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par apostille, j'ai moins pensé à lui faire líre rien de nouveau, qu'à laisser peut-être un ouvrage de mœurs plus complet, plus fini et plus régulier, à la postérité. Ce ne sont point au reste des maximes que j'ai voulu écrire : elles sont comme des lois dans la morale; et j'avoue que je n'ai ni assez d'autorité, ni assez de génie, pour faire le législateur. Je sais même que j'aurais péché contre l'usage des maximes, qui veut qu'à la manière des oracles elles soient courtes et con

cises. Quelques-unes de ces remarques le sont; Quelques-autres sont plus étendues: on pense les choses d'une manière différente, et on les explique par un tour aussi tout différent, par une sentence, par un raisonnement, par une métaphore ou quelque autre figure, par un parallèle, par une simple comparaison, par un fait tout entier, par un seul trait, par une description, par une peinture: de là procède la longueur ou la briéveté de mes réflexions. Ceux enfin qui font des maximes veulent être crus : je consens au contraire que l'on dise de moi que je n'ai pas quelquefois bien remarqué, pourvu que l'on remarque mieux.

Des Ouvrages de l'Esprit.

Tour est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé, l'on ne fait que glaner après les anciens et les habiles d'entre les modernes.

Il faut chercher seulement à penser et à parler juste, sans vouloir amener les autres à notre goût et à nos sentiments: c'est une trop grande entreprise.

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C'est un métier que de faire un livre, comme de faire une pendule. Il faut plus que de l'esprit pour être auteur. Un magistrat (1) allait par son mérite à la première dignité; il était homme délié et pratique dans les affaires : il a fait imprimer un ouvrage moral qui est rare par le ridicule.

Il n'est pas si aisé de se faire un nom par un ouvrage parfait, que d'en faire valoir un médiocre par le nom qu'on s'est déja acquis.

(1) M. Poncet de la Rivière, mort doyen des conseillers d'état, qui prétendait être chancelier, et qui avait fait un mauvais livre des avantages de la vieillesse.

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Un ouvrage satirique ou qui contient des faits, qui est donné en feuilles sous le manteau, aux conditions d'être rendu de même, s'il est médiocre, passe pour merveilleux : l'impression est l'écueil.

Si l'on ôte de beaucoup d'ouvrages de morale l'avertissement au lecteur, l'épître dédicatoire, la préface, la table, les approbations, il reste à peine assez de pages pour mériter le nom de livre. Il y a de certaines choses dont la médiocrité est insupportable: la poésie, la musique, la peinture, le discours public.

Quel supplice que celui d'entendre déclamer pompeusement un froid discours, ou prononcer de médiocres vers avec toute l'emphase d'un mauvais poëte!

Certains poëtes (1) sont sujets dans le dramatique à de longues suites de vers pompeux, qui semblent forts, élevés et remplis de grands sentiments. Le peuple écoute avidement, les yeux élevés et la bouche ouverte, croit que cela lui

(1) Thomas Corneille, dans sa Bérénice, dont les quatre premiers vers sont un pur galimatias:

Dans les bouillants transports d'une juste colère
Contre un fils criminel excusable est un père:
Ouvre les yeux... et moins aveugle voi
Le plus sage souseil l'inspirer à ton roi.

plaît; et à mesure qu'il y comprend moins, l'admire davantage : il n'a pas le temps de respirer, il a à peine celui de se récrier et d'applaudir. J'ai cru autrefois, et dans ma première jeunesse, que ces endroits étaient clairs et intelligibles pour les acteurs, pour le parterre et l'amphithéâtre; que leurs auteurs s'entendaient euxmêmes, et qu'avec toute l'attention que je donnais à leur récit, j'avais tort de n'y rien entendre: je suis détrompé.

L'on n'a guère vu (1) jusques à-présent un chef-d'œuvre d'esprit qui soit l'ouvrage de plusieurs : Homère a fait l'Iliade, Virgile l'Énéide, Tite-Live ses Décades, et l'Orateur romain ses Oraisons.

Il y a dans l'art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature : celui qui le sent et qui l'aime a le goût parfait; celui qui ne le sent pas, et qui aime en-deçà ou audela, a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût, et l'on dispute des goûts avec fondement.

Il y a beaucoup plus de vivacité que de goût parmi les hommes; ou, pour mieux dire, il y a

(1) Le Dictionnaire de l'Académie française, qui a paru enfin en 1694, après avoir été attendu pendant plus de quarante ans.

peu d'hommes dont l'esprit soit accompagne d'un goût sûr et d'une eritique judicieuse.

La vie des héros a enrichi l'histoire, et l'histoire a embelli les actions des héros : ainsi je ne sais qui sont plus redevables, ou ceux qui ont écrit l'histoire à ceux qui leur en ont fourni une si noble matière, ou ces grands hommes à leurs historiens.

Amas d'épithètes, mauvaises louanges: ce sont les faits qui louent, et la maniere de les

raconter.

Tout l'esprit d'un auteur consiste à bien définir et à bien peindre. Moïse (a), Homère, Platon, Virgile, Horace, ne sont au-dessus des autres écrivains que par leurs expressions et par leurs images: il faut exprimer le vrai pour turellement, fortement, délicatement.

écrire na

On a dû faire du style ce qu'on a fait de l'architecture. On a entièrement abandonné l'ordre gothique que la barbarie avait introduit pour les palais et pour les temples; on a rappelé le dorique, l'ionique et le corinthien: ce qu'on ne voyait plus que dans les ruines de l'ancienne Rome et de la vieille Grèce, devenu moderne, éclate dans nos portiques et dans nos péristyles. De même

(a) Quand même on ne le considère que comme un homme qui a écrit.

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