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de m... de v... et tous leurs accompagnemens font prodigués dans une comédie où toute une cour très-fpirituelle allait en foule ?

Croira-t-on que la connaissance la plus approfondie du cœur humain, les peintures les plus vraies et les plus brillantes, les traits d'efprit les plus fins fe trouvent dans le même ouvrage ?

Rien n'eft cependant plus vrai. Je ne connais point de comédie chez les anciens ni chez les modernes où il y ait autant d'efprit; mais c'est une forte d'efprit qui s'évapore dès qu'il paffe chez l'étranger.

Nos bienséances, qui font quelquefois un peu fades, ne m'ont pas permis d'imiter cette pièce dans toutes fes parties; il a fallu en retrancher des rôles tout entiers.

Je n'ai donc donné ici qu'une très-légère idée de la hardieffe anglaise; et cette imitation quoique par-tout voilée de gaze, est encore fi forte, qu'on n'oferait pas la représenter fur la fcène de Paris.

Nous fommes entre deux théâtres bien différens l'un de l'autre l'efpagnol et l'anglais. Dans le premier, on représente JESUS-CHRIST, des poffédés et des diables; dans le fecond, des cabarets et quelque chofe de pis.

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MADAME DU TOUR, VOLTAIRE.

me
Mm DU TO U R.

Non, je ne joûrai pas: le bel emploi vraiment;

ON

La belle farce qu'on apprête!

Le plaisant divertissement

Pour le jour de LOUIS, pour cette augufte fête,
Pour la fille des rois, pour le fang des héros,
Pour le juge éclairé de nos meilleurs ouvrages,
Vanté des beaux-efprits, confulté par les fages,
Et pour la baronne de Sceaux!

Mais

pour

VOLTAIRE.

être baronne eft-on fi difficile?
Je fais que fa cour eft l'afile

Du goût que les Français favaient jadis aimer;
Mais elle eft le féjour de la douce indulgence.
On a vu fon fuffrage enseigner à la France
Ce que l'on devait eftimer:

On la voit garder le filence,

Et ne décider point alors qu'il faut blâmer.

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Elle fe taira donc, Monfieur, à votre farce.

VOLTAIRE.

Eh pourquoi, s'il vous plaît?

Mme D U

TOUR.

Oh! parce

(*) La Prude fut représentée sur le théâtre d'Anet pour madame la ducheffe du Maine, M. de Voltaire y joua, et fit ce Prologue pour annoncer la pièce.

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Que l'on hait les mauvais plaifans.

VOLTAIRE.

Mais que voulez-vous donc pour vos amusemens? Mme DU TO U R.

Tout autre chose.

VOLTAIRE.

Eh quoi? des tragédies

Qui du théâtre anglais foient d'horribles copies?

me

M" D. U TOUR.

Non, ce n'eft pas ce qu'il nous faut ;

La pitié, non l'horreur doit régner fur la scène.
Des fauvages anglais la trifte Melpomène
Prit pour théâtre un échafaud.

VOLTAIRE.

Aimez-vous mieux la fage et grave comédie
Où l'on inftruit toujours, où jamais on ne rit,
Où Sénèque et Montagne étalent leur esprit,

Où le public enfin bat des mains et s'ennuie?

Μ

me

DU TOUR.

Non, j'aimerais mieux Arlequin
Qu'un comique de cette espèce; |
Je ne puis fouffrir la fagesse,
Quand elle prêche en brodequin.

VOLTAIRE,

Oh! que voulez-vous donc?

Mme D U TOUR.

De la fimple nature,

Un ridicule fin, des portraits délicats,

De la nobleffe fans enflûre;

Point de moralités ; une morale pure

Qui naisse du sujet et ne se montre pas.

Je veux qu'on foit plaisant fans vouloir faire rire;
Qu'on ait un ftyle aifé, gai, vif et gracieux :
Je veux enfin que vous fachiez écrire

Comme on parle en ces lieux.

VOLTAIRE.

Je vous baise les mains ; je renonce à vous plaire.
Vous m'en demandez trop : je m'en tirerais mal;
Allez vous adreffer à Madame de Staal: (*)
Vous trouverez là votre affaire.

Mme D U TOUR.

Oh! que je voudrais bien qu'elle nous eût donné
Quelque bonne plaifanterie.

VOLTAIRE.

Je le voudrais auffi; j'étais déterminé
A ne vous point lâcher ma vieille rapfodie,
Indigne du féjour aux Grâces deftiné.

Mme D U TOUR.

Eh, qui l'a donc voulu?

VOLTAIRE.

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Qui l'a voulu? Thérèse....

C'est une étrange femme : il faut, ne vous déplaise,

Quitter tout dès qu'elle a parlé.

Dât-on être berné, fifflé,

Elle veut à la fois le bal, et comédie,
Jeu, toilette, opéra, promenade, soupé,
Des pompons, des magots, de la géométrie.
Son efprit en tout temps eft de tout occupé ;
Et jugeant des autres par elle,

(*) On connaît Madame de Staal par fes Mémoires, quoiqu'elle ait eu l'intention de ne s'y peindre qu'en bufte. Elle a fait auffi quelques comédies où il y a du naturel, de la gaieté et un bon ton.

i

Elle croit que pour plaire on n'a qu'à le vouloir;
Que tous les arts, ornés d'une grâce nouvelle,
De briller dans Anet fe feront un devoir,

Dès que du Maine les appelle.

Paffe pour les beaux-arts: ils font faits pour les yeux; Mais non les farces infipides:

Gilles doit disparaître auprès des Euripides.

Je conçois vos raisons, et vous m'ouvrez les
On ne me joûra point.

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yeux.

Quoi? que voulez-vous dire? On ne vous joûra point!... on vous joûra, morbleu! Je vous trouve plaisant de vouloir nous prescrire Vos volontés pour règle.......... Oh! nous verrons beau jeu. Nous verrons fi pour rien j'aurai pris tant de peine, Que d'apprendre un plat rôle, et de le répéter...........

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Vous-même m'avez dit qu'il fallait fur la fcène

Plus d'efprit, plus de fens, des mœurs, un meilleur ton... Un ouvrage en un mot....

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Mais je veux qu'on vous fiffle, et j'en fais mon envie. Si vous n'êtes plaisant, vous ferez plaisanté

Et ce plaifir en vérité

Vaut celui de la comédie.

Allons, et qu'on commence.

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