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rendant jamais, attiroient insensiblement tout à eux. Les prêtres d'Égypte, ainsi gagés pour ne rien faire, languissoient tous dans une oisiveté dont ils ne sortoient qu'avec les vices qu'elle produit : ils étoient brouillons, inquiets, entreprenans; et ces qualités les rendoient extrêmement dangereux. Enfin un corps dont les intérêts avoient été violemment séparés de ceux de l'état étoit un monstre; et ceux qui l'avoient établi avoient jeté dans la société une semence de discorde et de guerres civiles. Il n'en étoit pas de même à Rome : on y avoit fait de la prêtrise une charge civile; les dignités d'augure, de grand pontife, étoient des magistratures : ceux qui en étoient revêtus étoient membres du sénat, et par conséquent n'avoient pas des intérêts différens de ceux de ce corps. Bien loin de se servir de la superstition pour opprimer la république, ils l'employoient utilement à la soutenir. «< Dans notre ville, dit Cicéron ', les « rois et les magistrats qui leur ont succédé ont toujours eu un double caractère, et ont gou<< verné l'état sous les auspices de la religion. » Les duumvirs avoient la direction des choses

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I

Apud veteres, qui rerum potiebantur, iidem auguria tenebant, ut testis est nostra civitas, in qua et reges, augures, et postea privati eodem sacerdotio præditi rempublicam religionum auctoritate rexerunt. De divinatione, lib. I, éd. de Denis Godeffroi, 1587, t. 4, pag. 369.

sacrées; les quindécemvirs avoient soin des cérémonies de la religion, gardoient les livres des sibylles; ce que faisoient auparavant les décemvirs et les duumvirs. Ils consultoient les oracles, lorsque le sénat l'avoit ordonné, et en faisoient le rapport, y ajoutant leur avis; ils étoient aussi commis pour exécuter tout ce qui étoit prescrit dans les livres des sibylles, et pour faire célébrer les jeux séculaires : de manière que toutes les cérémonies religieuses passoient par les mains des magistrats.

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Les rois de Rome avoient une espèce de sacerdoce il y avoit de certaines cérémonies qui ne pouvoient être faites que par eux. Lorsque les Tarquins furent chassés, on craignoit que le peuple ne s'aperçût de quelque changement dans la religion; cela fit établir un magistrat appelé rex sacrorum, qui, dans les sacrifices, faisoit les fonctions des anciens rois, et dont la femme étoit appelée regina sacrorum. Ce fut le seul vestige de royauté que les Romains conservèrent parmi eux.

Les Romains avoient cet avantage, qu'ils avoient pour législateur le plus sage prince dont l'histoire profane ait jamais parlé : ce grand homme ne chercha pendant tout son règne qu'à faire fleurir la justice et l'équité, et il ne fit pas moins sentir sa modération à ses voisins qu'à ses sujets. Il établit les fécialiens, qui étoient des prêtres sans le

ministère desquels on ne pouvoit faire ni la paix ni la guerre. Nous avons encore des formulaires de sermens faits par ces fécialiens quand on concluoit la paix avec quelque peuple. Dans celle que Rome conclut avec Albe, un fécialien dit dans Tite-Live', << Si le peuple romain est le premier à << s'en départir, publico consilio dolove malo, qu'il

prie Jupiter de le frapper comme il va frapper « le cochon qu'il tenoit dans ses mains; » et aussitôt il l'abattit d'un coup de caillou.

Avant de commencer la guerre on envoyoit un de ces fécialiens faire ses plaintes au peuple qui avoit porté quelque dommage à la république. Il lui donnoit un certain temps pour se consulter, et pour chercher les moyens de rétablir la bonne intelligence; mais, si on négligeoit de faire l'accommodement, le fécialien s'en retournoit, et sortoit des terres de ce peuple injuste, après avoir invoqué contre lui les dieux célestes et ceux des enfers: pour lors le sénat ordonnoit ce qu'il croyoit juste et pieux. Ainsi les guerres ne s'entreprenoient jamais à la hâte, et elles ne pouvoient être qu'une suite d'une longue et mûre délibération.

La politique qui régnoit dans la religion des Romains se développa encore mieux dans leurs victoires. Si la superstition avoit été écoutée, on

1 Liv. I, chap. XXIV.

auroit porté chez les vaincus les dieux des vainqueurs; on auroit renversé leurs temples; et, en établissant un nouveau culte, on leur auroit imposé une servitude plus rude que la première. On fit mieux : Rome se soumit elle-même aux divinités étrangères, elle les reçut dans son sein; et, par ce lien, le plus fort qui soit parmi les hommes, elle s'attacha des peuples qui la regardèrent plutôt comme le sanctuaire de la religion que comme la maîtresse du monde.

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Mais, pour ne point multiplier les êtres, les Romains, à l'exemple des Grecs, confondirent adroitement les divinités étrangères avec les leurs : s'ils trouvoient dans leurs conquêtes un dieu qui eût du rapport à quelqu'un de ceux qu'on adoroit à Rome, ils l'adoptoient, pour ainsi dire, en lui donnant le nom de la divinité romaine, et lui accordoient, si j'ose me servir de cette expression, le droit de bourgeoisie dans leur ville. Ainsi, lorsqu'ils trouvoient quelque héros fameux qui eût purgé la terre de quelque monstre, ou soumis quelque peuple barbare, ils lui donnoient aussitôt le nom d'Hercule. « Nous avons percé jusqu'à << l'Océan, dit Tacite '; et nous y avons trouvé les

Ipsum quinetiam Oceanum illà tentavimus; et superesse adhuc Herculis columnas fama vulgavit, sive adiit Hercules, seu quidquid ubique magnificum est, in claritatem ejus referre consensimus. De moribus Germanorum, cap. XXXIV.

«< colonnes d'Hercule; soit qu'Hercule y ait été, << soit que nous ayons attribué à ce héros tous les « faits dignes de sa gloire. »

Varron a compté quarante-quatre de ces dompteurs de monstres; Cicéron1 n'en a compté que six, vingt-deux Muses, cinq Soleils, quatre Vulcains, cinq Mercures, quatre Apollons, trois Jupiters. Eusèbe va plus loin 2; il compte presque autant de Jupiters que de peuples.

Les Romains, qui n'avoient proprement d'autre divinité que le génie de la république, ne faisoient point d'attention au désordre et à la confusion qu'ils jetoient dans la mythologie : la crédulité des peuples, qui est toujours au-dessus du ridicule et de l'extravagant, réparoit tout.

• De Natura Deorum, lib. III, cap. xvi, p. 332, cap. xxi, p. 340, cap. XXII, p. 341, cap. xx111, ibid.

• Præparatio evangelica, lib. III.

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