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qu'on en pouvoit attendre : il falloit donc des cérémonies qui pussent entretenir la superstition des uns, et entrer dans la politique des autres : c'est ce qui se trouvoit dans les divinations. On y mettoit les arrêts du ciel dans la bouche des principaux sénateurs, gens éclairés, et qui connoissoient également le ridicule et l'utilité des divinations.

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Cicéron dit que Fabius, étant augure, tenoit pour règle que ce qui étoit avantageux à la république se faisoit toujours sous de bons auspices. Il pense, comme Marcellus, que, quoique la crédulité populaire eût établi au commencement les augures, on en avoit retenu l'usage pour l'utilité de la république ; et il met cette différence entre les Romains et les étrangers, que ceux-ci s'en servoient indifféremment dans toutes les occasions, et ceux-là seulement dans les affaires qui regardoient l'intérêt public. Cicéron 3 nous apprend que la foudre tombée du côté gauche étoit d'un bon augure, excepté dans les assemblées du ple, præterquàm ad comitia. Les règles de l'art cessoient dans cette occasion : les magistrats y jugeoient à leur fantaisie de la bonté des auspices,

peu

› Optimis auspiciis ea geri, quæ pro reipublicæ salute gererentur; quæ contra rempublicam fierent, contra auspicia fieri. De senectute, pag. 542.

De divinatione, lib. II, cap. xxxv.

3 Ibid., pag. 395.

et ces auspices étoient une bride avec laquelle ils menoient le peuple. Cicéron ajoute: Hoc institutum reipublicæ causa est, ut comitiorum, vel in jure legum, vel in judiciis populi, vel in creandis magistratibus, principes civitatis essent interpretes'. Il avoit dit auparavant qu'on lisoit dans les livres sacrés : Jove tonante et fulgurante, comitia populi habere nefas esse. Cela avoit été introduit, dit-il, pour fournir aux magistrats un prétexte de rompre les assemblées du peuple 3. Au reste, il étoit indifférent que que la victime qu'on immoloit se trouvât de bon ou de mauvais augure; car lorsqu'on n'étoit pas content de la première, on en immoloit une seconde, uie troisième, une quatrième, qu'on appeloit hostiæ succedaneæ. Paul Émile voulant sacrifier fut obligé d'immoler vingt victimes : les dieux ne furent apaisés qu'à la dernière, dans laquelle on trouva des signes qui promettoient la victoire. C'est pour cela qu'on avoit coutume de dire que, dans les sacrifices, les dernières victimes valoient toujours mieux que les premières. César ne fut pas si patient que Paul Émile : ayant égorgé plusieurs victimes, dit Suétone 4, sans en

‹ De divinatione, lib. II, pag. 395.

• Ibid., pag. 388.

3 Hoc reipublicæ causa constitutum; comitiorum enim non habendorum causas esse voluerunt. Ibid.

* Pluribus hostiis cæsis; cùm litare non posset, introiit curiam, spretá religione. In Jul. Cæs., lib. I, cap. LXXX.

trouver de favorables, il quitta les autels avec mépris, et entra dans le sénat.

. Comme les magistrats se trouvoient maîtres des présages, ils avoient un moyen sûr pour détourner le peuple d'une guerre qui auroit été funeste, ou pour lui en faire entreprendre une qui auroit pu être utile. Les devins, qui suivoient toujours les armées, et qui étoient plutôt les interprètes du général que des dieux, ínspiroient de la confiance aux soldats. Si par hasard quelque mauvais présage avoit épouvanté l'armée, un habile général en convertissoit le sens et se le rendoit favorable; ainsi Scipion, qui tomba en sautant de son vaisseau sur le rivage d'Afrique, prit de la terre dans ses mains : « Je te tiens, dit-il, ô terre d'Afrique!» Et par ces mots il rendit heureux un présage qui avoit paru si funeste.

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Les Siciliens s'étant embarqués pour faire quelque expédition en Afrique, furent si épouvantés d'une éclipse de soleil, qu'ils étoient sur le point d'abandonner leur entreprise; mais le général leur représenta << qu'à la vérité cette éclipse eût été de << mauvais augure si elle eût paru avant leur embarquement, mais que, puisqu'elle n'avoit paru qu'après, elle ne pouvoit menacer que les Afri« cains. » Par-là il fit cesser leur frayeur, et trouva, dans un sujet de crainte, le moyen d'augmenter leur courage.

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César fut averti plusieurs fois par les devins de ne point passer en Afrique avant l'hiver. Il ne les écouta pas, et prévint par-là ses ennemis, qui, sans cette diligence, auroient eu le temps de réunir leurs forces.

Crassus, pendant un sacrifice, ayant laissé tomber son couteau des mains, on en prit un mauvais augure; mais il rassura le peuple en lui disant: << Bon courage! au moins mon épée ne m'est ja<< mais tombée des mains. >>

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Lucullus étant près de donner bataille à Tigrane, on vint lui dire que c'étoit. un jour malheureux : « Tant mieux, dit-il, nous le rendrons <«< heureux par notre victoire. »><

Tarquin le Superbe, voulant établir des jeux en l'honneur de la déesse Mania, `consulta l'oracle d'Apollon, qui répondit obscurément, et dit qu'il falloit sacrifier têtes pour têtes, capitibus pro capitibus, supplicandum. Ce prince, plus cruel encore que superstitieux, fit immoler des enfans: mais Junius Brutus changea ce sacrifice horrible; car il le fit faire avec des têtes d'ail et de pavot, et par-là remplit ou éluda l'oracle 1.

On coupoit le noeud gordien quand on ne pouvoit pas le délier; ainsi Claudius Pulcher, voulant donner un combat naval, fit jeter les poulets

Macrob., Saturnal., lib. I, cap. vII.

sacrés à la mer, afin de les faire boire, disoit-il, puisqu'ils ne vouloient pas manger '.

Il est vrai qu'on punissoit quelquefois un général de n'avoir pas suivi les présages; et cela même étoit un nouvel effet de la politique des Romains. On vouloit faire voir au peuple que les mauvais succès, les villes prises, les batailles perdues, n'étoient point l'effet d'une mauvaise constitution de l'étať, ou de la foiblesse de la république, mais de l'impiété d'un citoyen, contre lequel les dieux étoient irrités. Avec cette persuasion, il n'étoit pas difficile de rendre la confiance au peuple; il ne falloit pour cela que quelques cérémonies et quelques sacrifices. Ainsi, lorsque la ville étoit menacée ou affligée de quelque malheur, on ne manquoit pas d'en chercher la cause, qui étoit toujours la colère de quelque dieu dont on avoit négligé le culte : il suffisoit, pour s'en garantir, de faire des sacrifices et des processions, de purifier la ville avec des torches, du soufre et de l'eau salée. On faisoit faire à la victime le tour des remparts avant de l'égorger, ce qui s'appeloit sacrificium amburbium, et amburbiale. On alloit même quelquefois jusqu'à purifier les armées et les flottes, après quoi chacun reprenoit courage.

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Scévola, grand pontife, et Varron, un de leurs

art. 3.

Quia esse nolunt, bibant. Valerius Maximus, lib. I, cap. IV,

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