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habitent les sables voisins de Palmyre, devenu riche par les péages de vos rivières, achetera un jour à deniers comptants cette royale maison, pour l'embellir, et la rendre plus digne de lui et de sa fortune.

Ce palais (1), ces meubles, ces jardins, ces belles caux vous enchantent, et vous font récrier d'une premiere vue sur une maison si délicieuse, et sur l'extrême bonheur du maître qui la possède. Il n'est plus, il n'en a pas joui si agréablement ni si tranquillement que vous: il n'y a jamais eu un jour serein, ni une nuit tranquille: il s'est noyé de dettes pour la porter à ce dégré de beauté où elle vous ravit: sés créanciers l'en ont chassé : il a tourné la tête, et il l'a regardée de loin une dernière fois : et il est mort de saisissement.

L'on ne saurait s'empêcher de voir dans certaines familles ce qu'on appelle les caprices du hasard ou les jeux de la fortune: il y a cent ans qu'on ne parlait point de ces familles, qu'elles n'étaient point. Le ciel tout d'un coup s'ouvre en leur faveur : les biens, les honneurs, les dignités, fondent sur elles à plusieurs reprises; elles nagent dans la prospérité. Eumolpe (2),

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l'un de ces hommes qui n'ont point de grandspèrès, a eu un père du moins qui s'était élevé si haut que tout ce qu'il a pu souhaiter pendant le cours d'une longue vie, c'a été de l'atteindre, et il l'a atteint. Était-ce, dans ces deux pe-sonnages, éminence d'esprit, profonde capacité? était-ce les conjonctures? La fortune enfin ne leur rit plus, elle se joue ailleurs, et traite leur postérité comme leurs ancêtres.

La cause la plus immédiate de la ruine et de la déroute des personnes des deux conditions, de la robe et de l'épée, est que l'état seul, et non le bien, règle la dépense,

Si vous n'avez rien oublié pour votre fortune, quel travail! Si vous avez négligé la moindre chose, quel repentir!

Giton (1) a le teint frais, le visage plein et les joues pendantes, l'œil fixe et assuré, les épaules larges, l'estomac haut, la démarche ferme et délibérée; il parle avec confiance; il fait répéter celui qui l'entretient, et il ne goûte que médiocrement tout ce qu'il lui dit : il déploie un ample mouchoir, et se mouche avec grand bruit; il crache fort loin, et il éterque fort haut: il dort le jour, il dort la nuit, et profondément; il ronfle en compagnie. Il occupe à table et à la

(1) Barbesieux.

promenade plus de place qu'un autre ; il tient le milieu en se promenant avec ses égaux, il s'arrête et l'on s'arrête, il continue de marcher et l'on marche, tous se règlent sur lui: il interrompt, il redresse ceux qui ont la parole; on ne l'interrompt pas, on l'écoute aussi long-temps qu'il veut parler, on est de son avis, on croit les nouvelles qu'il débite. S'il s'assied, vous le voyez s'enfoncer dans un fauteuil, croiser les jambes l'une sur l'autre, froncer le sourcil, abaisser son chapeau sur ses yeux pour ne voir personne, ou le relever ensuite et découvrir son front par fierté et par audace. Il est enjoué, grand rieur, impatient, présomptueux, colère, libertin, politique, mystérieux sur les affaires du temps: il se croit des talents et de l'esprit. Il est riche.

Phédon a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage maigre : il dort peu et d'un sommeil fort léger; il est abstrait, rêveur, et il a avec de l'esprit l'air d'un stupide : il oublie de dire ce qu'il sait, ou de parler d'événements qui lui sont connus ; et s'il le fait quelquefois, il s'en tire mal, il croit peser à ceux à qui il parle, il _conte brièvement, mais froidement, il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire : il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis, il court, il vole pour leur rendre de

petits services; il est complaisant, flatteur, empressé; il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois menteur; il est superstitieux, scrupuleux, timide; il marche doucement et légèrement, il semble craindre de fouler la terre: il marche les yeux baissés, et il n'ose les lever sur ceux qui passent. Il n'est jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour discourir, il se met derrière celui qui parle, recueille furtivement ce qui se dit, et il se retire și on le regarde. Il n'occupe point de lieu, il ne tient point de place, il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur ses yeux pour n' n'être point vu, il se replie et se renferme dans son manteau : il n'y a point de rues ni de galeries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne trouve moyen de passer sans effort, et de se couler sans être aperçu. Si on le prie de s'asseoir, il se met à peine sur le bord d'un siége; il parle bas dans la conversation, et il articule mal : libre néanmoins sur les affaires publiques, chagrin contre, le siècle, médiocrement prévenu des ministres et du ministère. Il n'ouvre la bouche que pour répondre : il tousse, il se mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi, et il attend qu'il soit seul pour éternuer, ou si cela lui arrive, c'est à l'insu de la compagnie, il n'en coûte à personne ni salut ni compliment. Il est pauvre.

CHAPITRE VII.

De la Ville.

L'os ON se donne à Paris, sans se parler, comme un rendez-vous public, mais fort exact, tous les soirs, au Cours ou aux Tuileries, pour se regarder au visage et se désapprouver les uns lés autres.

L'on ne peut se passer de ce même monde que l'on n'aime point, et dont on se moque.

L'on s'attend au passage réciproquement dans une promenade publique, l'on y passe en revue l'un devant l'autre : carrosse, chevaux, livrées, armoiries, rien n'échappe aux yeux, tout est curieusement ou malignement observé ; et selon le plus ou le moins de l'équipage, ou l'on res pecte les personnes, ou on les dédaigne.

Tout le monde connaît cette longue levée (a) qui borne et qui resserre le lit de la Seine, du côté où elle entre à Paris avec la Marne qu'elle vient de recevoir : les hommes s'y baignent au pied pendant les chaleurs de la canicule, on les voit de fort près se jeter dans l'eau, on les en

(a) Le faubourg ou la porte Saint-Bernard.

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