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NANINE

OU

LE PREJUGÉ VAINCU,

COMEDIE.

Représentée, pour la première fois, le 16 juin 1749.

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CETTE bagatelle fut représentée à Paris dans l'été de 1749, parmi la foule des fpectacles qu'on donne à Paris tous les ans.

Dans cette autre foule beaucoup plus nombreuse de brochures dont on eft inondé, il en parut une dans ce temps-là qui mérite d'être diftinguée. C'est une differtation ingénieuse et approfondie d'un académicien de la Rochelle fur cette queflion, qui femble partager depuis quelques années la littérature; savoir s'il est permis de faire des comédies attendriffantes? II paraît fe déclarer fortement contre ce genre, dont la petite comédie de Nanine tient beaucoup en quelques endroits. Il condamne avec raifon tout ce qui aurait l'air d'une tragédie bourgeoife. En effet, que ferait-ce qu'une intrigue tragique entre des hommes du commun? ce ferait feulement avilir le cothurne; ce ferait manquer à la fois l'objet de la tragédie et de la comédie; ce ferait une espèce bâtarde, un monftre né de l'impuiffance de faire une comédie et une tragédie véritable.

Cet académicien judicieux blâme furtout les intrigues romanefques et forcées dans ce genre de comédie où l'on veut attendrir les

spectateurs, et qu'on appelle par dérifion comédie larmoyante. Mais dans quel genre les intrigues romanefques et forcées peuvent-elles être admises? Ne font-elles pas toujours un vice effentiel dans quelque ouvrage que ce puiffe être ? Il conclut enfin en difant que fi dans une comédie l'attendriffement peut aller quelquefois jusqu'aux larmes, il n'appartient qu'à la paffion de l'amour de les faire répandre. Il n'entend pas fans doute l'amour tel qu'il eft représenté dans les bonnes tragédies, l'amour furieux, barbare, funefte, fuivi de crimes et de remords; il entend l'amour naïf et tendre, qui feul eft du reffort de la comédie.

Cette réflexion en fait naître une autre, qu'on foumet au jugement des gens de lettres : c'est que dans notre nation la tragédie a commencé par s'approprier le langage de la comédie. Si l'on y prend garde, l'amour dans beaucoup d'ouvrages, dont la terreur et la pitié devraient être l'ame, eft traité comme il doit l'être en effet dans le genre comique. La galanterie, les déclarations d'amour, la coquetterie, la naïveté, la familiarité, tout cela ne fe trouve que trop chez nos héros et nos héroïnes de Rome et de la Gréce, dont nos théâtres retentiffent; de forte qu'en effet l'amour naïf et attendriffant dans une comédie, n'est point un larcin fait à

Melpomene, mais c'eft au contraire Melpomene qui depuis long-temps a pris chez nous les brodequins de Thalie.

Qu'on jette les yeux fur les premières tragédies qui eurent de fi prodigieux succès vers le temps du cardinal de Richelieu; la Sophonisbe de Mairet, la Mariamne, l'Amour tyrannique, Alcionée; on verra que l'amour y parle toujours fur un ton auffi familier, et quelquefois auffi bas, que l'héroïfme s'y exprime avec une emphase ridicule. C'eft peut-être la raison pour laquelle notre nation n'eut en ce temps-là aucune comédie supportable. C'est qu'en effet le théâtre tragique avait envahi tous les droits de l'autre. Il est même vraisemblable que cette raison détermina Molière à donner rarement aux amans qu'il met fur la scène, une passion vive et touchante il fentait ; que la tragédie l'avait

prévenu.

Depuis la Sophonisbe de Mairet, qui fut la première pièce dans laquelle on trouva quelque régularité, on avait commencé à regarder les déclarations d'amour des héros, les réponses artificieuses et coquettes des princeffes, les peintures galantes de l'amour, comme des chofes effentielles au théâtre tragique. Il est resté des écrits de ce temps-là, dans lefquels on cite avec

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