Page images
PDF
EPUB

Bajazet ayant soumis tous les autres sultans, les Turcs auroient fait pour lors ce qu'ils firent depuis sous Mahomet II, s'ils n'avoient pas été eux-mêmes sur le point d'être exterminés par les Tartares.

Je n'ai pas le courage de parler des misères qui suivirent: je dirai seulement que, sous les derniers empereurs, l'empire, réduit aux faubourgs de Constantinople, finit comme le Rhin, qui n'est plus qu'un ruisseau lorsqu'il se perd dans l'Océan.

[ocr errors][ocr errors][ocr errors]

DISSERTATION

SUR

LA POLITIQUE DES ROMAINS

DANS LA RELIGION.

Ce ne fut ni la crainte ni la piété qui établit la religion chez les Romains, mais la nécessité où sont toutes les sociétés d'en avoir une. Les premiers rois ne furent pas moins attentifs à régler le culte et les cérémonies qu'à donner des lois et bâtir des murailles.

Je trouve cette différence entre les législateurs romains et ceux des autres peuples, que les premiers firent la religion pour l'état, et les autres, l'état pour la religion. Romulus, Tatius et Numa, asservirent les dieux à la politique : le culte et les cérémonies qu'ils instituèrent furent trouvés si sages, que, lorsque les rois furent chassés, le joug de la religion fut le seul dont ce peuple, dans sa fureur pour la liberté, n'osa s'affranchir.

Quand les législateurs romains établirent la religion, ils ne pensèrent point à la réformation des mœurs, ni à donner des principes de morale: ils ne voulurent point gêner des gens qu'ils ne con

noissoient pas encore 1. Ils n'eurent donc d'abord qu'une vue générale, qui étoit d'inspirer à un peuple qui ne craignoit rien la crainte des dieux, et de se servir de cette crainte pour le conduire à leur fantaisie.

Les successeurs de Numa n'osèrent point faire ce que ce prince n'avoit point fait le peuple, qui avoit beaucoup perdu de sa férocité et de sa rudesse, étoit devenu capable d'une plus grande discipline. Il eût été facile d'ajouter aux cérémonies de la religion des principes et des règles de morale dont elle manquoit; mais les législateurs des Romains étoient trop clairvoyans pour ne point connoître combien une pareille réformation eût été dangereuse : c'eût été convenir que la religion étoit défectueuse; c'étoit lui donner des âges, et affoiblir son autorité en voulant l'établir. La sagesse des Romains leur fit prendre un meilleur parti en établissant de nouvelles lois. Les institutions humaines peuvent bien changer, mais les divines doivent être immuables comme les dieux mêmes.

Ainsi le sénat de Rome, ayant chargé le préteur Pétilius d'examiner les écrits du roi Numa, qui avoient été trouvés dans un coffre de pierre, quatre

1 Variante. Qui ne connoissoient pas encore les engagemens d'une société dans laquelle ils venoient d'entrer.

[ocr errors][merged small]
[ocr errors]

cents ans après la mort de ce roi, résolut de les faire bruler, sur le rapport que lui fit ce préteur que les cérémonies qui étoient ordonnées dans ces écrits differoient beaucoup de celles qui se pratiquoient alors; ce qui pouvoit jeter des scrupules dans l'esprit des simples, et leur faire voir que le culte prescrit n'étoit pas le même que celui qui avoit été institué par les premiers législateurs, et inspiré par la nymphe Égérie.

On portoit la prudence plus loin : on ne pouvoit lire les livres sibyllins sans la permission du sénat, qui ne la donnoit même que dans les grandes occasions, et lorsqu'il s'agissoit de consoler les peuples. Toutes les interprétations étoient défendues; ces livres mêmes étoient toujours renfermés; et, par une précaution si sage, on ôtoit les armes des mains des fanatiques et des séditieux.

Les devins ne pouvoient rien prononcer sur les affaires publiques sans la permission des magistrats; leur art étoit absolument subordonné à la volonté du sénat; et cela avoit été ainsi ordonné par les livres des pontifes, dont Cicéron nous a conservé quelques fragmens'.

' De leg. lib. II, pag. 441, t. 4, éd. de Denis Godeffroy, 1587. « Bella disceptanto: prodigia, portenta, ad Etruscos et arus«pices, si senatus jusserit, deferunto. » Et même liv., pag. 440: Sacerdotum, duo genera sunto : unum, quod præsit cæremoniis et sacris; alterum, quod interpretetur fatidicorum et vatum effata incognita, cùm senatus populusque adsciverit.

Polybe met la superstition au rang des avantages que le peuple romain avoit par-dessus les autres peuples: ce qui paroît ridicule aux sages est nécessaire pour les sots; et ce peuple, qui se met si facilement en colère, a besoin d'être arrêté par une puissance invincible.

Les augures et les aruspices étoient proprement les grotesques du paganisme : mais on ne les trouvera point ridicules, si on fait réflexion que, dans une religion toute populaire comme celle-là, rien ne paroissoit extravagant : la crédulité du peuple réparoit tout chez les Romains: plus une chose étoit contraire à la raison humaine, plus elle leur paroissoit divine. Une vérité simple ne les auroit pas vivement touchés : il leur falloit des sujets d'admiration, il leur falloit des signes de la divinité; et ils ne les trouvoient que dans le merveilleux et le ridicule.

C'étoit à la vérité une chose très-extravagante de faire dépendre le salut de la république de l'appétit sacré d'un poulet, et de la disposition des entrailles des victimes: mais ceux qui introduisirent ces cérémonies en connoissoient bien le ført et le foible, et ce ne fut que par de bonnes raisons qu'ils péchèrent contre la raison même. Si ce culte avoit été plus raisonnable, les gens d'esprit en auroient été la dupe aussi bien que peuple, et par-là on auroit perdu tout l'avantage

le

« PreviousContinue »