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née qui voguoit à pleines voiles dit, "Qu'elle étoit donc vaincue; qu'elle ne pourroit empêcher un roi des Teucriens d'entrer en Italie; que Pallas avoit bien pû brûler la flote Argienne, pour pu

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»nir le crime d'un feul, &c. Voilà un récit demi dramatique. Junon ne parle point; c'est l'hiftorien; mais il répéte les termes dont Junon s'eft fervie: écoutons-la elle-même, la voici :

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Quoi ! fuis-je donc vaincue ? Que » je renonce à une entreprise commen»cée ? Que je ne puiffe écarter de l'Italie » un roi Teucrien? Les Deftins me le défendent. Pallas aura brûlé la flote des Argiens; elle les aura tous engloutis » dans les flots, pour punir la faute d'un » feul. Elle-même, de fa main, aura lan» cé la foudre de Jupiter, &c. Et moi qui » fuis la fœur, & l'époufe de Jupiter, &c.» Voilà le dramatique tel qu'il peut, & qu'il doit entrer dans l'Epopée.

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Defcendons de plus en plus dans les détails. Ce font les détails feuls qui inftruifent: c'eft là qu'on voit principalement le grand artifte. Les mêmes couleurs appartiennent à tous les peintres ; cependant un peintre médiocre ne fera pas la copie

d'un excellent original, comme Rubens, ou Raphaël auroient fait celle d'un tableau médiocre. Ce fera même deffein, mêmes couleurs dans les originaux & dans les copies mais la copie du bon, faite par le peintre médiocre, vaudra moins que fon original; & la copie du médio

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faite par le grand peintre, vaudra beaucoup mieux. Pourquoi ? Il réfulte de la touche de l'artiste une perfection, qui eft infenfible dans chacune des parties, & frappante dans le tout. Donnons à un poëte médiocre le plan du Lutrin, crayonné jufques dans fes moindres parties; en fera-t-il ce que Defpréaux en à fu faire ? On lui donneroit jufqu'aux expreffions, qu'il les arrangeroit de maniere à enlaidir toutes les pensées. Il ne fentiroit pas comme Defpréaux, le pouvoir d'un mot mis en fa place: & faute de certaines conftructions, de certaines liaisons, la fens feroit contrefait, louche, la verve languiffante, & par conféquent l'effet des tableaux manqué. Qu'est-ce donc qu'a fait Defpréaux?

1o. Il n'a employé que des pensées Îl vraies, juftes, naturelles; mais qui fe fuivent, s'engendrent fucceffivement & fe

pouffent fans interruption, comme les Hots. Voici une de fes descriptions : c'est ce qu'il y a de plus lent dans tout ouvrage d'efprit.

Dans le réduit obfcur d'une alcove enfoncée,
S'éleve un lit de plume à grands frais amaffée.
Quatre rideaux pompeux, par un double contour,
En défendent l'entrée à la clarté du jour.
Là, parmi les douceurs d'un tranquille filence,
Regne fur le duvet une heureuse indolence.
C'est là que le Prélat, muni d'un déjeuner,
Dormant d'un léger somme, attendoit le dîner.
La jeuneffe en fa fleur brille fur fon vifage.
Son menton fur fon fein defcend à double étage.
Et fon corps ramaffé dans fa courte groffeur,
Fait gémir les couffins fous fa molle épaiffeur.

Denys d'Halicarnaffe donne pour régle, quand il s'agit de juger de la bonté des vers : Que tout y foit auffi ferré, auffi coulant, auffi jufte, auffi uni que dans la profe. Or quel écrivain, ufant de la liberté de la profe, pourroit fe flatter de rendre mieux & plus naturellement cette peinture ?

2o. Les mots font admirablement choifis pour dire ce que l'on veut dire. Réduit marque un lieu écarté, ifolé, bien clos. Obfcur: il le falloit pour y mieux dormir jufqu'au grand jour. Une alcove

enfoncée :

enfoncée: c'est une retraite profonde, la retraite même du fommeil & de la mo leffe. S'éleve, au commencement du vers, préfente l'idée d'un duvet léger, rebondi. A grands frais amaffée, ce duvet eft fi fin ! quel tems, quelle dépenfe, pour former cet amas qui s'enfle & s'éleve mollet ment! Tout n'eft pas fait encore pour affurer le repos du Prélat. Quatre rideaux j qui fe croifent, mais de ces rideaux, amples, étoffez. Pompeux, eft placé à l'he miftyche: pour y repofer l'oreille & l'efprit, & faire fur eux une impreffion plus grande. Défendent l'entrée, quelle fierté ! défendre au jour de venir troubler par fa clarté, le sommeil précieux du prélat. Là, parmi les douceurs d'un tranquille filence. Rien n'eft fi doux, fi paifible que ce vers, la rime en eft fondante. Le fuivant n'est pas moins beau: Regne fur le duver une heureufe indolence. Ce n'eft pas un homme indolent, c'eft l'indolence même, & une heureuse indolence, qui regne, qui jouit de tout le bonheur qu'on fe figure attaché à la royauté. Cette analyfe fuffit pour faire voir quelle eft la jufteffe & l'énergie pittorefque des mots.

30. Il-a de même des tours qui font Tome II.

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d'une force & d'une naïveté finguliere. Pour ne point multiplier les exemples; quoi de plus naïf que cette liaison? La parmi les douceurs. Et deux vers après : C'EST-LA que le Prélat: cet arrangement montre le lieu & le prélat, & le fait voir.

4°. Il y a la peinture des détails, qui montrant les parties de certains objets, femble multiplier les objets mêmes, les preffer, les chaffer l'un par l'autre.

5o. L'harmonie naturelle qui confiste, comme nous l'avons dit, dans le choix. de certains fons, & dans leurs combinaifons, conformes à la nature de l'objet exprimé. On en voit l'exemple dans les vers citez.

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6°. Le nombre, ou la diftribution des repos, conformes aux befoins de l'efprit, de la refpiration & de l'oreille.

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Enfin il y a l'harmonie artificielle du vers, qui a des régles de goût, & d'autres qui font de l'art.

Celles de goût confiftent, en François, dans le choix des fons, fur-tout de ceux qui fe trouvent aux repos & aux finales: & qui feront doux ou durs, éclaans ou fourds, pompeux ou triftes, moë

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