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A LA ME ME.

LETTRE XIV.

E m'apperçois de ce que vous m'àvez man

JE

dé, Mademoiselle, que vous entreriez dans Tes interêts de mon Receveur, & que vous folliciteriez pour lui. Comme vous ne cherchez tous deux qu'à prolonger les affaires, vos Juges viennent de vous accorder un délai d'un temps infini. Vous allez triompher; mais j'ai trouvé un moyen de me vanger de vous. Je vais déformais partager mon temps entre mon Chicaneur & ma Chicaneuse. Le loifir que l'un me laiffera, je l'employerai à agir contre l'autre. Je prévoy que vous m'allez donner bien de l'exercice. Dès que je ferai auprès de vous, vous me ferez rappeller par votre Affocié, qui me donnera quelque affignation; & quand j'en ferai à poursuivre l'Affocié, il faura bien me faire lâcher prise en yous obligeant à me mander quelque chofe de tendre, qui me fera auffi-tôt voler vers vous. Mais il n'importe, je m'aguerrirai, & deviendrai un fi impitoyable Plaideur, que vous aurez fujet de trembler au moindre avantage que j'aurai fur l'un de vous deux. J'aimerois mieux que ce fût vous, fur qui je commençaffe à en avoir, car je vous trouve encore plus obftinée que mon Receveur; & je croi que votre exemple auroit plus de pouvoir fur Jui, que le fien n'en aura fur vous.

Si vous

me

me payiez mes foins que vous avez reçus, il verroit bien qu'il ne pourroit pas fe dispenfer de me payer mon argent qu'il a reçu`auffi. Ainfi je vais travailler à obtenir de vous quelque chofe qui le puiffe convaincre, & je lui ferai auffi-tôt fignifier les faveurs que vous m'aurez faites. Il me feroit commode de terminer les deux affaires tout d'un coup, tandis que je ferai auprès de vous, & de n'être plus obligé de retourner plaider à une Jurisdiction de Čampagne; je vous affure que vous m'allez retrouver par cette raison-là plus ardent & plus paffionné que jamais; & vous ferez peutêtre la premiere qui ferez contente des effets

de l'absence.

A LA MEME.

LETTRE XV.

E vous trouvai hier, Mademoiselle plus belle & plus brillante que jamais. Je ne fai fi vous êtes embellie en effet, ou fi c'eft mon imagination qui vous a embellie. Voilà ce que c'eft que d'aimer trop, on ne faitijamais bien au jufte la verité des choses. De bonne fot je douterois quelquefois que vous fuffiez auffi aimable que vous me paroiffez, fi je n'entendois dire à bien des Gens que vous l'êtes veritablement. Vous pourriez être laide que je ne m'en appercevrois pas, car je vous aime jufqu'à la folie. Auffi quand je commençai à vous aimer, comme je fentois que je devois

me

me défier de mon jugement fur votre chapitre, j'allai demander à tout le monde, s'il étoit vrai que vous cuffiez les grands yeux vifs; l'agreable bouche, & l'air fin que je vous voyois; on me dit qu'il n'y avoit à tout cela aucune illufion, & fur cette réponse, je laissai faire à mon cœur ce qu'il voulut. Quand j'y fonge pourtant, je trouve qu'il vaudroit mieux pour moi, que vous ne fuffiez belle que par mon imagination que de l'être effectivement. Dieu fait avec combien de plaifir vous recevriez un amour qui vous embelliroit; fi vous ne m'aimiez pas, je vous rendrois tout d'un coup votre premiere laideur, en ceffant de vous aimer. Mais vous feriez bien fachée de me devoir votre beauté, car il faudroit que vous n'en fiffiez d'ufage que pour moi, & ce n'eft pas là votre compte. On eft bien malheureux que vos agrémens ne doivent rien à perfonne, cela vous rend trop fiere. Je ne fai pourtant fi ceux que je vous trouvai hier, ne vous étoient point infpirez par quelqu'un. Il eft fûr que vos yeux n'étoient pas tout-à-falt au même état que je les avois laiffez quand je partis. Il y avoit quelque chofe 'de changé; un certain brillant, un feu plus doux, qui me parut de fort mauvais augure pour ma paffion; car ce feu & ce brillant étoient venus pendant mon abfence. Je vous défie d'aimer que je ne m'en apperçoive. Helas. on dit que l'oeil du Maître eft neceffaire par tout, mais l'œil de l'Amant l'eft encore bien davantage; j'ai été éloigné deux mois, & voilà les fruits de mon éloignement. Si j'euffe été ici, j'euffe bien empêché vos yeux de devenir plus vifs; il me femble même que je les furpris en flagrantB

de

delit avec un Cavalier qui étoit chez vous, il vous regardoit, & vous le regardiez. Je veux un peu examiner de près cette affaire-là, mon cœur m'a dit que j'ai un Rival, mais je ne croi pas legerement mon cœur; car il me dit, par exemple, que vous devriez m'aimer & cependant m'aimez-vous?

Ja

A LA MEME.

LETTRE XVI.

E ne doute plus que je n'aye un Rival; il fe déclara hier par la mauvaise humeur où il fut de me voir long-tems chez vous. J'admire comme vous avez pris votre tems jufte, pendant mon absence, pour vous faire aimer de lui. Je gage que fi j'euile été prefent il n'cût jamais ofé fonger à vous; il eût veu de quelle maniere je vous aime, & il n'eût pas crû pouvoir vous aimer autant. Auffi comme vous favez que j'épouvante ceux qui voudroient s'engager à vous, vous profitez de mon éloignement pour faire des conquêtes; mais je vais me montrer à mon Rival avec toute ma paffion. Du moins s'il a votre cœur, j'empêcherai qu'il ne l'ait à bon marché; peut-être l'inclination que vous euffiez euë pour lui, eût été caufe que vous n'en euffiez exigé qu'une tendreffe legere, & que vous euffiez fuppléé par votre bonté, ce qui eût manqué à fon amour. Mais quand il verra le mien, il faudra bien qu'il tâche à l'égaler, & il auroit honte d'être préféré à un Homme qui vous aimeroit plus que lui. Ainfi par

mes

mes foins & mes affiduitez, je poufferai votre cœur au plus haut prix qu'il fe pourra, & vous m'aurez l'obligation d'être plus tendrement aimé par le Rival que vous venez de me donner. Si vous étiez bien raisonnable, vous me tiendriez compte, non feulement de mon amour, mais encore du fien. J'aurois droit de vous demander cette double reconnoiffance: cependant comme je veux être genereux, je confens que vous ne me payiez que ma tendreffe, & qne pour celle de mon Rival, vous n'y songiez point du tout.

A LA

JEUNE ANGLOISE.

LETTRE XVII.

IL court un bruit dé vous, Mademoiselle, on dit que vous êtes aimée d'un Cavalier Anglois & que vous n'êtes pas mal difpofée pour lui. Vous moquez-vous? Faloit-il paffer la Mer pour venir aimer un Anglois en France? Quel profit tirerez-vous de votre voyage? Voilà ce qui fait fouvent qu'on perd la peine qu'on a prise d'aller dans des Païs étrangers, on n'y voit que des Gens de fa Nation. Eh, du moins donnez- ̈ nous le tems que vous pafferez chez nous. Je voi bien que l'Angleterre a grand peur que vous nə lui échapiez, puis qu'elle vous tient toûjours par un Amant Anglois. Mais vous faites une infulte cruelle à la France, dont vous venez mé

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