elle repart avec la même régularité pour s'arrêter encore contre la paroi. La première peut condamner à l'inertie la machine qu'elle porte en elle-même. La seconde est obligée de subir son travail que provoque impérieusement le milieu.

II. POINCARÉ.

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mouvement d'ensemble, le commander; mais qu'il n'est pour rien dans le mécanisme de la locomotion, dont les agents nerveux existent en dehors de lui et se trouvent agencés anatomiquement entre eux, de façon à s'entraîner mutuellement dans un travail commun, suivant un ordre préétabli. Le cerveau se réserve seulement le droit d'ordonner à cette machine de commencer, d'arrêter ou d'accélérer son jeu. Il est le joueur d'orgue dont l'instrument porte en lui-même le mécanisme des airs qu'il est susceptible de produire, mais qui peut choisir le morceau, ralentir ou précipiter le mouvement musical. On pense qu'il en est ainsi chez tous les animaux et même chez l'homme. Si ce dernier, si le chien, si le lapin ne marchent pas ou marchent mal dans les premiers temps de leur vie, cela tient, non pas à un besoin d'éducation intellectuelle, mais à ce que leurs muscles et les centres locomoteurs de l'axe cérébro-spinal sont encore en voie de formation et ne sont pas encore arrivés à un degré de développement suffisant. Si ces moyens matériels de locomotion se trouvaient, dès la naissance, aussi perfectionnés chez eux que chez le cochon d'Inde, nul doute qu'eux aussi pourraient marcher immédiatement.

En un mot, d'après l'opinion ancienne, les mouvements de détail de la locomotion seraient tous essentiellement volontaires. D'après la nouvelle, ils seraient purement automatiques. Où se trouve la vérité? Y a-t-il, oui ou non, dans l'axe cérébro-spinal, une machine nerveuse de la locomotion, donnée tout organisée par la nature et mise seulement à la disposition des caprices de la volonté et du cerveau? Nous avons déjà touché à cette question à propos de la moelle. Le moment est venu de la traiter dans tout son développement, car presque tous les physiologistes accordent à la protubérance un rôle considérable dans la locomotion. Nous allons d'abord constater ce que les animaux des diverses classes peuvent faire sans lobes cérébraux, comme station et comme progression. Pour cela, le mieux sera de chercher à reproduire ici, en partie, les expériences pratiquées par M. Onimus. Puis, ces résultats constatés, comme l'animal, après la mutilation indiquée, se trouve avoir conservé nonseulement sa protubérance, son bulbe et sa moelle, mais encore son cervelet, nous chercherons à faire la part réelle de la partie qui nous occupe.

Comparez ces deux grenouilles, dont l'une est intacte et l'autre a subi l'ablation des deux lobes cérébraux, elles ont exactement la

même attitude. Il vous serait impossible de trouver la moindre différence dans leur mode de station. Si, il y en a une, mais en faveur de l'animal mutilé. Chez ce dernier, l'attitude est plus ferme et plus mathématiquement régulière. En outre, elle est toujours la même à tous les moments. Elle n'est pas à chaque instant plus ou moins modifiée par une volonté capricieuse. Elle s'impose à lui. Si on place la grenouille intacte sur le dos, parfois elle y reste. La grenouille sans cerveau ne peut pas y rester. Sitôt que la main cesse de l'y maintenir, elle se retourne brusquement, comme si elle était mue par un ressort, et elle reprend immanquablement son attitude réglementaire. Quand la première se redresse, elle prend, au contraire, des maintiens variés. Un fait signalé par Onimus et que je n'arrive pas à reproduire en ce moment, mérite l'attention des pathologistes. Si on déplace très-lentement un des membres, et si on l'amène peu à peu dans une situation même difficile à tenir, ce membre reste comme figé dans la position communiquée. L'animal ne le retire pas sous lui, comme quand il possède son cerveau. Le phénomène est tout à fait identique avec le symptôme caractéristique de la catalepsie, maladie que nous rapporterons, en effet, à la protubérance.

Je pince la grenouille intacte. Un heureux hasard fait qu'en ce moment elle a la volonté de ne pas fuir. Elle se contente d'agiter le membre pincé, et elle montre qu'il est en son pouvoir de ne point céder à l'incitation étrangère. Il n'en est plus de même de l'opérée. Sitôt qu'on la sollicite, même faiblement, elle marche toujours droit devant elle, et toujours avec le même rhythme. Mises dans l'eau, les deux grenouilles ne se conduisent pas non plus de la même façon. La première va se blottir au fond du vase, parfois elle sort de son immobilité, nage un instant tantôt dans une direction, tantôt dans une autre, s'arrête, puis reprend sa course ou se blottit encore. En un mot, il est évident qu'elle est maîtresse de sa locomotion et qu'elle satisfait tous ses caprices. La seconde reste à la surface. Elle nage aussitôt en ligne droite, de la façon la plus méthodique, jusqu'à ce qu'elle rencontre la paroi du vase, où elle resterait arrêtée indéfiniment si je ne la ramenais au centre. Je ne l'ai pas plutôt abandonnée à elle-même, qu'elle repart avec la même régularité pour s'arrêter encore contre la paroi. La première peut condamner à l'inertie la machine qu'elle porte en elle-même. La seconde est obligée de subir son travail que provoque impérieusement le milieu.

II. POINCARÉ.

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mouvement d'ensemble, le commander; mais qu'il n'est pour rien dans le mécanisme de la locomotion, dont les agents nerveux existent en dehors de lui et se trouvent agencés anatomiquement entre eux, de façon à s'entraîner mutuellement dans un travail commun, suivant un ordre préétabli. Le cerveau se réserve seulement le droit d'ordonner à cette machine de commencer, d'arrêter ou d'accélérer son jeu. Il est le joueur d'orgue dont l'instrument porte en lui-même le mécanisme des airs qu'il est susceptible de produire, mais qui peut choisir le morceau, ralentir ou précipiter le mouvement musical. On pense qu'il en est ainsi chez tous les animaux et même chez l'homme. Si ce dernier, si le chien, si le lapin ne marchent pas ou marchent mal dans les premiers temps de leur vie, cela tient, non pas à un besoin d'éducation intellectuelle, mais à ce que leurs muscles et les centres locomoteurs de l'axe cérébro-spinal sont encore en voie de formation et ne sont pas encore arrivés à un degré de développement suffisant. Si ces moyens matériels de locomotion se trouvaient, dès la naissance, aussi perfectionnés chez eux que chez le cochon d'Inde, nul doute qu'eux aussi pourraient marcher immédiatement.

En un mot, d'après l'opinion ancienne, les mouvements de détail de la locomotion seraient tous essentiellement volontaires. D'après la nouvelle, ils seraient purement automatiques. Où se trouve la vérité? Y a-t-il, oui ou non, dans l'axe cérébro-spinal, une machine nerveuse de la locomotion, donnée tout organisée par la nature et mise seulement à la disposition des caprices de la volonté et du cerveau? Nous avons déjà touché à cette question à propos de la moelle. Le moment est venu de la traiter dans tout son développement, car presque tous les physiologistes accordent à la protubérance un rôle considérable dans la locomotion. Nous allons d'abord constater ce que les animaux des diverses classes peuvent faire sans lobes cérébraux, comme station et comme progression. Pour cela, le mieux sera de chercher à reproduire ici, en partie, les expériences pratiquées par M. Onimus. Puis, ces résultats constatés, comme l'animal, après la mutilation indiquée, se trouve avoir conservé nonseulement sa protubérance, son bulbe et sa moelle, mais encore son cervelet, nous chercherons à faire la part réelle de la partie qui nous occupe.

Comparez ces deux grenouilles, dont l'une est intacte et l'autre a subi l'ablation des deux lobes cérébraux, elles ont exactement la

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