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A MONSIEUR de S.

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LETTRE XX.

'Apprens avec toute la joye imaginable, mon cher Coufin, que votre Difpenfe eft obtenue, il ne vous en a coûté que quelque petite fomme d'argent, avec laquelle vous avez réparé le malheur d'être parent de Mademoiselle de P... On a déclaré qu'elle pouvoit déformais ne vous regarder plus comme un Homme de fa Famille, & vous traiter en Etranger. Mais qu'eftce que vous traiter en Etranger? C'eft être toute à vous, & ne vous refufer rien. Je voudrois bien être Etranger à ce prix là. Vous qui n'êtes plus fon parent vous ferez bien diftingué de ces Malheureux qui le font encore. Jouïffez de la Difpenfe que Rome vous a donnée, mon cher Coufin; mais fongez à quoi elle vous engage, & faites bien voir que ce n'eft pas envain que la Capitale du monde s'eft mêlée de vos affaires. Une permiffion venue de fi loin doit operer de grands effets ici. Sur tout, levez à Madame de P... tout le fcrupule qu'elle pouvoit avoir de vous donner Mademoiselle fa fille, & perfuadez-la qu'elle ne pouvoit trouver un àutre Gendre, qui fît auffi bien l'acquit de fa conscience dans le Sacrement, car il la faut prendre par les endroits de devotion.

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A MONSIEUR le C. D. L. R.

NE

LETTRE XXI.

E me demandez point par où j'ai fu tout ce que je vais vous dire, il fuffit que je le fai, & que je puis vous donner de bons confeils. Vous aimez, & vous êtes aimé; mais vous avez une forte de tendreffe fi propre à faire finir bien vîte celle que l'on a pour vous, que je vous affure que vous ne ferez pas encore aimé dans deux mois. Vous ne perdez pas de vue votre Maîtreffe, vous ne la quittez pas un moment; s'il vient quelqu'un chez-elle, vous lui faites bien fentir qu'il vous interrompt; pendant des journées entieres que vous la voyez, vous ne lui parlez que de votre amour, & vous lui en parlez d'une manière toûjours languiffante & paffionnée. Encore un coup, fi vous êtes aimé dans deux mois, je crierai miracle. La Dame a préfentement des forces pour vous fuivre; mais vous aurez bien-tôt épuisé tout ce qui eft dans fon cœur ; & vous ferez tout étonné qu'il ne lui fournira plus rien pour vous. On n'a de part & d'autre qu'une certaine mefure de tendreffe; il la faut ménager; ceux qui ne favent pas aimer, la prodiguent imprudemment. On fe plaint des abfences, & on ne fait que fon devoir quand on s'en plaint; cependant pourvu qu'elles ne foient pas trop longues, elles font tous les biens du monde aux Amans. Elles renouvellent un amour qui vieil

liroit; & s'il languiffoit, elles le réveillent. Če feroit à la verité, pouffer la chofe un peu loin, que de fe procurer des abfences tout exprès; mais enfin lors que le hazard nous en procure, nous devons pefter contr'elles, & foup çonner en même tems que nous pourrions bien leur avoir de l'obligation. Vous faites mal de vous fervir de toute la liberté que vous avez de voir votre aimable Maîtrefle à toute heure, & des journées entieres. Ce que vous gagnez par une fi grande affiduité, vous le perdrez fur la durée de votre commerce. Vous ramaffe rez en un jour, ce qui pourroit être répandu dans toute une femaine. C'eft une autre faute de la même efpece, de ne parler que d'amour à ce que vous aimezi. Quelque plaifir qu'on prenne à entendre le détail de vos fenti mens, il eft impoffible que vous ne tombiez dans une infinité de redites, & les redites ont un droit d'ennuyer qu'elles ne perdent jamais. Je gage qu'au fortir d'avec vous, la Dame, peut-être fans s'en appercevoir, respire & reprend haleine. L'art des converfations amoureufes, eft qu'elles ne foient pas toûjours amoureufes. Il faut faire de petites forties, après quoi les retours vers ce qu'on aime font beaucoup plus agréables. Mais ce que je ne puis du tout vous pardonner, c'eft d'être toûjours langoureux. Mettez-vous dans l'efprit que les Femmes veulent qu'on les aime, mais en même tems qu'on les divertiffe, & que qui fait l'un fans l'autre ne fait prefque rien, & peutêtre choifiroient-elles plûtôt d'être diverties fans qu'on les aimât, que d'être aimées fans qu'on les divertît. La langueur a fes ufages;

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mais

mais quand elle eft perpetuelle, c'est un affoupiffement. La conduite d'un Amant doit être férieufe & appliquée, mais fa converfation en vaut mieux d'être quelquefois badine. On perfuade par l'une, & on plaît par l'autre, & le plus fouvent il vaut mieux plaire que perfuader. L'agrément a plus fait de conquêtes que la fidelité. Je ne fai même si avec le sems la pauvre fidelité ne viendra point à être comptée pour un defaut. Il eft toûjours certain qu'elle ne fuffit pas, & qu'elle a besoin d'être affaifonnée. Il vous en coûtera peu de chose pour cet affaifonnement. Soyez telle à peu-près que vous étiez avant que d'aimer. Vous avez le vice de vous jetter trop profondément dans l'amour, & de n'être plus qu'amoureux, quand vous êtes une fois. Il faut aimer, & ne laiffer pas de vivre. Adieu, mon cher Comte. Sachez-moi gré des confeils que je vous donne; car fi je fuivois mes interêts, je laifferois finir un amour qui vous dérobe à vos Amis.

CE

AU ME ME.

LETTRE XXII.

E n'eft pas fait, mon cher Comte, & vous n'êtes pas quitte de mes confeils. J'ai appris depuis peu que vous vous plaignez toûjours, & que vous avez de la difpofition à la jaloufie. Ne croyez pas que je vous laiffe paffer ces deux chofes-là. Vous êtes aimé fans

dou

doute, & fort tendrement. Sur quoi vos plaintes font-elles fondées? Sur ma délicateffe, direz-vous. Il est bon d'être délicat, mais il ne faut pas être Chicaneur. Les plaintes de délicateffe réveillent, mais celles de chicane fatiguent. Vous êtes de ceux qui ne croyent pas qu'on doive jamais convenir de fon bonheur avec la Perfonne qui le fait, & qui ne favent quel nom donner à celles qu'ils n'ont pas lieu d'appeller cruelles & inhumaines. Mais prenez garde auffi qu'on ne fe fâche du peu de confiance que vous avez aux marques de tendreffe qu'on vous donne, & qu'on ne trouve mauvais de n'être pas cruë fur fa parole, quand on vous dit qu'on vous aime. Il faut qu'un Amant tombe d'accord qu'il eft aimé lors qu'il l'eft; mais s'il veut abfolument fe plaindre, il peut fe réserver une petite matière de plaintes fur le plus ou le moins de tendrelle. Encore faut-il faire ces fortes de reproches avec des transports doux, & non pas avec des airs de chagrin. C'eft toûjours un mauvais Perfonnage que celui d'un Homme qui fe plaint; on fe montre par des endroits foibles, dont on doit tâcher à épargner la vûe aux Gens de qui on veut être aimé. Les plus infuportables de toutes les plaintes, ce font celles qui partent d'un caractere jaloux. Si j'étois Femme, toutes ces petites jaloufies qui ne fignifient rien me feroient jetter un Homme par les fenêtres. Pour moi, ou j'eftime affez celles que j'aime pour ne point croire qu'elles puiffent partager leur cœur, ni changer, ou je les etftime. affez peu pour ne m'inquieter point qu'elles le partagent ni qu'elles changent, & par con

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fequent

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