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sieurs empereurs, il n'y avoit eu qu'un empire; et l'autorité de tous étant reconnue dans la province, c'étoit une puissance unique exercée par plusieurs.

Mais Galère et Constance Chlore n'ayant pu s'accorder, ils partagèrent réellement l'empire '; et par cet exemple, qui fut suivi dans la suite par Constantin, qui prit le plan de Galère et non pas celui de Dioclétien, il s'introduisit une coutume qui fut moins un changement qu'une révolution.

De plus, l'envie qu'eut Constantin de faire une ville nouvelle, la vanité de lui donner son nom, le déterminèrent à porter en Orient le siége de l'empire. Quoique l'enceinte de Rome ne fût pas à beaucoup près si grande qu'elle est à présent, les faubourgs en étoient prodigieusement étendus 2: l'Italie, pleine de maisons de plaisance, n'étoit proprement que le jardin de Rome; les laboureurs étoient en Sicile, en Afrique, en Égypte3, et les jardiniers, en Italie: les terres n'étoient presque cultivées que par les esclaves des citoyens ro

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Voyez Oroze, liv. VII, et Aurelius Victor.

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Exspatiantia tecta multas addidere urbes, dit Pline, Histoire naturelle, liv. III.

3 On portoit autrefois d'Italie, dit Tacite, du blé dans les provinces reculées, et elle n'est pas encore stérile; mais nous cultivons plutôt l'Afrique et l'Égypte, et nous aimons mieux exposer aux accidens la vie du peuple romain. Annales, liv. XII, chap. XLIII.

les

mains. Mais, lorsque le siége de l'empire fut établi en Orient, Rome presque entière y passa, grands y menèrent leurs esclaves, c'est-à-dire presque tout le peuple; et l'Italie fut privée de ses habitans.

Pour que la nouvelle ville ne cédât en rien à l'ancienne, Constantin voulut qu'on y distribuât aussi du blé, et ordonna que celui d'Égypte seroit envoyé à Constantinople, et celui de l'Afrique à Rome; ce qui, me semble, n'étoit pas fort sensé.

Dans le temps de la république, le peuple romain, souverain de tous les autres, devoit naturellement avoir part aux tributs : cela fit que le sénat lui vendit d'abord du blé à bas prix, et ensuite le lui donna pour rien. Lorsque le gouvernement fut devenu monarchique, cela subsista contre les principes de la monarchie : on laissoit cet abus à cause des inconvéniens qu'il y auroit eu à le changer. Mais Constantin, fondant une ville nouvelle, l'y établit sans aucune bonne raison. Lorsque Auguste eut conquis l'Égypte, il apporta à Rome le trésor des Ptolomées : cela y fit à fit à peu près la même révolution que la découverte des Indes a faite depuis en Europe, et que de certains systèmes ont faite de nos jours. Les fonds doublerent de prix à Rome1; et, comme Rome continua

' Suétone, liv. II, in Augusto. Oroze, liv. VI. Rome avoit eu souvent de ces révolutions. J'ai dit que les trésors de Macédoine

d'attirer à elle les richesses d'Alexandrie, qui recevoit elle-même celles de l'Afrique et de l'Orient, l'or et l'argent devinrent très-communs en Europe; ce qui mit les peuples en état de payer des impôts très-considérables en espèces.

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Mais, lorsque l'empire eut été divisé, ces richesses allèrent à Constantinople. On sait d'ailleurs que les mines d'Allemagne n'étoient point encore ouvertes '; qu'il y en avoit très-peu en Italie et dans les Gaules 2; que, depuis les Carthaginois, les mines d'Espagne n'étoient guère plus travaillées, ou du moins n'étoient plus si riches3. L'Italie, qui n'avoit plus que des jardins abandonnés, ne pouvoit, par aucun moyen, attirer l'argent de l'Orient, pendant que l'Occident, pour avoir de ses marchandises, y envoyoit le sien. L'or et l'argent devinrent donc extrêmement rares en Europe mais les empereurs y voulurent exiger les mêmes tributs; ce qui perdit tout.

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qu'on y apporta avoient fait cesser tous les tributs. Cicéron, des Offices, liv. II, tom. 4, édit. 1587, pag. 511.

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Tacite, de Moribus Germanorum, le dit formellement. On sait d'ailleurs à peu près l'époque de l'ouverture des mines d'Allemagne. Voyez Thomas Sesréibérus, sur l'origine des mines du Hartz. On croit celles de Saxe moins anciennes.

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· Voyez Pline, liv. XXXVII, art. 77.

3 Les Carthaginois, dit Diodore, surent très-bien l'art d'en profiter, et les Romains, celui d'empêcher que les autres n'en profitassent.

Lorsque le gouvernement a une forme depuis long-temps établie, et que les choses se sont mises dans une certaine situation, il est presque toujours de la prudence de les y laisser; parce que les raisons, souvent compliquées et inconnues, qui font qu'un pareil état a subsisté, font qu'il se maintiendra encore: mais, quand on change le système total, on ne peut remédier qu'aux inconvéniens qui se présentent dans la théorie, et on en laisse d'autres que la pratique seule peut faire dé

couvrir.

Ainsi, quoique l'empire ne fût déjà que trop grand, la division qu'on en fit le ruina, parce que toutes les parties de ce grand corps, depuis long-temps ensemble, s'étoient pour ainsi dire ajustées pour y rester et dépendre les unes des

autres.

Constantin', après avoir affoibli la capitale, frappa un autre coup sur les frontières, il ôta les légions qui étoient sur le bord des grands fleuves, et les dispersa dans les provinces : ce qui produisit deux maux : l'un, que la barrière qui contenoit tant de nations fut ôtée; et l'autre, que les

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1 Dans ce qu'on dit de Constantin on ne choque point les auteurs ecclésiastiques, qui déclarent qu'ils n'entendent parler que des actions de ce prince qui ont du rapport à la piété, et non de celles qui en ont au gouvernement de l'état. Eusèbe, Vie de Constantin, liv. I, chap. 1x ; Socrate, liv. I, chap. 1.

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soldats vécurent et s'amollirent dans le cirque et

dans les théâtres 2.

Lorsque Constantius envoya Julien dans les Gaules, il trouva que cinquante villes le long du Rhin 3 avoient été prises par les barbares; que les provinces avoient été saccagées; qu'il n'y avoit plus que l'ombre d'une armée romaine, que le seul nom des ennemis faisoit fuir.

Ce prince, par sa sagesse, sa constance, son économie, sa conduite, sa valeur, et une suite continuelle d'actions héroïques, rechassa les barbares 4; et la terreur de son nom les contint tant qu'il vécut 5.

La brièveté des règnes, les divers partis politiques, les différentes religions, les sectes particulières de ces religions, ont fait que le caractère des empereurs est venu à nous extrêmement défiguré. Je n'en donnerai que deux exemples. Cet

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' Zosime, liv. VIII.

Depuis l'établissement du christianisme, les combats des gladiateurs devinrent rares. Constantin défendit d'en donner : ils furent entièrement abolis sous Honorius, comme il paroît par Théodoret et Othon de Frisingue. Les Romains ne retinrent de leurs anciens spectacles que ce qui pouvoit affoiblir les courages, et servoit d'attrait à la volupté.

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3 Ammien Marcellin, liv. XVI, XVII, XVIII.

4 Ibidem.

Voyez le magnifique éloge qu'Ammien Marcellin fait de ce prince, liv. XXV. Voyez aussi les fragmens de l'histoire de Jean d'Antioche.

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