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des nouvelles opinions, leur donnèrent le change en les accusant à leur tour de magie '; et, montrant au peuple les églises dénuées d'images et de tout ce qui avoit fait jusque-là l'objet de sa vénération, ils ne lui laissèrent point imaginer qu'elles pussent servir à d'autre usage qu'à sacrifier aux démons.

Ce qui rendoit la querelle sur les images si vive, et fit que dans la suite les dans la suite les gens sensés ne pouvoient pas proposer un culte modéré, c'est qu'elle étoit liée à des choses bien tendres: il étoit question de la puissance; et les moines l'ayant usurpée, ils ne pouvoient l'augmenter ou la soutenir qu'en ajoutant sans cesse au culte extérieur dont ils faisoient eux-mêmes partie. Voilà pourquoi les guerres contre les images furent toujours des guerres contre eux; et que quand ils eurent gagné ce point, leur pouvoir n'eut plus de bornes.

Il arriva pour lors ce que l'on vit, quelques siècles après, dans la querelle qu'eurent Barlaam et Acindyne contre les moines, et qui tourmenta cet empire jusqu'à sa destruction. On disputoit si la lumière qui apparut autour de Jésus-Christ sur le Thabor étoit créée ou incréée. Dans le fond les moines ne se soucioient pas plus qu'elle fût l'un que l'autre mais comme Barlaam les atta

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1 Léon le grammairien, Vie de Léon l'Arménien. Idem, Vie de Théophile. Voyez Suidas, à l'article Constantin, fils de Léon.

quoit directement eux-mêmes, il falloit nécessairement que cette lumière fût incréée.

La guerre que les empereurs iconoclastes déclarèrent aux moines fit que l'on reprit un peu les principes du gouvernement, que l'on employa en faveur du public les revenus publics, et qu'enfin on ôta au corps de l'état ses entraves.

Quand je pense à l'ignorance profonde dans laquelle le clergé grec plongea les laïques, je ne puis m'empêcher de les comparer à ces Scythes dont parle Hérodote', qui crevoient les yeux à leurs esclaves, afin que rien ne pût les distraire et les empêcher de battre leur lait.

L'impératrice Théodora rétablit les images, et les moines recommencèrent à abuser de la piété publique : ils parvinrent jusqu'à opprimer le clergé séculier même; ils occupèrent tous les grands siéges", et exclurent peu à peu tous les ecclésiastiques de l'épiscopat; c'est ce qui rendit ce clergé intolérable et si l'on en fait le parallèle avec le clergé latin, si l'on compare la conduite des papes avec celle des patriarches de Constantinople, on verra des gens aussi sages que les autres étoient peu sensés.

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Voici une étrange contradiction de l'esprit hu

' Liv. IV.

Voyez Pachymère, Histoire des emp., Michel Paléologue et Andronic, liv. VIII.

main. Les ministres de la religion chez les premiers Romains, n'étant pas exclus des charges et de la société civile, s'embarrassèrent peu de ses affaires : lorsque la religion chrétienne fut établie, les ecclésiastiques, qui étoient plus séparés des affaires du monde, s'en mêlèrent avec modération; mais lorsque, dans la décadence de l'empire, les moines furent le seul clergé, ces gens, destinés par une profession plus particulière à fuir et à craindre les affaires, embrassèrent toutes les occasions qui purent leur y donner part; ils ne cessèrent de faire du bruit partout et d'agiter ce monde qu'ils avoient quitté.

Aucune affaire d'état, aucune paix, aucune guerre, aucune trève, aucune négociation, aucun mariage ne se traita que par le ministère des moines : les conseils du prince en furent remplis, et les assemblées de la nation presque toutes composées.

On ne sauroit croire quel mal il en résulta. Ils affoiblirent l'esprit des princes, et leur firent faire imprudemment même les choses bonnes. Pendant que Basile occupoit les soldats de son armée de mer à bâtir une église à saint Michel, il laissa piller la Sicile par les Sarrasins, et prendre Syracuse; et Léon, son successeur, qui employa sa flotte au même usage, leur laissa occuper Tauroménie

et l'île de Lemnos'.

1 Zonaras et Nicéphore, Vie de Basile et de Léon.

Andronic Paléologue abandonna la marine parce qu'on l'assura que Dieu étoit si content de son zèle pour la paix de l'église, que ses ennemis n'oseroient l'attaquer. Le même craignoit que Dieu ne lui demandât compte du temps qu'il employoit à gouverner son état, et qu'il déroboit aux affaires spirituelles '.

Les Grecs, grands parleurs, grands disputeurs, naturellement sophistes, ne cessèrent d'embrouiller la religion par des controverses. Comme les moines avoient un grand crédit à la cour, toujours d'autant plus foible qu'elle étoit plus corrompue, il arrivoit que les moines et la cour se corrompoient réciproquement, et que le mal étoit dans tous les deux : d'où il suivoit que toute l'attention des empereurs étoit occupée quelquefois à calmer, souvent à irriter, des disputes théologiques qu'on a toujours remarqué devenir frivoles à mesure qu'elles sont plus vives.

Michel Paléologue, dont le règne fut tant agité par des disputes sur la religion, voyant les affreux ravages des Turcs dans l'Asie, disoit en soupirant le zèle téméraire de certaines personnes qui, que en décriant sa conduite, avoient soulevé ses sujets contre lui, l'avoit obligé d'appliquer tous ses soins à sa propre conservation, et de négliger la ruine

'Pachymère, liv. VII.

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des provinces. « Je me suis contenté, disoit-il, de pourvoir à ces parties éloignées par le ministère « des gouverneurs, qui m'en ont dissimulé les « besoins, soit qu'ils fussent gagnés par argent, << soit qu'ils appréhendassent d'être punis'. »

Les patriarches de Constantinople avoient un pouvoir immense. Comme dans les tumultes populaires les empereurs et les grands de l'état se retiroient dans les églises, que le patriarche étoit maître de les livrer ou non, et exerçoit ce droit à sa fantaisie, il se trouvoit toujours, quoique indirectement, arbitre de toutes les affaires publiques.

Lorsque le vieux Andronic 2 fit dire au patriarche qu'il se mêlât des affaires de l'église, et le laissât gouverner celles de l'empire : « C'est, lui répondit << le patriarche, comme si le corps disoit à l'âme : « Je ne prétends avoir rien de commun avec vous, « et je n'ai que faire de votre secours pour exercer << mes fonctions. »

De si monstrueuses prétentions étant insupportables aux princes, les patriarches furent trèssouvent chassés de leurs siéges. Mais chez une nation superstitieuse, où l'on croyoit abominables toutes les fonctions ecclésiastiques qu'avoit pu

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Pachymère, liv. VI, chap. xxix. On a employé la traduction de M. le président Cousin.

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⚫ Paléologue. Voyez l'Histoire des deux Andronic, écrite par Cantacuzène, liv. I, chap. 1.

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