Page images
PDF
EPUB

conquêtes de Charlemagne et ses tyrannies avoient une seconde fois fait reculer les peuples du midi au nord: sitôt que cet empire fut affoibli, ils se portèrent une seconde fois du nord au midi. Et, si aujourd'hui un prince faisoit en Europe les mêmes ravages, les nations repoussées dans le nord, adossées aux limites de l'univers, y tiendroient ferme jusqu'au moment qu'elles inonderoient et conquerroient l'Europe une troisième fois.

L'affreux désordre qui étoit dans la succession à l'empire étant venu à son comble, on vit paroître sur la fin du règne de Valérien, et pendant celui de Gallien son fils, trente prétendans divers, qui, s'étant la plupart entre-détruits, ayant eu un règne très-court, furent nommés tyrans.

Valérien ayant été pris par les Perses, et Gallien son fils négligeant les affaires, les barbares pénétrèrent partout; l'empire se trouva dans cet état où il fut environ un siècle après en occident '; et il auroit dès lors été détruit sans un concours heureux de circonstances qui le relevèrent.

Odenat, prince de Palmyre, allié des Romains, chassa les Perses, qui avoient envahi presque toute l'Asie. La ville de Rome fit une armée de ses citoyens, qui écarta les barbares qui venoient la

' Cent cinquante ans après, sous Honorius, les barbares l'envahirent.

piller. Une armée innombrable de Scythes, qui passoient la mer avec six mille vaisseaux, périt par les naufrages, la misère, la faim, et sa grandeur même. Et Gallien ayant été tué, Claude, Aurélien, Tacite et Probus, quatre grands hommes qui, par un grand bonheur, se succédèrent, rétablirent l'empire prêt à périr.

CHAPITRE XVII.

Changement dans l'état.

POUR prévenir les trahisons continuelles des soldats, les empereurs s'associèrent des personnes en qui ils avoient confiance; et Dioclétien, sous prétexte de la grandeur des affaires, régla qu'il y auroit toujours deux empereurs et deux Césars. Il jugea que les quatre principales armées étant occupées par ceux qui auroient part à l'empire, elles s'intimideroient les unes les autres; que les autres armées n'étant pas assez fortes pour entreprendre de faire leur chef empereur, elles perdroient peu la coutume d'élire; et qu'enfin la dignité de César étant toujours subordonnée, la puissance, partagée entre quatre pour la sûreté du gouvernement, ne seroit pourtant dans toute son étendue qu'entre les mains de deux.

peu

Mais ce qui contint encore plus les gens de guerre, c'est que les richesses des particuliers et la fortune publique ayant diminué, les empereurs ne purent plus leur faire des dons si considérables; de manière que la récompense ne fut plus proportionnée au danger de faire une nouvelle élection.

D'ailleurs les préfets du prétoire, qui, pour le pouvoir et pour les fonctions, étoient à peu près

comme les grands visirs de ces temps-là, et faisoient à leur gré massacrer les empereurs pour se mettre en leur place, furent fort abaissés par Constantin, qui ne leur laissa que les fonctions civiles, et en fit quatre au lieu de deux.

[ocr errors]

La vie des empereurs commença donc à être plus assurée: ils purent mourir dans leur lit, et cela sembla avoir un peu adouci leurs mœurs ; ils ne versèrent plus le sang avec tant de férocité. Mais, comme il falloit que ce pouvoir immense débordât quelque part, on vit un autre genre de tyrannie, mais plus sourde : ce ne furent plus des massacres, mais des jugemens iniques, des formes de justice qui sembloient n'éloigner la mort que pour flétrir la vie : la cour fut gouvernée et gouverna par plus d'artifices, par des arts plus exquis, avec un plus grand silence: enfin, au lieu de cette hardiesse à concevoir une mauvaise action, et de cette impétuosité à la commettre, on ne vit plus régner que les vices des âmes foibles et des crimes réfléchis.

Il s'établit un nouveau genre de corruption. Les premiers empereurs aimoient les plaisirs; ceux-ci, la mollesse : ils se montrèrent moins aux gens de guerre; ils furent plus oisifs, plus livrés à leurs domestiques, plus attachés à leur palais, et plus séparés de l'empire.

Le poison de la cour augmenta sa force à me

sure qu'il fut plus séparé : on ne dit rien, on insinua tout; les grandes réputations furent toutes attaquées; et les ministres et les officiers de guerre furent mis sans cesse à la discrétion de cette sorte

de gens qui ne peuvent servir l'état, ni souffrir qu'on le serve avec gloire '.

Enfin cette affabilité des premiers empereurs, qui seule pouvoit leur donner le moyen de connoître leurs affaires, fut entièrement bannie. Le prince ne sut plus rien que sur le rapport de quelques confidens, qui, toujours de concert, souvent même lorsqu'ils sembloient être d'opinion contraire, ne faisoient auprès de lui que l'office d'un seul.

Le séjour de plusieurs empereurs en Asie, et leur perpétuelle rivalité avec les rois de Perse, firent qu'ils voulurent être adorés comme eux; et Dioclétien, d'autres disent Galère, l'ordonna par un édit.

Ce faste et cette pompe asiatique s'établissant, les yeux s'y accoutumèrent d'abord; et, lorsque Julien voulut mettre de la simplicité et de la modestie dans ses manières, on appela oubli de la dignité ce qui n'étoit que la mémoire des anciennes

mœurs.

[ocr errors]

Quoique depuis Marc-Aurèle il y eût eu plu

Voyez ce que les auteurs nous disent de la cour de Constantin, de Valens, etc.

« PreviousContinue »