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AU MEME.

LETTRE XXXIV.

Ous avez décidé pour la tromperie, & j'ai tâché à fuivre votre décifion; mais je ne crois pas que je faffe rien de plus que les premieres tentatives. La Dame a donné fi naïvement dans ce que j'ai commencé à lui dire fur fon prétendu bel efprit, qu'il ne m'eft pas poffible de continuer. Ma fincerité a trop pâti;, J'aime mieux qu'elle ne m'aime point que de la rendre fi fotte. Vous dites qu'un autre n'aura pas la même délicateffe de confcience que moi, & qu'il vaut autant que je profite d'une folie où quelqu'un la fera tomber tôt ou tard. Mais non, je l'avertirai bien que tous ceux qui la loüeront fur le bel efprit, la tromperont & qu'elle ne fouffre pas qu'on lui tienne de pareils difcours. Vous qui m'avez confeillé, vous en parliez bien à votre aife, vous ne fauriez croire quel fupplice c'eft que de tromper une perfonne qui n'y apporte aucune refiftance. Si elle veut fe contenter d'être belle, je vais en être fou; maisje la prierai de borner là fon mérite. Je me reprocherois de lui mettre dans la tête une vifion qu'elle y auroit toute fa vie, & je fuis fûr que je ne l'aimerois pas auffi longtems que la vifion dureroit. Il ne feroit pas d'un honnête Homme de faire une folle pour la laiffer là. Je n'ai pas voulu faire faire des Vers pour elle par un

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de mes Amis qui me fournit tous ceux dont je puis avoir befoin dans mes petites affaires; car je fai combien les Vers font dangereux pour fon mal. Enfin fi elle favoit les obligations qu'elle m'a, il me femble qu'elle devroit m'aimer paffionnément. J'ai un foin extrême de la Raifon qui lui refte; je ne fai fi elle la portera encore loin, mais enfin je ne veux pas l'alterer le moins du monde, ce peu-là lui eft d'une trop grande importance. Adieu, je fuis affuré que nos derniers Neveux auront de la peine à croire mon definteressement.

A MADAME de L. S.

LETTRE XXXV.

Ous euffiez été bien étonnée, Madame, & la vertu de Mademoiselle votre Fille vous eût été bien fufpecte, fi vous euffiez vu l'état où nous étions hier elle & moi. Voici quelles. é toient nos attitudes. J'avois ôté mon Jufte-aucorps, j'allois achever de me mettre en chemife, & Mademoiselle de L. S. n'attendoit que le moment de m'embraffer, & de fe jetter à corps perdu fur moi. C'est-là le fruit de la fevere éducation que vous lui avez donnée: Si Vous voulez pourtant que je vous dife quelque chofe pour la juftifier auprès de vous, nous paffions la Riviere à... l'eau étoit fort emuë, & Mademoiselle de L. S. l'étoit encore davantage. Du milieu de la Riviere, elle cria qu'on

la remît à terre, comme s'il n'y eût pas eu auf filoin, & autant de peril qu'à paffer à l'autre bord. Vous favez qu'elle n'eft jamais fi belle que quand elle s'anime, & jamais elle ne fut fi animée. Ce n'eft pas l'avoir vuë que de l'avoir vue fur terre; l'eau agitée eft bien plus favorable à fa beauté. Je tâchai pourtant à la raffurer, & à diminuer fes charmes; en lui difant que bien des Perfonnes qui ne la valoient pas, avoient été reçues par des Tritons & par des Naïades, lors qu'elles étoient tombées à l'eau. Mais la peur lui avoit tellement troublé l'efprit, qu'elle n'en crut rien; elle eut plus de confiance en moi qu'aux Naïades & aux Tritons, & elle voulut que je me misse en état de la tirer de peril à la nage. Je me deshabillai donc à demi, & je me repens bien de ne lui avoir pas dit qu'elle fe deshabillât auffi-bien que moi, pour pefer moins fur l'eau; je fuis fûr qu'elle l'eût fait. Je ne fai fi elle craignoit que je ne lui fiffe une furprife, & que je ne me jettaffe à la riviere fans elle, mais enfin elle ne me lâcha point. Comme je me voyois maître de fa destinée, je profitai de l'occafion; je lui fis faire vœu que fi elle échapoit, elle m'aimeroir, & viendroit en pelerinage chez moi avec Madame votre Sceur, qui étoit là auffi, mais moins effraiée. Elle promit tout. Là-deffus vint une vague affez forte pour me valoir encore quelque chofe de plus que ce que j'avois obtenu; & fans doute je pouvois aller loin avec le fe cours d'un faut que fit le Bateau; mais je jugeai que fi on m'avoit trop promis, on croiroit être en droit de ne me tenir rien du tout, & j'eus la generofité, ou la politique de me borner. Je

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vous affure, Madame, que je fuis fort content de la petite tempête que nous effuiâmes, il n'y eut coup de vent qui ne fit plus d'effets que mille de mes foûpirs. Les Céladons ne connoiffent les Rivieres que pour s'y jetter de defefpoir; mais je les ai trouvées propres à autre chofe, & je fuis bien aise d'avoir rectifié le mauvais ufage que les Amans en faifoient. Je vous prie très-humblement, Madame, de vouloir bien tenir la main à l'execution des vœux que Mademoifelle votre Fille a fait. Elle eft fur terre en pleine fanté; & je crains qu'il ne foit néceffaire de lui rafraîchir bien-tôt le fouvenir de la Riviere & de moi.

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E craignois, Madame, d'être le Saint, dont parle le Proverbe Italien, Passato il pericolo gabbato il fanto, mais du moins on ne s'eft pas moqué de moitout-à-fait, Madame votre Soeur & Mademoiselle votre Fille, vinrent avant-hier chez moi en pelerinage. Comme elles faifoient une action de devoir, je ne voulus pas qu'elle fût accompagnée de trop de plaifirs, de peur qu'elles n'en perdiffent le merite. Les deux Pelerines qui ne comptoient pas fur cela, & quis'attendoient à être reçues magnifiquement, furent bien surprises de trouver un petit repas en poiffon, quoi que ce fût un jour gras. Mon C 1

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deffein étoit que tout leur reprefentât le peril dont elles étoient échapées, on ne leur fervit que des Poiffons de cette même Riviere qui leur avoit fait tant de peur, & on avoit choifi des Brochets & des Truites d'une groffeur à leur faire avouer qu'elles étoient bien-heureuses de n'avoir pas été mangées par ces Animaux-là. Sur ce qu'elles doutoient que le moindre petit Poiffon qui fût-là, eût été de ceux qui les avoient attendues avec plaifir au fond de l'eau, je leur fis venir quatre Pêcheurs qui l'attefterent; & auffi-tôt ces Pêcheurs fe mirent à danser au fon de quelques Violons qu'on ne voioit point; mais qui ne paroiffoient pas mauvais pour des Violons de Campagne. Les Dames trouverent la Danfe des Pêcheurs affez jolie pour se joindre avec eux, & nous fimes un petit Bal rustique, Je ne fai comment la nuit vint; peut-être les Pelerines le favent bien; mais enfin elle vint. Madame votre Soeur ne vouloit point coucher au logis, mais Mademoiselle de L. S. y confentoit volontiers; apparemment elle n'en voioit pas le péril, ou elle ne craint pas les périls fur terre. Son avis l'emporta, les Dames demeurerent & elles firent encore vou, l'une pourtant avec moins de fraieur que l'autre, que fi leur réputation ne recevoit aucune atteinte de ce qu'elles auroient paffé une nuit chez un Homme, elles recommenceroient leur pelerinage. Il refte à préfent que Mademoiselle votre Fille accompliffe l'autre moité du vœu qu'elle fit fur la Riviere. Elle dit qu'elle l'accomplit, & qu'elle m'aime, mais elle ne m'en apporte aucune preuve. Il me femble qu'il faut prouver ce qu'on avance. Croira-t-on des Filles en ces

ma

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