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maître, qui n'en croit rien non plus que le public: parler sans cesse à un grand que l'on sert, en des lieux et en des temps où il convient le moins, lui parler à l'oreille ou en des termes mystérieux, rire jusqu'à éclater en sa présence, lui couper la parole, se mettre entre lui et ceux qui lui parlent, dédaigner ceux qui viennent faire leur cour, ou attendre impatiemment qu'ils se retirent, se mettre proche de lui en une posture trop libre, figurer avec lui le dos appuyé à une cheminée, le tirer par son habit, lui marcher sur les talons, faire le familier, prendre des libertés, marquent mieux un fat qu'un favori.

Un homme sage ni ne se laisse gouverner, ni

traité sur ce pied la famille de Harlay de bourgeois, et étant allé pour dîner chez M. le premier président, qui l'avait su, il le refusa, en lui disant qu'il n'appartenait pas à un petit bourgeois de traiter un homme de sa qualité; et comme cet évêque lui répondit qu'il avait renvoyé son carrosse, M. le premier président fit mettre les chevaux au sien, et le renvoya ainsi : dont on a bien ri à la cour. Après la mort de M. de Harlay, archevêque de Paris, il a eu le cordon bleu. Depuis, le clergé l'ayant prié d'en vouloir faire l'oraison funèbre aux Grands-Augustins, où l'on devait faire un service solennel, il s'en excusa, disant qu'il trouvait le sujet trop stérile; dont le roi étant averti, le renvoya dans son diocèse. L'abbé de Tonnerre, de la même maison, a été fait évêque de Langres en 1695.

ne cherche à gouverner les autres: il veut que la raison gouverne seule, et toujours.

Je ne haïrais pas d'être livré la confiance à par une personne raisonnable, et d'en être gouverné en toutes choses, et absolument, et toujours: je serais sûr de bien faire sans avoir le soin de délibérer, je jouirais de la tranquillité de celui qui est gouverné par la raison.

Toutes les passions sont menteuses; elles se déguisent autant qu'elles le peuvent aux yeux des autres; elles se cachent à elles-mêmes: il n'y a point de vice qui n'ait une fausse ressemblance avec quelque vertu, et qui ne s'en aide.

On ouvre un livre de dévotion, et il touche: on en ouvre un autre qui est galant, et il fait son impression. Oscrai-je dire que le cœur seul concilie les choses contraires, et admet les incompatibles?

Les hommes rougissent moins de leurs crimes de leurs faiblesses et de leur vanité: tel est que ouvertement injuste, violent, perfide, calomniateur, qui cache son amour ou son ambition, sans autre vue que de la cacher.

Le cas n'arrive guère où l'on puisse dire, j'étais ambitieux ; ou on ne l'est point, ou on l'est toujours: mais le temps vient où l'on avoue que l'on a aimé.

Les hommes commencent par l'amour, finis.

sent par l'ambition, et ne se trouvent dans une assiette plus tranquille que lorsqu'ils meurent. Rien ne coûte moins à la passion que de se mettre au-dessus de la raison : son grand triomphe est de l'emporter sur l'intérêt.

L'on est plus sociable et d'un meilleur commerce par le cœur que par l'esprit.

Ily a de certains grands sentiments, de certaines actions nobles et élevées, que nous devons moins à la force de notre esprit, qu'à la bonté de notre naturel.

Il n'y a guère au monde un plus bel excès que celui de la reconnaissance.

Il faut être bien dénué d'esprit, si l'amour, la malignité, la nécessité, n'en font pas trouver. Il y a des lieux que l'on admire; il y en a d'autres qui touchent, et où l'on aimerait à vivre.

Il me semble que l'on dépend des lieux pour l'esprit, l'humeur, la passion, le goût, et les sentiments.

Ceux qui font bien mériteraient seuls d'être enviés, s'il n'y avait encore un meilleur parti à prendre, qui est de faire mieux : c'est une douce vengeance contre ceux qui nous donnent cette jalousie.

Quelques-uns se défendent d'aimer et de faire des vers, comme de deux faibles qu'ils n'osent l'un du cœur, l'autre de l'esprit.

avouer,

Il y a quelquefois dans le cours de la vie de si chers plaisirs et de si tendres engagements que l'on nous défend, qu'il est naturel de desirer du moins qu'ils fussent permis: de si grands charmes ne peuvent être surpassés que par celui de savoir y renoncer par vertu.

CHAPITRE V.

De la Société et de la Conversation.

Un caractère bien fade est celui de n'en avoir

aucun.

C'est le rôle d'un sot d'être importun: un homme habile sent s'il convient, ou s'il ennuie: il sait disparaître le moment qui précède celui où il serait de trop quelque part.

L'on marche sur les mauvais plaisants, et il pleut par tout pays de cette sorte d'insectes. Un bon plaisant est une pièce rare: à un homme qui est né tel, il est encore fort délicat d'en soutenir long-temps le personnage: il n'est pas ordinaire que celui qui fait rire se fasse estimer.

Il y a beaucoup d'esprits obscènes, encore plus de médisants ou de satiriques, peu de délicats. Pour badiner avec grace, et rencontrer heureusement sur les plus petits sujets, il faut

trop de manières, trop de politesse, et même trop de fécondité: c'est créer que de railler ainsi, et faire quelque chose de rien.

Si l'on faisait une sérieuse attention à tout ce qui se dit de froid, de vain et de puéril dans les entretiens ordinaires, l'on aurait honte de parler ou d'écouter, et l'on se condamnerait peut-être à un silence perpétuel, qui serait une chose pire dans le commerce que les discours inutiles. Il faut donc s'accommoder à tous les esprits; permettre comme un mal nécessaire le récit des fausses nouvelles, les vagues réflexions sur le gouvernement présent ou sur l'intérêt des princes, le débit des beaux sentiments, et qui reviennent toujours les mêmes: il faut laisser Aronce (1) parler proverbe, Mélinde parler de soi, de ses vapeurs, de ses migraines, et de ses insomnies.

eux,

L'on voit des gens (2) qui dans les conversations ou dans le peu de commerce que l'on a avec vous dégoûtent par leurs ridicules expressions, par la nouveauté, et j'ose dire par l'impropriété des termes dont ils se servent, comme par l'alliance de certains mots qui ne se rencontrent ensemble que dans leur bouche, et à qui ils font signifier des choses que leurs premiers inven

(1) Perrault.

(2) Contre les précieuses.

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