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des trahisons, de la perfidie, et tout ce qu'on peut attendre d'un ennemi timide.

Il faut avouer que les Français, qui avoient commencé ces expéditions, n'avoient rien fait pour se faire souffrir. Au travers des invectives d'Andronic Comnène contre nous ', on voit, dans le fond, que, chez une nation étrangère, nous ne nous contraignions point, et que nous avions pour lors les défauts qu'on nous reproche aujourd'hui.

par le

Un comte français alla se mettre sur le trône de l'empereur le comte Baudouin le tira : bras, et lui dit : « Vous devez savoir que, que, quand << on est dans un pays, il en faut suivre les usages. « Vraiment, voilà un beau paysan, répondit-il, <«< de s'asseoir ici, tandis que tant de capitaines << sont debout! »

Les Allemands qui passèrent ensuite, et qui étoient les meilleures gens du monde, firent une rude pénitence de nos étourderies, et trouvèrent partout des esprits que nous avions révoltés 2.

Enfin la haine fut portée au dernier comble; et quelques mauvais traitemens faits à des marchands vénitiens, l'ambition, l'avarice, un faux zèle, déterminèrent les Français et les Vénitiens à se croiser contre les Grecs.

'Histoire d'Alexis, son père, liv. X et XI.

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⚫ Nicétas, Histoire de Manuel Comnène, liv. I.

Ils les trouvèrent aussi peu aguerris que dans ces derniers temps les Tartares trouvèrent les Chinois. Les Français se moquoient de leurs habillemens efféminés; ils se promenoient dans les rues de Constantinople, revêtus de leurs robes peintes; ils portoient à la main une écritoire et du papier, par dérision pour cette nation, qui avoit renoncé à la profession des armes '; et après la guerre, refusèrent de recevoir dans leurs troupes quelque Grec que ce fût.

ils

Ils prirent toute la partie d'Occident, et y élurent empereur le comte de Flandre, dont les états éloignés ne pouvoient donner aucune jalousie aux Italiens. Les Grecs se maintinrent dans l'Orient, séparés des Turcs par les montagnes, et des Latins par la mer.

Les Latins, qui n'avoient pas trouvé d'obstacles dans leurs conquêtes, en ayant trouvé une infinité dans leur établissement, les Grecs repassèrent d'Asie en Europe, reprirent Constantinople, et presque tout l'Occident.

Mais ce nouvel empire ne fut que le fantôme du premier, et n'en eut ni les ressources ni la puissance.

Il ne posséda guère en Asie que les provinces qui sont en deçà du Méandre et du Sangare : la

' Nicétas, Histoire, après la prise de Constantinople, ch. 111.

plupart de celles d'Europe furent divisées en de petites souverainetés.

De plus, pendant soixante ans que Constantinople resta entre les mains des Latins, les vaincus s'étant dispersés, et les conquérans occupés à la guerre, le commerce passa entierement aux villes d'Italie, et Constantinople fut privée de ses richesses.

Le commerce même de l'intérieur se fit par les Latins. Les Grecs, nouvellement rétablis, et qui craignoient tout, voulurent se concilier les Génois, en leur accordant la liberté de trafiquer sans payer de droits et les Vénitiens, qui n'acceptèrent point de paix, mais quelques trèves, et qu'on ne voulut pás irriter, n'en payèrent pas non plus.

I

Quoique avant la prise de Constantinople Manuel Comnène eût laissé tomber la marine, cependant, comme le commerce subsistoit encore, on pouvoit facilement la rétablir : mais quand, dans le nouvel empire, on l'eut abandonnée, le mal fut sans femède, parce que l'impuissance augmenta toujours.

Cet état, qui dominoit sur plusieurs îles, qui étoit partagé par la mer, et qui en étoit environné en tant d'endroits, n'avoit point de vaisseaux pour

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y naviguer. Les provinces n'eurent plus de communication entre elles; on obligea les peuples de se réfugier plus avant dans les terres, pour éviter les pirates; et quand ils l'eurent fait, on leur ordonna de se retirer dans les forteresses, pour se sauver des Turcs '.

Les Turcs faisoient pour lors aux Grecs une guerre singulière : ils alloient proprement à la chasse des hommes; ils traversoient quelquefois deux cents lieues de pays pour faire leurs ravages. Comme ils étoient divisés sous plusieurs sultans, on ne pouvoit pas, par des présens, faire la paix avec tous, et il étoit inutile de la faire avec quelques-úns 2. Ils s'étoient faits mahométans; et le zèle pour leur religion les engageoit merveilleusement à ravager les terres des chrétiens. D'ailleurs', comme c'étoient les peuples les plus laids de la terre, leurs femmes étoient affreuses comme eux3;

'Pachymère, liv. VII.

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Cantacuzène, liv. III, chap. xcvi, et Pachymère, liv. XI, chap. IX.

3 Cela donna lieu à cette tradition du nord, rapportée par le Goth Jornandès, que Philimer, roi des Goths, entrant dans les terres gétiques, y ayant trouvé des femmes sorcières, il les chassa loin de son armée; qu'elles errèrent dans les déserts, où des démons incubes s'accouplèrent avec elles, d'où vint la nation des Huns. Genus ferocissimum, quod fuit primum inter paludes, « minutum, tetrum, atque exile, nec aliá voce notum, nisi quæ « humani sermonis imaginem assignabat. »

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et, dès qu'ils eurent vu des Grecques, ils n'en purent plus souffrir d'autres '. Cela les porta à des enlèvemens continuels. Enfin ils avoient été de tout temps adonnés aux brigandages, et c'étoient ces mêmes Huns qui avoient autrefois causé tant de maux à l'empire romain 2.

Les Turcs, inondant tout ce qui restoit à l'empire grec en Asie, les habitans qui purent leur échapper fuirent devant eux jusqu'au Bosphore : et ceux qui trouvèrent des vaisseaux se réfugièrent dans la partie de l'empire qui étoit en Europe; ce qui augmenta considérablement le nombre de ses habitans. Mais il diminua bientôt. Il y eut des guerres civiles si furieuses que les deux factions appelèrent divers sultans turcs, sous, cette condition 3, aussi extravagante que barbare, que tous les habitans qu'ils prendroient dans les pays du parti contraire seroient menés en esclavage : et chacun, dans la vue de ruiner ses ennemis, concourut à détruire la nation.

3

'Michel Ducas, Histoire de Jean Manuel, Jean et Constantin, chap. IX. Constantin Porphyrogénète, au commencement de son Extrait des ambassades, avertit que, quand les barbares viennent à Constantinople, les Romains doivent bien se garder de leur montrer la grandeur de leurs richesses, ni la beauté de leurs femmes.

2

3

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Voyez l'Histoire des empereurs Jean Paléologue et Jean Cantacuzène, écrite par Cantacuzène.

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