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1753.

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LETTRE X X I.

A M. LE MARECHAL DUC DE RICHELIEU.

A Strasbourg, ou tout auprès, 7 septembre.

MAIS vraiment, Monfeigneur, cela est assez extraordinaire. Quoi, pour l'œuvre de poëshies! Les vers font donc une belle chofe ! Je les ai toujours aimés à la folie quand ils font bons. Mais ma pauvre nièce ! qu'allait-elle faire dans cette galère ! Les gens qui difent que tout cela s'eft paffé de nos jours ont grand tort; l'aventure eft du temps de Denys de Syracufe. Je fuis au défespoir de ne vous point faire ma cour. Le temps fe paffe, et je ne me confolerais pas d'être mort fans avoir eu l'honneur de vous entretenir. Et le voyage d'Italie, et Saint-Pierre de Rome, et la ville fouterraine, n'avez-vous pas quelque envie de les voir? et ne pourrait-on pas venir recevoir vos ordres dans le chemin ? et n'iriez-vous pas faire un cours à Montpellier? Un beau foleil et vous, vous êtes mes dieux. Il ferait doux de les voir de près. J'aime ceux qui échauffent et qui éclairent, et non pas ceux qui brûlent.

Je joins les fentimens de la plus tendre reconnaiffance à un attachement d'environ quarante années ; mais j'ai des paffions malheureuses, et la jouiffance de l'objet aimé m'eft interdite par ordre du médecin. Si votre belle imagination trouve quelque tournure pour que je puiffe bacciar vi la mano quand vous irez à Montpellier, ce ferait pour moi l'heure du berger.

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E per che no? Un gran' re m'a bacciato la mano, ά me, fi, la brutta mano per incitar mi á rimanere nel fuo palazzo d'Alcina. Ed io baccierò la voftra bella mano con un più grande e faporito piacere. Ah, fignore amabile, fignore cortefe e bravo, la vita fi perde fi confuma e la Speranza ancora fi diflrugge.

Eft-ce que vous feriez affez bon pour vouloir bien me mettre aux pieds de madame de Pompadour, quand vous n'aurez rien à lui dire? Pardon, Monfeigneur, de la liberté grande. Il y a dans Paris force vieilles et illuftres catins à qui vous avez fait passer de joyeux momens, mais il n'y en a point qui vous aime plus que moi. Je crois que la première conversation que j'aurais l'honneur d'avoir avec vous ferait affez amufante. Non, ce ferait la feconde; car, à force de plaifir, je ne faurais ce que je dirais dans la première.

A propos, je fuis bien malade; daignez-vous en fouvenir. Il n'y a que mes ennemis qui difent que je me porte. In tanto con ogni offequio, &c.

LETTRE XXI I.

A MADAME

LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.

JE

14 septembre.

E vous demande pardon, Madame, de ne vous avoir pas parlé de votre digne et aimable fils; mais ce qui eft dans le cœur n'eft pas toujours au bout de la plume, furtout quand on écrit vite et qu'on eft

malade.

maladé. J'ai eu l'honneur de lui faire ma cour quand il était, à Lunéville, poffeffeur d'une femme qu'il doit 1753. avoir bien regrettée; mais il lui reste une mère dont il fait la confolation, et qui doit faire la fienne. Peutêtre aurai-je le bonheur de vous voir tous deux avant que je quitte ce pays -ci. Avouez donc, Madame, que je fuis prophète de mon métier, et que je ne fuis pas prophète de malheur; non-feulement j'avais lu le mémoire de M. de Klinglin, mais encore un autre qui eft très-fecret, et vous voyez que je n'avais pas mal conclu. J'efpère encore que M. de Klinglin viendra exercer ici fa préture, malgré les tribuns du peuple qui s'y oppofent vivement. C'était une chose trop abfurde qu'un homme perdît fa place pour avoir été déclaré innocent. Je fuis bien aife que vous admettiez une divinité; c'eft ce que je tâchais de persuader à un roi qui n'y croit pas, et qui se conduit en conféquence. Il lui arrivera malheur, mais il mourra impénitent. Je ne fais pas quand j'irai dans le voifinage de ces vignes fur lefquelles j'ai une bonne hypothèque. Elles appartiennent au duc de Virtemberg. Il y a des gens qui veulent me perfuader que ce fera la vigne de Nabot, et que mon hypothèque eft le beau billet qu'a la Châtre; mais je n'en crois rien. Le duc de Virtemberg eft un honnête homme, Dieu merci; il n'est pas roi, et je penfe qu'il croit en DIEU, quoiqu'il n'ait jamais voulu baiser la mule du pape. Vous me donnez par le nez de l'hiftoriographe. Vraiment le roi m'ôta cette charge quand le roi de Pruffe me prit à force, et je fuis demeuré entre deux rois le cu à terre. Deux rois font de très-mauvaises felles. Il eft vrai qu'on m'a laiffé ma Correfp. générale. Tome IV. D

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place de gentilhomme ordinaire de la chambre; j'aimerais mieux la vôtre mille fois.

Ayez donc la bonté de m'inftruire de vos marches. L'accident de votre neveu vous retient-il à Colmar? Il me fouvient que M. de Richelieu eut la même maladie à vingt ans. C'eût été dommage que la région de la veffie fût demeurée paralytique chez lui. Sa maladie fit place à beaucoup de vigueur, et j'en espère autant pour monfieur votre neveu. Vous vous imaginez donc, Madame, que je demeure toujours dans la rue des Charpentiers, point du tout; je suis à la campagne, vis-à-vis votre maison, où par malheur vous n'êtes point. Je dépeuple le pays de cloportes auxquels on m'a condamné. Je vis tout feul, je ne m'en trouve pas mal. J'ai pourtant un appartement chez M. le maréchal de Coigny, dont je ne fais fi je ferai usage; tout ce que je fais bien furement, c'est que je meurs d'envie de vous voir, de caufer avec vous, et de vous renouveler cent fois mes refpectueux et tendres fentimens.

LETTRE XXIII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

Mon cher

ON

Auprès de Colmar, 3 d'octobre.

ange, fi madame la maréchale de Duras, qui a l'air. fi réfolue, avait fait comme madame de Montaigu et comme la feue reine d'Angleterre; fi elle avait donné bravement la petite vérole à fes enfans, vous ne pleureriez pas aujourd'hui madame la

a

ducheffe d'Aumont. Il y a trente ans que j'ai crié qu'on
pouvait fauver la dixième partie de la nation. Il
y
quelques gens qui, frappés de la mort des perfonnes
confidérables enlevées à la fleur de leur âge par la
petite vérole, difent: Mais vraiment il faudrait
effayer l'inoculation. Et puis, au bout de quinze jours,
on ne pense plus ni à ceux qui font morts, ni à
ceux que ce fléau de la nature menace encore de la

mort.

L'année paffée, l'évêque de Vorcefter prêcha dans Londres devant le parlement en faveur de l'inoculation, et prouva qu'elle fauvait la vie tous les ans à deux mille perfonnes dans cette capitale. Voilà des fermons qui valent bien mieux que les bavarderies de nos prédi

cateurs.

Il y a un homme dans le monde plus dangereux que la petite vérole; il s'abaiffe jufqu'à la calomnie. Un fourdaud, qui eft la trompette de Maupertuis, répand fes horreurs. Où fe fauver? Vous me direz que c'est au château de M. de Sainte-Palaye; mais le père Goulu perfécutait Balzac jufque fur les bords de la Charente.

I nunc, et verfus tecum meditare canoros.

Mais, mon cher ange, fi vous me promettez, vous et madame d'Argental, d'aller dans ce château, je figne le marché aveuglément. J'ai un bien affez confidérable en Alface, et je voulais bâtir fur les ruines d'un vieux palais qui appartiennent à M. le duc de Virtemberg. Toutes mes idées s'évanouiffent dès qu'il s'agit de me rapprocher de vous.

Je n'ofe vous prier de préfenter mes refpects et ma fenfibilité à M. le duc d'Aumont. Qui aurait dit

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