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Alexandre, si lâche dans Hérodien, paroît plein de courage dans Lampridius; ce Gratien, tant loué par les orthodoxes, Philostorgue le compare

à Néron.

Valentinien sentit plus que personne la nécessité de l'ancien plan : il employa toute sa vie à fortifier les bords du Rhin, à y faire des levées, y bâtir des châteaux, y placer des troupes, leur donner le moyen d'y subsister. Mais il arriva dans le monde un événement qui détermina Valens, son frère, à ouvrir le Danube, et eut d'effroyables suites.

Dans le pays qui est entre les Palus-Méotides, les montagnes du Caucase et la mer Caspienne, il y avoit plusieurs peuples qui étoient la plupart de la nation des Huns ou de celle des Alains; leurs terres étoient extrêmement fertiles; ils aimoient la guerre et le brigandage; ils étoient presque toujours à cheval, ou sur leurs chariots, et erroient dans le pays où ils étoient enfermés : ils faisoient bien quelques ravages sur les frontières de Perse et d'Arménie; mais on gardoit aisément les portes Caspiennes, et ils pouvoient difficilement pénétrer dans la Perse par ailleurs. Comme ils n'imaginoient point qu'il fût possible de traverser les Palus-Méotides ils ne connoissoient pas les Romains; et, pendant que d'autres barbares

I

Procope, Histoire mêlée.

ravageoient l'empire, ils restoient dans les limites que leur ignorance leur avoit données. Quelques-uns'ont dit que le limon que le Tanaïs avoit apporté avoit formé une espèce de croûte sur le Bosphore cimmérien, sur laquelle ils avoient passé; d'autres 3, que deux jeunes Scythes, poursuivant une biche qui traversa ce bras de mer, le traversèrent aussi. Ils furent étonnés de voir un nouveau monde; et, retournant dans l'ancien, ils apprirent à leurs compatriotes les nouvelles terres, et, si j'ose me servir de ce terme, les Indes qu'ils avoient découvertes 3.

D'abord des corps innombrables de Huns passèrent; et, rencontrant les Goths les premiers, ils les chassèrent devant eux. Il sembloit que ces nations se précipitassent les unes sur les autres, et que l'Asie, pour peser sur l'Europe, eût acquis un nouveau poids.

Les Goths effrayés se présentèrent sur les bords du Danube, et, les mains jointes, demandèrent une retraite. Les flatteurs de Valens saisirent cette occasion, et la lui représentèrent comme une conquête heureuse d'un nouveau peuple qui venoit de défendre l'empire et l'enrichir 4.

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2

Jornandès, de Rebus geticis, Histoire. mêlée de Procope.

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Valens ordonna qu'ils passeroient sans armes; mais, pour de l'argent, ses officiers leur en laissèrent tant qu'ils voulurent 1. Il leur fit distribuer des terres; mais, à la différence des Huns, les Goths n'en cultivoient point 2; on les priva même du blé qu'on leur avoit promis : ils mouroient de faim, et ils étoient au milieu d'un pays riche; ils étoient armés, et on leur faisoit des injustices. Ils ravagèrent tout depuis le Danube jusqu'au Bosphore, exterminèrent Valens et son armée, et ne

1 De ceux qui avoient reçu ces ordres, celui-ci conçut un amour infâme; celui-là fut épris de la beauté d'une femme barbare; les autres furent corrompus par des présens, des habits de lin, et des couvertures bordées de franges: on n'eut d'autre soin que de remplir sa maison d'esclaves, et ses fermes de bétail. Histoire de Dexipe.

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* Voyez l'Histoire gothique de Priscus, où cette différence est bien établie.

On demandera peut-être comment des nations qui ne cultivoient point les terres pouvoient devenir si puissantes, tandis que celles de l'Amérique sont si petites. C'est que les peuples pasteurs ont une subsistance bien plus assurée que les peuples chasseurs.

Il paroìt par Ammien Marcellin que les Huns, dans leur première demeure, ne labouroient point les champs; ils ne vivoient que de leurs troupeaux dans un pays abondant en pâturages, et arrosé par quantité de fleuves, comme font encore aujourd'hui les petits Tartares, qui habitent une partie du même pays. Il y a apparence que ces peuples, depuis leur départ, ayart habité des lieux moins propres à la nourriture des troupeaux, commencèrent à cultiver les terres.

repassèrent le Danube que pour abandonner l'affreuse solitude qu'ils avoient faite '.

I

Voyez Zosime, liv. IV. Voyez aussi Dexipe, dans l'Extrait des ambassadeurs de Constantin Porphyrogénète.

CHAPITRE XVIII.

Nouvelles maximes prises par les Romains.

QUELQUEFOIS la lâcheté des empereurs, souvent la foiblesse de l'empire, firent que l'on chercha à apaiser par de l'argent les peuples qui menaçoient d'envahir'. Mais la paix ne peut pas s'acheter, parce que celui qui l'a vendue n'en est que plus en état de la faire acheter encore.

Il vaut mieux courir le risque de faire une guerre malheureuse que de donner de l'argent pour avoir la paix; car on respecte toujours un prince lorsqu'on sait qu'on ne le vaincra qu'après une longue résistance.

D'ailleurs ces sortes de gratifications se changeoient en tributs, et, libres au commencement, devenoient nécessaires elles furent regardées comme des droits acquis; et, lorsqu'un empereur les refusa à quelques peuples, ou voulut donner moins, ils devinrent de mortels ennemis. Entre mille exemples, l'armée que Julien mena contre les Perses fut poursuivie dans sa retraite par des Arabes à qui il avoit refusé le tribut accoutumé 2;

1

On donna d'abord tout aux soldats; ensuite on donna tout aux ennemis.

2 Ammien Marcellin, liv. XXV.

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