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très fou dans fes écrits, et très - méchant dans fa 1753. conduite; mais je ne me foucie point du tout d'aller dénoncer fa méchanceté au roi de Pruffe. J'ai plus à reprocher au roi qu'à Maupertuis; car j'étais venu pour fa Majefté, et non pour ce président de Bedlam. J'avais tout quitté pour elle, et rien pour Maupertuis; elle m'avait fait des fermens d'une amitié à toute épreuve, et Maupertuis ne m'avait rien promis; il a fait fon métier de perfide en intéreffant fourdement l'amour propre du roi contre moi. Maupertuis favait mieux qu'un autre à quel excès fe porte l'orgueil littéraire. Il a fu prendre le roi par fon faible. La calomnie eft entrée très-aifément dans un cœur né jaloux et foupçonneux. Il s'en faut beaucoup que le cardinal de Richelieu ait porté autant d'envie à Corneille que le roi de Pruffe m'en portait. Tout ce que j'ai fait, pendant deux ans, pour mettre fes, ouvrages de profe et de vers en état de paraître, a été un fervice dangereux qui déplaifait dans le temps même qu'il affectait de m'en remercier avec effufion de cœur. Enfin, fon orgueil d'auteur piqué l'a porté à écrire une malheureuse brochure contre moi, en faveur de Maupertuis qu'il n'aime point du tout. Il a fenti, avec

le

temps, que cette brochure le couvrait de honte et de ridicule dans toutes les cours de l'Europe; et cela l'aigrit encore. Pour achever le galimatias qui règne dans toute cette affaire, il veut avoir l'air d'avoir fait un acte de juftice, et de le couronner par un acte de clémence. Il n'y a aucun de fes fujets, tout pruffiens qu'ils font, qui ne le défapprouve; mais vous jugez bien que perfonne ne le lui dit. Il faut qu'il se dise tout à lui-même, et ce qu'il fe dit en fecret:

c'eft que j'ai la volonté et le droit de laiffer à la poftérité fa condamnation par écrit. Pour le droit, je 1753. crois l'avoir; mais je n'ai d'autre volonté que de m'en aller, et d'achever dans la retraite le refte de ma carrière, entre les bras de l'amitié et loin des griffes des rois qui font des vers et de la prose. Je lui ai mandé tout ce que j'ai fur le cœur ; je l'ai éclairci ; je lui ai dit tout. Je n'ai plus qu'à lui demander une feconde fois mon congé. Nous verrons s'il refufera à un moribond la permiffion d'aller prendre les eaux.

Tout le monde me dit qu'il me la refusera; je le voudrais pour la rareté du fait. Il n'aura qu'à ajouter à l'Anti-Machiavel un chapitre fur le droit de retenir les étrangers par force, et le dédier à Bufiris.

Quoi qu'on me dife, je ne le crois pas capable d'une fi atroce injuftice. Nous verrons. J'exige de vous et de madame Denis que vous brûliez tous deux les lettres que je vous écris par cet ordinaire, ou plutôt par cet extraordinaire. Adieu, mes chers anges.

JE

LETTRE VII.

A MADAME DENIS, à Paris.

A Berlin, 15 de mars.

E commence à me rétablir, ma chère enfant. J'espère que votre ancienne prédiction ne fera pas tout-à-fait accomplie. Le roi de Prufse m'a envoyé du quinquina pendant ma maladie; ce n'est pas cela

1753.

qu'il me faut c'eft mon congé. Il voulait que je retournaffe à Potsdam. Je lui ai demandé la permiffion d'aller à Plombières : je vous donne en cent à deviner la réponse. Il m'a fait écrire par fon factotum qu'il y avait des eaux excellentes à Glatz, vers la Moravie.

Voilà qui eft bien horriblement vandale, et bien peu Salomon c'eft comme fi on envoyait prendre les eaux en Sibérie. Que voulez-vous que je fasse? il faut bien aller à Potsdam; alors il ne pourra me refufer mon congé. Il ne foutiendra pas le tête à tête d'un homme qui l'a enseigné deux ans, et dont la vue lui donnera des remords. Voilà ma dernière réfolution.

Au bout du compte, quoique tout ceci ne foit pas de notre fiècle, les taureaux de Phalaris et les lits de fer de Bufiris ne font plus en ufage; et Salomon minor ne voudra être ni Bufiris ni Phalaris. J'ai ce pays - ci en horreur: mon paquet eft tout fait. J'ai envoyé tous mes effets hors du Brandebourg; il ne refte guère que ma perfonne.

Tout ceci eft unique affurément. Voici les deux Lettres au Public : le roi a écrit et imprimé ces brochures; et tout Berlin dit que c'eft pour faire voir qu'il peut très-bien écrire fans mon petit fecours. Il le peut, fans doute ; il a beaucoup d'efprit. Je l'ai mis en état de fe paffer de moi, et le marquis d'Argens lui fuffit. Mais un roi devrait chercher d'autres sujets pour exercer fon génie.

Perfonne ne lui a dit à quel point cela le dégrade. O vérité, vous n'avez point de charge dans la maison des rois auteurs! Mais qu'il faffe des brochures tant

qu'il voudra, et qu'il ne perfécute point un homme qui lui a fait tant de facrifices.

1753.

J'ai le cœur ferré de tout ce que je vois et de tout

ce que j'entends. Adieu; j'ai tant de chofes à vous que je ne dis rien.

dire

LETTRE VIII.

A M. LE MARECHAL DUC DE RICHELIEU.

JE m

Potsdam, 20 de mars.

E m'imagine que je vous ferai un grand plaifir de vous faire lire les deux plus jolies plaifanteries qu'on ait faites depuis long-temps. Vous avez été ambassadeur, monseigneur le Maréchal, et vous ferez plus à portée que perfonne de goûter le fel de ces ouvrages; cela eft d'ailleurs absolument dans votre goût. Il me femble que j'entends feu M. le maréchal de la Feuillade, ou l'abbé de Chaulieu, ou Perigni, ou vous; femble que je lis le docteur Swift ou milord Chesterfield, quand je lis ces deux lettres. Comment voulez-vous qu'on réfifte aux charmes d'un homme qui fait, en fe jouant, de fi jolies bagatelles, et dont la converfation est entièrement dans le même goût? Je ne doute pas que vous et vos amis ne sentiez tout le prix de ce que je vous envoie. Enfin, fongez que ces chefsd'œuvre de grâces font d'un homme qui ferait difpenfé par fa place de ces agréables amusemens, et qui cependant daigne y defcendre. J'étais encore à Berlin quand il fefait à Potsdam ce que je vous envoie ; je demandais obftinément mon congé; je remettais à

1753.

fes pieds tout ce qu'il m'a donné, mais les grâces de ma maîtresse (*) ont enfin rappelé fon amant. Je lui ai tout pardonné; je lui ai promis de l'aimer toujours; et, fi je n'étais pas très-malade, je ne la quitterais pas un feul jour : mais l'état cruel de ma fanté ne me permet pas de différer mon départ. Il faut que j'aille aux eaux de Plombières, qui m'ont déjà tant fait de bien quand j'ai eu le bonheur de les prendre avec vous. J'ai promis à ma maîtreffe de revenir auprès d'elle dès que je ferais guéri; je lui ai dit: Ma belle dame, vous m'avez fait une terrible infidélité; vous m'avez donné de plus un gros foufflet; mais je reviendrai baiser votre main charmante. J'ai repris fon portrait que je lui avais rendu, et je pars dans quelques jours. Vous fentez que je fuis pénétré de douleur de quitter une perfonne qui m'enchante de toutes façons. Je me flatte que vous aurez la bonté de me mander à Plombières l'effet que ces deux charmantes brochures auront fait fur vous. J'ai promis à ma maîtreffe de ne point aller à Paris. Qu'y feraisje? il n'y a que la vie douce et retirée de Potsdam qui me convienne. Y a-t-il d'ailleurs du goût à Paris? En vérité, l'efprit et les agrémens ne font qu'à Potsdam et dans votre appartement de Versailles. Cependant, fi je retrouve à Plombières un peu de fanté, je pourrai bien faire à mon tour une infidélité de quelques femaines pour venir vous faire ma cour. Pourvu que je fois à Potfdam au mois d'octobre, j'aurai rempli ma promeffe. Ainfi, en cas que je fois en vie, j'aurai tout le temps de faire le voyage. Je vous supplie de me mettre aux pieds de madame de (*) C'eft ainsi que M. de Voltaire nommait le roi de Pruffe.

Pompadour.

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