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fes de nos Belles ? Vous aurez beaú leur dire que les couleurs font dans les yeux de ceux qui les regardent, & non dans les objets. Les Dames ne veulent point dépendre des yeux d'autrui pour leur teint, elles veulent l'avoir à elles en propre; & s'il n'y a point de couleur la nuit, Mr de N... eft donc bien attrapé, qui eft devenu amoureux de Mademoiselle D. L. G. fur fon beau teint, & l'a épousée? Il feroit fort facheux pour lui, de croire tenir le plus beau blanc, & le plus bel incarnat du monde; & de ne tenir rien. Nous fifmes encore un raisonnement Madame de B... & moi, qui affurément vous embaraffera. Vous dites que les Bêtes font des Machines, auffibien que des Montres? Mais mettez une Machine de Chien & une Machine de Chienne, l'une auprès de l'autre, il en pourra refulter une troisième petite Machine; au lieu que deux Montres feront l'une auprès de l'autre toute leur vie. fans faire jamais une troisième Montre. Or nous trouvons par notre Philofophie, Madame de B... & moi, que toutes les chofes qui étant deux ont la vertu de fe faire trois, font d'une nobleffe bien élevée au deffus de la Machine. Nous vous donnons du tems pour nous répondre, nous favons bien qu'il faudra que vous confultiez vos Livres. Madame de B... Vous avertit par moi, que quand vous viendriez ici, elle ne vous recevra point chez elle, fi vous ne faites réparation à fon teint; & moi je vous affure que je fuis une Machine montée à vous estimer, & à vous aimer toûjours.

AMA

A MADAME D...

Qui pretendoit avoir entretenu quatre heures un Efprit familier, qui parloit par la bouche d'une petite Fille, à laquelle il s'étoit attache.

JE

LETTRE XII.

E commence, Madame, à connoître les Gens de l'autre monde, ils ont les mêmes goûts que ceux de ce monde-ci, ils recherchent votre conversation auffi-bien que nous. Nous pourrez-vous bien fouffrir, nous autres fimples Mortels, après vous être accoûtumées aux Efprits? Ils vous diftinguent de la maniere du monde la plus honnête. D'ordinaire ces Meffieurs-là font brufques; ils ouvrent vos rideaux, tirent votre couverture, vous donnent quelques foufflets, & on ne fait ce qu'ils deviennent. Ils démeubleront toute une Chambre fans dire pourquoi; enfin je n'avois jamais été content de leur procedé, & je trouvois qu'ils ne venoient ici que pour faire des tours de laquais où le plus fouvent il n'y avoit pas le mot pour rire. Auffi y en a-t-il quelques-uns d'entr'eux, qui fe rangent vofontairement à l'Ecurie, & ne fe jugent dignes que de panfer les Chevaux. Mais enfin il s'eft trouvé un honnête Homme d'efprit, qui fans battre, ni faire de vacarme, a bien voulu entrer dans une conversation reglée. Et dans quelle converfation? dans une converfa

tion de quatre heures. Il faut que vous ayez bien du merite. Ces gens-là n'ont jamais dit quatre paroles fuivies. Ils ne font que donner des nafardes, parce qu'ils ne daignent entretenir perfonne; & vous ils vous entretiennent quatre heures. Vous êtes la premiere qui ayez cu un tête-à-tête tranquille avec un efprit, lui dans fon Fauteuil, & vous dans le vôtre. Mais voyez comme cet Efprit fait vivre; il n'a ofé d'abord s'adreffer à vous, il s'eft attaché à une petite fille par la bouche de qui il vous a entretenue. Il me femble que je voy quelqu'un de vos Amans qui commence par gagner votre Demoiselle. Affurément l'Esprit a de grandes déclarations à vous faire, puifqu'il prend ces voyes-là. Il ne vous a encore parlé que de. matieres generales, pour ne vous pas effrayer. Vous dites que vous n'avez rien su tirer de lui fur les affaires de l'autre monde: & mon Dieu! je voy bien fa politique; vous êtes affez aimable pour lui faire trahir tous les fecrets du pais d'où il vient, mais il veut vous vendre ces confidences-là un peu cher, j'avoue que j'en ferois autant en fa place. Du moins, vous l'aurez bien interrogé fur ce monde-ci. Je croi vous tenir affez au cœur, pour me flater que vous lui aurez demandé de mes nouvelles, & que vous aurez voulu favoir de lui la verité de tout ce que je vous proteste. Il n'aura pas manqué de vous dire que j'en proteste autant à bien d'autres; qu'une veritable paffion & moi, nous fommes des chofes incompatibles; que je ne faurois aller audelà de l'amitié un peu égayée, mais je vous prie très-humblement de ne l'en croire pas; l'Ef

prit eft jaloux de moi. Il fait que je vous aime plus qu'il ne fait, & il veut me détruire. On est bien malheureux quand on a des ennemis cachez comme lui. Je ne doute point qu'il n'oublie pour moi la politeffe qu'il a euë pour vous; & qu'après vous avoir entretenuë fort galamment, il ne vienne m'infulter avec toute l'incivilité, qu'ont accoûtumé d'avoir ceux de fon efpece. Mais j'efpere du moins que vous reconnoîtrez bien ce qui le fera agir, & que les coups qu'il me donnera prouveront autant à mon avantage, que mes foins & mes affiduitez. Je ne m'attendois pas que vous me fifliez des Rivaux, qui puffent venir déménager ma Chambre toutes les nuits, jetter tous les meubles par les fenêtres, & me roüer peutêtre de coups, fans que je fuffe en pouvoir de m'y oppofer; voilà ce que c'eft que de m'être adreffé à une Dame trop aimable. L'Efprit quittera bientôt affurément la petite Fille, qui lui fert de prétexte, & s'attachera à vous-même; mais fût-il ici, je lui dirois en fa préfence, que quand il parlera par votre bouche, on ne s'apercevra point que vous y ayez rien gagné.

AMADEMOISELLE de I.:

ON

LETTRE XIII.

Na bien raifon de dire, Mademoiselle; que le myftere eft un affaifonnement très

ne

neceffaire à l'amour. Si la paffion que j'ai pour vous étoit moins connue un Procès que j'ai ici en iroit bien mieux. Je plaide contre mon Receveur, & je voy bien qu'il fe moque de mes pourfuites. Il cherche à gagner toûjours du temps, parce qu'il connoît que je vous aime, & qu'il eft perfuadé que j'aurai la foiblefle de retourner bientôt à ... pour vous voir. J'ai beau faire le méchant, il n'en tient compte. C'eft grand' pitié, Mademoiselle, qu'il faille effuyer vos mépris, & ceux de mon Receveur! Il faut que cet Homme-là ait pris de vos memoires, tant il yous imite en tout. II fait bien en fa confcience ce qu'il me doit, & il a pris une forte resolution de ne me rien payer. Il me chicane de toutes manieres fur les moindres chofes; il m'engage dans des procedures qui ne finiront de dix ans, fuivant le train qu'elles prennent; la bonne foi que j'ai avec lui ne le touche point, il ne fonge qu'à trouver l'occafion de me faire une tromperie. Du moins ce que j'efpere, c'eft que le jugement que j'obtiendrai contre lui, fera valable auffi contre vous; il fera tout-à-fait en cas pareil, & vous n'aurez rien à y répondre. Je m'en vais preffer mon Homme vivement, non pas à caufe des quatre mille Ecus qu'il me doit, mais à caufe de la tendreffe que vous me devez. Je m'animerai beaucoup davantage contre lui, & lui ferai moins de quartier, parcequ'il vous représente.

A LA

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