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malgré les grandes occupations de son état, et parcourir le cercle des connoissances physiques avec la même rapidité qu'il parcouroit celui des connoissances morales. C'est un spectacle bien intéressant que le tableau des progrès de l'esprit d'un grand homme.

Ses fragmens sur le goût, tout fragmens qu'ils sont restés sous sa main expirante, sont une des plus vives et des plus fortes lumières qui aient été portées au milieu des arts, du goût et des principes de la philosophie. Ainsi en jugeoient, dans le siècle dernier, trois ou quatre de ces écrivains les plus distingués et les plus capables de cette appréciation, hors de la portée des critiques vulgaires. Nul homme, à talent ou sans talent, ne fut jamais plus simple que Montesquieu dans son ton et dans ses manières : il l'étoit dans les salons de Paris autant que dans ses domaines de la Brède, où, parmi les pelouses, les fontaines et les forêts dessinées à l'anglaise, il couroit, du matin au soir, un bonnet de coton blanc sur la tête, un long échalas de vigne sur l'épaule, et où ceux qui venoient lui présenter les hommages de l'Europe, lui demandèrent plus d'une fois, en le tutoyant comme un vigneron, si c'étoit là le château de Montesquieu. Quand il parloit, ce dont il n'étoit ni prodigue ni avare, on étoit toujours sûr d'être avec lui; c'étoient tour-à-tour la gaîté piquante de Rica, les vues vastes et concises d'Usbek, quelquefois l'énergique et poétique expression des passions de Roxane, et même tou

jours cette même énergie, lorsque sa haine contre le despotisme allumoit son imagination. Sa défense de l'Esprit des Lois, dit d'Alembert, étoit l'image de sa conversation : sa conversation n'étoit pas inférieure à ses écrits. Fénélon, Montesquieu et Voltaire, sont les seuls grands écrivains auxquels on ait reconnu à ce degré le talent de la parole.

Quel auteur étoit donc plus digne d'être réimprimé avec tout le luxe de la typographie française? Nous avons pensé que le public ne feroit pas à notre édition de Montesquieu un accueil moins favorable qu'à nos éditions de Voltaire et de Jean-Jacques Rousseau; imprimée sur le inême papier, avec les caractères de M. Firmin Didot, de la même justification, et avec les mêmes soins, elle en est une suite pour ainsi dire nécessaire confondus ensemble dans une même admiration, ne séparons pas dans notre bibliothèque ce qui est réuni dans notre esprit.

La plus rigoureuse exactitude a été apportée dans la correction du texte : nous avons collationné les éditious les plus estimées et les originaux dont l'identité n'admettoit point le moindre doute. En rendant au texte toute sa pureté, nous avons cru devoir y joindre les notes, les observations, les éclaircissemens fournis par les meilleurs annotateurs et par Montesquieu lui-même. Un précis historique, placé en tête de chacun des ouvrages, fait connoître au lecteur les diverses circonstances qui s'y rattachent.

Un portrait de Montesquieu, dessiné par Devéria, et gravé par Muller, d'après le beau buste de Chaudet, est placé en tête du premier volume.

Nous n'avons négligé aucune recherche, aucun sacrifice pour rendre notre édition digne de trouver place dans les plus riches bibliothèques mieux exécutée et beaucoup plus complète qu'aucune de celles qui l'ont précédée, elle est d'un prix à peine égal à celui que coûtent les éditions les plus ordinaires des OEuvres de Montesquieu.

ÉLOGE

DE MONTESQUIEU

PAR D'ALEMBERT.

L'INTÉRÊT que les bons citoyens prennent à l'Encyclopédie, et le grand nombre de gens de lettres qui lui consacrent leurs travaux, semblent nous permettre de la regarder comme un des monumens les plus propres à être dépositaires des sentimens de la patrie, et des hommages qu'elle doit aux hommes célèbres qui l'ont honorée. Persuadés néanmoins que M. de Montesquieu étoit en droit d'attendre d'autres panégyristes que nous, et et que la douleur publique eût mérité des interprètes plus éloquens, nous eussions enfermé au dedans de nous-mêmes nos justes regrets et notre respect pour sa mémoire; mais l'aveu de ce que nous lui devons nous est trop précieux pour en laisser le soin à d'autres. Bienfaiteur de l'humanité par ses écrits, il a daigné l'être aussi de cet ouvrage : et notre reconnoissance ne veut

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Mis à la tête du cinquième volume de l'Encyclopédie.

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