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D'un autre côté, Rome, travaillée par ses dissensions civiles, occupée de maux plus pressans, négligea les affaires d'Asie, et laissa Mithridate suivre ses victoires, ou respirer après ses défaites.

Rien n'avoit plus perdu la plupart des rois que le désir manifeste qu'ils témoignoient de la paix; ils avoient détourné par-là tous les autres peuples de partager avec eux un péril dont ils vouloient tant sortir eux-mêmes. Mais Mithridate fit d'abord sentir à toute la terre qu'il étoit ennemi des Romains, et qu'il le seroit toujours.

Enfin les villes de Grèce et d'Asie, voyant que le joug des Romains s'appesantissoit tous les jours sur elles, mirent leur confiance dans ce roi barbare, qui les appeloit à la liberté.

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Cette disposition des choses produisit trois grandes guerres, qui forment un des beaux morceaux de l'histoire romaine; parce qu'on n'y voit pas princes déjà vaincus par les délices et l'orgueil, comme Antiochus et Tigrane, ou par la crainte, comme Philippe, Persée et Jugurtha, mais un roi magnanime, qui, dans les adversités, tel qu'un lion qui regarde ses blessures, n'en étoit que plus indigné.

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Italiæ, quorum pervicaciæ multùm fidebat. » Mithridate fit même une alliance avec Sertorius. Voyez aussi Plutarque, Vie de Sertorius, tom. V, p. 445.

Elles sont singulières, parce que les révolutions y sont continuelles et toujours inopinées : car, si Mithridate pouvoit aisément réparer ses armées, il arrivoit aussi que, dans les revers, où l'on a plus besoin d'obéissance et de discipline, ses troupes barbares l'abandonnoient : s'il avoit l'art de solliciter les peuples, et de faire révolter les villes, il éprouvoit à son tour des perfidies de la part de ses capitaines, de ses enfans et de ses femmes; enfin, s'il eut affaire à des généraux romains malhabiles, on envoya contre lui, en divers temps, Sylla, Lucullus et Pompée.

Ce prince, après avoir battu les généraux romains, et fait la conquête de l'Asie, de la Macédoine et de la Grèce, ayant été vaincu à son tour par Sylla, réduit, par un traité, à ses anciennes limites, fatigué par les généraux romains, devenu encore une fois leur vainqueur et le conquérant de l'Asie, chassé par Lucullus, et suivi dans son propre pays, fut obligé de se retirer chez Tigrane; et, le voyant perdu sans ressource après sa défaite, ne comptant plus que sur lui-même, il se réfugia dans ses propres états, et s'y rétablit.

Pompée succéda à Lucullus, et Mithridate en fut accablé : il fuit de ses états, et passant l'Araxe, il marcha de péril en péril par le pays des Laziens; et, ramassant dans son chemin ce qu'il trouva de barbares, il parut dans le Bosphore, devant

son fils Maccharès, qui avoit fait sa paix avec les Romains '.

Dans l'abîme où il étoit, il forma le dessein de porter la guerre en Italie, et d'aller à Rome avec les mêmes nations qui l'asservirent quelques siècles après, et par le même chemin qu'elles tinrent".

Trahi par Pharnace, un autre de ses fils, et par une armée effrayée de la grandeur de ses entreprises et des hasards qu'il alloit chercher, il mourut en roi.

Ce fut alors que Pompée, dans la rapidité de ses victoires, acheva le pompeux ouvrage de la grandeur de Rome. Il unit au corps de son empire des pays infinis; ce qui servit plus au spectacle de la magnificence romaine qu'à sa vraie puissance; et, quoiqu'il parût par les écriteaux portés à son triomphe qu'il avoit augmenté le revenu du fisc de plus d'un tiers, le pouvoir n'augmenta pas, la liberté publique n'en fut que plus exposée 3.

' Mithridate l'avoit fait roi du Bosphore. Sur la nouvelle de l'arrivée de son père, il se donna la mort.

* Voyez Appien, de bello Mithridatico, cap. cix.

3 Voyez Plutarque, dans la Vie de Pompée; et Zonoras, liv. II.

CHAPITRE VIII.

Des divisions qui furent toujours dans la ville.

PENDANT que Rome conquéroit l'univers, il y avoit dans ses murailles une guerre cachée; c'étoient des feux comme ceux de ces volcans qui sortent sitôt que quelque matière vient en augmenter la fermentation.

Après l'expulsion des rois le gouvernement étoit devenu aristocratique : les familles patriciennes obtenoient seules toutes les magistratures, toutes les dignités ', et par conséquent tous les honneurs militaires et civils 2.

Les patriciens, voulant empêcher le retour des rois, cherchèrent à augmenter le mouvement qui étoit dans l'esprit du peuple : mais ils firent plus qu'ils ne voulurent à force de lui donner de la haine pour les rois, ils lui donnèrent un désir immodéré de la liberté. Comme l'autorité royale

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'Les patriciens avoient même en quelque façon un caractère sacré : il n'y avoit qu'eux qui pussent prendre les auspices. Voyez dans Tite-Live, liv. VI, chap. XL, XLI, la harangue d'Appius Claudius.

• Par exemple, il n'y avoit qu'eux qui pussent triompher, puisqu'il n'y avoit qu'eux qui pussent être consuls et commander les armées.

avoit passé tout entière entre les mains des consuls, le peuple sentit que cette liberté dont on vouloit lui donner tant d'amour, il ne l'avoit pas: il chercha donc à abaisser le consulat, à avoir des magistrats plébéiens, et à partager avec les nobles les magistratures curules. Les patriciens furent forcés de lui accorder tout ce qu'il demanda; car, dans une ville où la pauvreté étoit la vertu publique, où les richesses, cette voie sourde pour acquérir la puissance, étoient méprisées, la naissance et les dignités ne pouvoient pas donner de grands avantages. La puissance devoit donc revenir au plus grand nombre, et l'aristocratie se changer peu à peu en un état populaire.

Ceux qui obéissent à un roi sont moins tourmentés d'envie et de jalousie que ceux qui vivent dans une aristocratie héréditaire. Le prince est si loin de ses sujets qu'il n'en est presque pas vu; et il est si fort au-dessus d'eux, qu'ils ne peuvent imaginer aucun rapport qui puisse les choquer: mais les nobles qui gouvernent sont sous les yeux de tous, et ne sont pas si élevés que des comparaisons odieuses ne se fassent sans cesse : aussi a-t-on vu de tout temps, et le voit-on encore, le peuple détester les sénateurs. Les républiques, où la naissance ne donne aucune part au gouvernement, sont à cet égard les plus heureuses; car le peuple peut moins envier une autorité qu'il

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