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"Français ne peux,

Prussien ne veux,

Alsacien suis."

Le refrain d'une de leurs chansons était ainsi conçu:

"Vous avez pu germaniser la plaine,

Mais notre cœur, vous ne l'aurez jamais."

Un autre refrain était :

"On changerait plutôt le cœur de place

Que de changer la vieille Alsace."

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Les vers suivants d'Erckmann-Chatrian expriment bien le 10 sentiment alsacien:

"Dis-moi quel est ton pays:

Est-ce la France ou l'Allemagne ?

C'est un pays de plaine et de montagne
Que les vieux Gaulois1 ont conquis
Deux mille ans avant Charlemagne,
Et que l'étranger a pris!

C'est la vieille terre française

De Kléber, de la Marseillaise!"

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On comprend que la germanisation d'un peuple aussi patri- 20 ote était difficile, sinon impossible. Les Allemands employèrent tous les moyens sans y réussir. Selon le recensement de 1895, 160.000 personnes déclaraient parler habituellement le francais; en 1900, cinq ans plus tard, 200.000, parmi lesquelles 52.000 enfants. Ainsi donc, malgré l'école, la caserne,2 les ordres, le 25 français prospérait.

L'affection des Alsaciens et des Lorrains pour la France était devenue une espèce de religion. Ce fut surtout la mission de la femme de combattre l'influence de la culture allemande en enseignant secrètement le français aux enfants et en leur 30 racontant les exploits de leurs aïeux au service de la France.

1. Gaulois, m., Gaul. 2. caserne, f., barracks.

Au dehors,1 la part du français devenait graduellement plus petite, mais on continuait à le parler à la maison, surtout dans la bourgeoisie.2

On a dit avec raison que pendant 48 ans, deux peuples, deux 5 races vécurent en Alsace-Lorraine sans se mêler jamais et que les Allemands ne purent y vivre que comme des étrangers de passage. En effet les Alsaciens-Lorrains purent être conquis, mais jamais asservis.

Et c'est ce qui surprend le plus l'étranger, de voir un peuple 10 qui parle un dialecte germanique montrer un pareil attachement à la France. Ce miracle ne peut s'expliquer que par le

souvenir du charme du génie généreux et humain de la France, l'attrait de la pensée et de la civilization françaises, l'amour * de la liberté et de la démocratie, car il ne faut pas oublier que 15 les Alsaciens furent les premiers à adopter les immortels principes de la Révolution de 1789.

Il n'est donc pas étonnant que, de 1871 à 1914, presqu'un demi million d'Alsaciens-Lorrains aient passé la frontière, que la légion étrangère française fût composée, pendant la même 20 période, de 45 pour cent de jeunes gens des pays annexés, et qu'en 1914 l'État-major général de l'armée française comptât 170 Alsaciens-Lorrains, tandis que dans l'armée de Guillaume II il y en avait trois qui étaient officiers supérieurs, et deux d'entre eux avaient eu des mères allemandes.

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25 On devine done l'enthousiasme indescriptible, la joie extrême de ces populations captives depuis 48 ans quand elles assistèrent à l'arrivée triomphale des Français. Quelle émotion pour tous ces gens qui attendaient depuis si longtemps ce jour de gloire et de délivrance! C'était la fin d'un long cauche. 30 mar, c'était la réalisation d'un rêve. L'uniforme français devenait le symbole de la libération.

Le jour où les soldats allemands commencèrent leur évacu

3. attrait, m.,

5. Etat-major, m., staff.

6. cauchemar,

1. Au dehors, outside. 2. bourgeoisie, f., middle class. attraction. 4. amour, m., love. m.. nightmare. 7. rêve, m., dream.

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ation forcée, les municipalités, les associations, les sociétés de vétérans, d'étudiants 1 et d'ouvriers, tous envoyèrent d'un même cœur à la France leurs félicitations 2 et l'expression de leur dévouement et de leur loyauté. Les cloches de tous les villages d'Alsace et de Lorraine sonnèrent à toute volée 1 pour annoncer 5 la fin heureuse de cette terrible guerre qui avait duré 1560 jours.

Puis, comme ils célébrèrent leur retour à la France! Comme ils acclamèrent et accueillirent à bras ouverts leurs libérateurs, les chefs glorieux de ceux-ci, les représentants officiels de la 10 France et des nations alliées! Ce fut un spectacle inoubliable.5 Dans chaque ville, alsacienne ou lorraine, Metz, Strasbourg, Colmar, Mulhouse, etc., les habitants, oubliant la tristesse de leur longue captivité, prouvèrent par leurs manifestations enthousiastes leur joie d'être délivrés et d'être enfin redevenus 15 français.

Ce furent partout les mêmes démonstrations, le défilé des poilus devant leurs chefs illustres au milieu des airs martiaux et des acclamations de la foule, sous les arcs de triomphe et le long des rues pavoisées, le cortège des anciens combattants de 20 1870, des conscrits de 1919, des étudiants, des sociétés chorales gymnastiques, des jeunes filles en costume national, des paysans des villages voisins précédés de leur maire 10 et de leur fanfare locale. Quel mouvement! Quel mélange 12 de couleurs ! Quel coup d'œil charmant!

On raconte qu'un petit Strasbourgeois, le jour de l'entrée triomphale des soldats français dans la capitale de l'Alsace, courut au cimetière, s'arrêta devant la tombe de son grand-père sur laquelle il planta un petit drapeau tricolore, puis cria: Grand-père, ils sont là!"

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Oui, les Français étaient là!

1. étudiant, m., student. 2. félicitation, f., congratulation. 3. cloche, f., beli. 4. à toute volée, a full peal. 5. inoubliable, adj., never to be forgotten. 6. poilu, m., French soldier. 7. pavoiser, to adorn with flags. 8. cortège, m., procession. 9. conscrit, m., conscript, future soldier. 10. maire, m., mayor. 11. fanfare, f., band. 12. mélange, m., blending.

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Metz

Voir la gravure en face de la page 116.

L'origine de Metz se perd dans la nuit des temps. Elle exista déjà en 264 et fut embellie par Charlemagne. Pendant le moyen âge elle devint ville libre et indépendante.

En 1552, quand la guerre fut déclarée entre Charles-Quint, 5 roi d'Espagne et empereur d'Allemagne, et Henri II, roi de France, Metz se plaça volontairement sous la protection de celui-ci. Charles-Quint, si puissant qu'il pouvait se vanter que le soleil ne se couchait pas sur son empire, fut furieux de cette attitude des habitants de Metz et jura de les punir en s'em10 parant de leur ville. Il voulut diriger lui-même les opérations du siège et marcha sur Metz avec tous les soldats qu'il avait à sa disposition.

Mais François de Guise, à la tête de toute la chevalerie1 fran çaise, défendit la ville avec tant d'énergie et de ténacité que 15 les soldats de Charles-Quint, découragés, refusèrent d'obéir quand il commanda l'assaut final et se débandèrent.2 Metz et la Lorraine avaient arrêté l'invasion germanique et empêché Charles-Quint de réaliser son projet de domination universelle. On pense que ce fut cet échec qui inspira à Charles-Quint l'idée 20 d'abdiquer, ce qu'il fit deux ans plus tard, après avoir garanti 3 à la France la possession de Metz et de son territoire.

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Metz fut toujours reconnue comme une des forteresses les plus importantes du monde. Elle résista aux troupes allemandes du duc de Brunswick en 1792 et au général prussien 25 Blücher en 1814. Pendant la guerre de 1870, Metz fut attaquée par les Allemands qui réussirent á s'en emparer. Elle fut cédée à l'Allemagne en 1871. Mais en 1918, l'heure de la restitution sonna 5 et Metz redevint française.

La ville de Metz est bâtie en amphithéâtre sur une colline 30 entre la Moselle et la Seille, et le long des bords de ces deux

1. chevalerie, f., knighthood. 2. se débander, to disband. 3. garantir, to guarantee. 4. troupe, f., troep.

line, f., hill.

5. sonner, to ring, to strike.

6. col

rivières. En traversant Metz, la Moselle se sépare en plusieurs bras et forme des îles. Les différents quartiers sont reliés1 entre eux par de nombreux ponts. Dans le vieux quartier, les rues sont généralement étroites et tortueuses.2 Plusieurs portes, dont quelques-unes sont monumentales,3 donnent accès à la ville. 5 Il y a aussi de nombreuses places, et la plus belle promenade est l'Esplanade à l'entrée de laquelle se trouve la statue du maréchal Ney. On jouit de là d'un panorama splendide sur la vallée de la Moselle et le pays lorrain.

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Le monument le plus important est la cathédrale; c'est une 10 des œuvres les plus remarquables du style gothique. Commencée au XIe siècle, elle ne fut inaugurée qu'en 1546. Elle est d'une légèreté 5 incomparable malgré ses vastes proportions, et offre une grande harmonie de lignes et une unité de style remarquable.

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Elle a deux tours inachevées; dans celle du Sud-Est il y a une grosse cloche la Muette qui, comme le bourdon de NotreDame de Paris, ne sonne qu'aux jours solennels. Il est à peine nécessaire d'ajouter que pendant les fêtes qui suivirent l'armistice (1918), elle sonna la délivrance; jamais occasion 20 plus belle ne lui avait été offerte d'être fidèle à la devise qu'elle porte: "J'annonce la Justice."

En 1903, un artiste allemand, chargé de restaurer un des portails de la cathédrale, donna à une des statues, celle du prophète Daniel, les traits de l'empereur Guillaume II. Le 25 lendemain de l'armistice, on trouva, pendue 10 au cou de cette statue, une inscription ainsi conçue: "Sic transit gloria mundi."u

Strasbourg

Voir la gravure en face de la page 132.

La capitale de l'Alsace est une place forte sur la rivière Ill, tout près du Rhin, entre les Vosges et la Forêt-Noire. Il y a

1. relier, to connect. 2. tortueux, -euse, winding.

3. See illustration

facing page 164. 4. œuvre, f., work. 5. légèreté, f., lightness. 6. inachevé, e, unfinished 7. cloche, f., bell. 8. bourdon, m., huge bell. 9. trait, m., feature. 10. pendue, hung. 11. Sic transit gloria mundi (Latin), Thus passes the glory of the world.

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