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DIOGEN E.

Vous voyez bien que vous ne saviez pas son histoire. Mais faites approcher son écuyer Féraulas; il ne demande pas mieux que de vous la raconter; il sait par cœur tout ce qui s'est passé dans l'esprit de son maître, et a tenu un registre exact de toutes les paroles que son maître a dites en lui-même depuis qu'il est au monde, avec un rouleau de ses lettres qu'il a toujours dans sa poche. A la vérité vous êtes en danger de bâiller un peu; car ses narrations ne sont pas fort courtes.

PLUTON.

Oh! j'ai bien le temps de cela!

CYRUS.

Mais, trop engageante personne...

PLUTON.

Quel langage! A-t-on jamais parlé de la sorte? Mais dites-moi, vous, trop pleurant Artamene, est-ce que 'vous n'avez pas envie de combattre ?

CYRUS.

Eh! de grace, généreux Pluton, souffrez que j'aille entendre l'histoire d'Aglatidas et d'Amestris, qu'on me va conter. Rendons ce devoir à deux illustres malheureux. Cependant voici le fidele Féraulas que je vous laisse, qui vous iustruira positivement de l'histoire de ma vie, et de l'impossibilité de mon bonheur.

PLUTON.

Je n'en veux point être instruit, moi. Qu'on me chasse ce grand pleureux.

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PLUTON.

Si tu ne t'en vas....

CYRUS.

En mon particulier....

PLUTON.

Si tu ne te retires..... A la fin le voilà dehors. A-t-on jamais vu tant pleurer!

DIOGENE.

Vraiment il n'est pas au bout, puisqu'il n'en est qu'à l'histoire d'Aglatidas et d'Amestris. Il a encore neuf gros tomes à faire ce joli métier.

PLUTON.

Hé bien qu'il remplisse, s'il veut, cent volumes de ses folies. J'ai d'autres affaires présentement qu'à L'entendre, Mais quelle est cette femme que je vois qui arrive?

DIOGEN E.

Ne reconnoissez-vous pas Tomyris?

PLUTON.

Quoi! cette reine sauvage des Massagetes, qui fit plonger la tête de Cyrus dans un vaisseau de sang humain? Celle-ci ne pleurera pas, j'en réponds. Qu'est-ce qu'elle cherche ?

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TOMYRIS.

Que l'on cherche par-tout mes tablettes perdues; << Mais que sans les ouvrir elles me soient rendues (1) ».

DIOGEN E.

Des tablettes! Je ne les ai pas au moins. Ce n'est pas un meuble pour moi que des tablettes; et l'on prend assez de soin de retenir mes bons mots, sans que j'aie besoin de les recueillir moi-même dans des tablettes.

(1) Ce sont les deux premiers vers de la cinquieme scene du premier acte de la tragédie de Cyrus, faite par M. Quinault; et c'est Tomyris qui parle.

PLUTON.

Je pense qu'elle ne fera que chercher. Elle a tantôt visité tous les coins et recoins de cette salle. Qu'y avoit-il donc de si précieux dans vos tablettes, grande reine?

TOMYRIS.

Un madrigal que j'ai fait ce matin pour le charmant ennemi que j'aime.

MINOS.

Hélas! qu'elle est doucereuse!

DIOGEN E.

Je suis fâché que ses tablettes soient perdues. Je serois curieux de voir un madrigal massagete.

PLUTON.

Mais quel est donc ce charmant ennemi qu'elle aime?

DIOGEN E.

C'est ce même Cyrus qui vient de sortir tout-àl'heure.

PLUTON.

Bon! elle auroit fait égorger l'objet de sa passion?

DIOGENE.

Egorgé! C'est une erreur dont on a été abusé seulement durant vingt-cinq siecles ; et cela par la faute du gazetier de Scythie, qui répandit mal-à-propos la nouvelle de sa mort sur un faux bruit. On en est détrompé depuis quatorze ou quinze ans.

PLUTON.

Vraiment je le croyois encore. Cependant, soit que le gazetier de Scythie se soit trompé ou non, qu'elle s'en aille dans ces galeries chercher, si elle veut, son charmant ennemi, et qu'elle ne s'opiniâtre pas da= vantage à retrouver des tablettes que vraisemblable= ment elle a perdnes par sa négligence, et que sûre= ment aucun de nous n'a volées. Mais quelle est cette voix robuste que j'entends là-bas qui fredonne un air?

DIOGEN E.

C'est ce grand borgne d'Horatius Coclès, qui chante ici proche, comme m'a dit un de vos gardes, à un écho qu'il y a trouvé, une chanson qu'il a faite pour Clélie.

PLUTON.

Qu'a donc ce fou de Minos, qu'il creve de rire ?

MINOS.

Et qui ne riroit? Horatius Coclès chantant à l'écho!

PLUTO N.

Il est vrai que la chose est assez nouvelle. Cela est à voir. Qu'on le fasse entrer, et qu'il n'interrompe point pour cela sa chanson, que Minos vraisembla= blement sera bien aise d'entendre de plus près.

Assurément.

MINOS.

HORATIUS COCLES, chantant la reprise de la chanson qu'il chante dans Clélie.

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Et Phénisse même publie

Qu'il n'est rien si beau que Clélie. »

DIOGEN E.

Je pense reconnoître l'air. C'est sur le chant de Toinon la belle jardiniere (1).

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C'est une dame des plus galantes et des plus spirituelles de la ville de Capone, mais qui a une trop grande opinion de sa beauté, et qu'Horatius Cocles raille dans cet in-promptu de sa façon, dont il a com:

(1) Chanson du Savoyard, alors à la mode.

posé aussi le chant, en lui faisant avouer à elle-même que tout cede en beauté à Clélie.

MINOS.

Je n'eusse jamais cru que cet illustre Romain fût si excellent musicien, et si habile faiseur d'inpromptu. Cependant je vois bien par celui-ci qu'il y est maître passé.

PLUTON.

Et moi, je vois bien que, pour s'amuser à de sem blables petitesses, il faut qu'il ait entièrement perdu le sens. Hé! Horatius Coclès, vous qui étiez autrefois si déterminé soldat, et qui avez défendu vous seul un pont contre toute une armée, de quoi vous êtesvous avisé de vous faire berger après votre mort? et qui est le fou ou la folle qui vous ont appris à chanter?

HORATIUS COCLES.

« Et Phénisse même publie

« Qu'il n'est rien si beau que Clélie.»

MINOS.

Il se ravit dans son chant.

PLUTON.

Oh! qu'il s'en aille dans mes galeries chercher, s'il veut, un nouvel écho : qu'on l'emmene. HORATIUS COCLÈS, s'en allant et toujours chantant. « Et Phénisse même publie

«

Qu'il n'est rien si beau

PLUTON.

que

Clélie. »

Le fou! le fou! Ne viendra-t-il point à la fin une personne raisonnable?

DIOGEN E.

Vous allez avoir bien de la satisfaction; car je vois entrer la plus illustre de toutes les dames romaines, cette Clélie qui passa le Tibre à la nage pour se dérober du camp de Porsenna, et dont Horatius Coclès, comme vous venez de le voir, est amou

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