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Il ruina dans son expédition d'Asie toute la discipline militaire; il accoutuma son armée aux rapines', et lui donna des besoins qu'elle n'avoit jamais eus; il corrompit une fois des soldats, qui devoient dans la suite corrompre les capitaines.

Il entra dans Rome à main armée, et enseigna aux généraux romains à violer l'asile de la liberté 2.

Il donna les terres des citoyens aux soldats 3, et il les rendit avides pour jamais; car, dès ce moment, il n'y eut plus un homme de guerre qui n'attendît une occasion qui pût mettre les biens de ses concitoyens entre ses mains.

Il inventa les proscriptions, et mit à prix la tête de ceux qui n'étoient pas de son parti. Dès lors il fut impossible de s'attacher davantage à la république; car, parmi deux hommes ambitieux, et qui se disputoient la victoire, ceux qui étoient neutres, et pour le parti de la liberté, étoient sûrs d'être proscrits par celui des deux qui seroit le vainqueur. Il étoit donc de la prudence de s'attacher à l'un des deux.

Voyez dans la conjuration de Catilina, chap. x1 et x11, le portrait que Salluste nous fait de cette armée.

2

Fugatis Marii copiis, primus urbem Romam cum armis ingressus est. Fragment de Jean d'Antioche, dans l'Extrait des vertus

et des vices.

3 On distribua bien au commencement une partie des terres des ennemis vaincus; mais Sylla donnoit les terres des citoyens,

Il vint après lui, dit Cicéron ', un homme qui, dans une cause impie et une victoire encore plus honteuse, ne confisqua pas seulement les biens des particuliers, mais enveloppa dans la même calamité des provinces entières.

Sylla, quittant la dictature, avoit semblé ne vouloir vivre que sous la protection de ses lois mêmes; mais cette action, qui marqua tant de modération, étoit elle-même une suite de ses violences. Il avoit donné des établissemens à quarante-sept légions dans divers endroits de l'Italie. Ces gens-là, dit Appien, regardant leur fortune comme attachée à sa vie, veilloient à sa sûreté, et étoient toujours prêts à le secourir ou à le venger 2.

La république devant nécessairement périr, il n'étoit plus question que de savoir comment et par qui elle devoit être abattue.

par

Deux hommes également ambitieux, excepté que l'un ne savoit pas aller à son but si directement que l'autre, effacèrent leur crédit, par leurs exploits, par leurs vertus, tous les autres citoyens. Pompée parut le premier : César le suivit de près.

Pompée, pour s'attirer la faveur, fit casser les lois de Sylla qui bornoient le pouvoir du peuple;

2

Offices, liv. II, pag. 500.

On peut voir ce qui arriva après la mort de César.

et, quand il eut fait à son ambition un sacrifice des lois les plus salutaires de sa patrie, il obtint tout ce qu'il voulut, et la témérité du peuple fut sans bornes à son égard.

Les lois de Rome avoient sagement divisé la puissance publique en un grand nombre de magistratures, qui se soutenoient, s'arrêtoient, et se tempéroient l'une l'autre; et, comme elles n'avoient toutes qu'un pouvoir borné, chaque citoyen étoit bon pour y parvenir; et le peuple, voyant passer devant lui plusieurs personnages l'un après l'autre, ne s'accoutumoit à aucun d'eux. Mais dans ces temps-ci le système de la république changea: les plus puissans se firent donner par le peuple des commissions extraordinaires ; ce qui anéantit l'autorité du peuple et des magistrats, et mit toutes les grandes affaires dans les mains d'un seul ou de peu de gens '.

Fallut-il faire la guerre à Sertorius, on en donna la commission à Pompée. Fallut-il la faire à Mithridate, tout le monde cria Pompée. Eut-on besoin de faire venir des blés à Rome, le peuple croit être perdu, si on n'en charge Pompée. Veut-on détruire les pirates, il n'y a que Pompée. Et lorsque César menace d'envahir, le sénat crie à son tour, et n'espère plus qu'en Pompée.

1 Plebis opes imminutæ, paucorum potentia crevit. Salluste, de conjurat. Catil., cap. XXXIX.

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I

« Je crois bien, disoit Marcus au peuple, que

Pompée, que les nobles attendent, aimera mieux

<< assurer votre liberté que leur domination; mais

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il y a eu un temps où chacun de vous devoit « avoir la protection de plusieurs, et non pas tous

« la protection d'un seul, et où il étoit inouï qu'un mortel pût donner ou ôter de pareilles << choses. >>

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A Rome, faite pour s'agrandir, il avoit fallu réunir dans les mêmes personnes les honneurs et la puissance; ce qui, dans des temps de trouble, pouvoit fixer l'admiration du peuple sur un seul citoyen.

Quand on accorde des honneurs, on sait précisément ce que l'on donne; mais, quand on y joint le pouvoir, on ne peut dire à quel point il pourra être porté.

Des préférences excessives données à un citoyen dans une république ont toujours des effets nécessaires elles font naître l'envie du peuple, ou elles augmentent sans mesure son amour.

:

Deux fois Pompée, retournant à Rome maître d'opprimer la république, eut la modération de congédier ses armées avant que d'y entrer, et d'y paroître en simple citoyen. Ces actions, qui le comblèrent de gloire, firent que dans la suite

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quelque chose qu'il eût fait au préjudice des lois, le sénat se déclara toujours pour lui.

Pompée avoit une ambition plus lente et plus douce que celle de César. Celui-ci vouloit aller à la souveraine puissance les armes à la main, comme Sylla. Cette façon d'opprimer ne plaisoit point à Pompée : il aspiroit à la dictature, mais par les suffrages du peuple; il ne pouvoit consentir à usurper la puissance, mais il auroit voulu qu'on la lui remît entre les mains.

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Comme la faveur du peuple n'est jamais constante, il y eut des temps où Pompée vit diminuer son crédit '; et, ce qui le toucha bien sensiblement, des gens qu'il méprisoit augmentèrent le leur, et s'en servirent contre lui.

Cela lui fit faire trois choses également funestes: il corrompit le peuple à force d'argent, et mit dans les élections un prix aux suffrages de chaque citoyen.

De plus, il se servit de la plus vile populace pour troubler les magistrats dans leurs fonctions, espérant que les gens sages, lassés de vivre dans l'anarchie, le créeroient dictateur par désespoir.

Enfin il s'unit d'intérêts avec César et Crassus. Caton disoit que ce n'étoit pas leur inimitié qui avoit perdu la république, mais leur union. En

1

Voyez Plutarque, Vie de Pompée, tom. VI, pag. 103 et suiv.

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