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toires. Le plaisir de se venger et de ravager l'Étolie, la promesse qu'on lui diminueroit le tribut et qu'on lui laisseroit quelques villes, des jalousies qu'il eut d'Antiochus, enfin de petits motifs le déterminèrent; et n'osant concevoir la pensée de secouer le joug, il ne songea qu'à l'adoucir.

Antiochus jugea si mal des affaires, qu'il s'imagina que les Romains le laisseroient tranquille en Asie. Mais ils l'y suivirent: il fut vaincu encore; et dans sa consternation, il consentit au traité le plus infâme qu'un grand prince ait jamais fait.

Je ne sache rien de si magnanime que la résolution que prit un monarque qui a régné de nos jours', de s'ensevelir plutôt sous les débris du trône, que d'accepter des propositions qu'un roi ne doit pas entendre: il avoit l'âme trop fière pour descendre plus bas que ses malheurs ne l'avoient mis; et il savoit bien que le courage peut raffermir une couronne, et que l'infamie ne le fait jamais.

C'est une chose commune de voir des princes qui savent donner une bataille. Il y en a bien peu qui sachent faire une guerre, qui soient également capables de se servir de la fortune et de l'attendre, et qui, avec cette disposition d'esprit qui

' Louis XIV.

donne de la méfiance avant que d'entreprendre, aient celle de ne craindre plus rien après avoir entrepris.

Après l'abaissement d'Antiochus, il ne restoit plus que de petites puissances, si l'on en excepte l'Égypte, qui, par sa situation, sa fécondité, son commerce, le nombre de ses habitans, ses forces de mer et de terre, auroit pu être formidable e; mais la cruauté de ses rois, leur lâcheté, leur avarice, leur imbécillité, leurs affreuses voluptés, les rendirent si odieux à leurs sujets, qu'ils ne se soutinrent la plupart du temps que par la protec

tion des Romains.

C'étoit en quelque façon une loi fondamentalé de la couronne d'Égypte, que les sœurs succédoient avec les frères; et afin de maintenir l'unité dans le gouvernement, on marioit le frère avec la sœur. Or, il est difficile de rien imaginer de plus pernicieux dans la politique qu'un pareil ordre de succession: car tous les petits démêlés domestiques devenant des désordres dans l'état, celui des deux qui avoit le moindre chagrin soulevoit d'abord contre l'autre le peuple d'Alexandrie; populace immense toujours prête à se joindre au premier des rois qui vouloit l'agiter. De plus, les royaumes de Cyrène et de Chypre étant ordinairement entre les mains d'autres princes de cette maison, avec des droits réciproques sur le

tout, il arrivoit qu'il y avoit presque toujours des princes régnans et des prétendans à la couronne; que ces rois étoient sur un trône chancelant; et que, mal établis au dedans, ils étoient sans pouvoir au dehors.

Les forces des rois d'Égypte, comme celles des autres rois d'Asie, consistoient dans leurs auxiliaires grecs. Outre l'esprit de liberté, d'honneur et de gloire qui animoit les Grecs, ils s'occupoient sans cesse à toutes sortes d'exercices du corps : ils avoient dans leurs principales villes des jeux établis, où les vainqueurs obtenoient des couronnes aux yeux de toute la Grèce, ce qui donnoit une émulation générale. Or, dans un temps où l'on combattoit avec des armes dont le succès dépendoit de la force et de l'adresse de celui qui s'en servoit, on ne peut douter que des gens ainsi exercés n'eussent de grands avantages sur cette foule de barbares pris indifféremment, et menés sans choix à la guerre, comme les armées de Darius le firent bien voir.

Les Romains, pour priver les rois d'une telle milice, et leur ôter sans bruit leurs principales forces, firent deux choses: premièrement, ils établirent peu à peu, comme une maxime chez les Grecs, qu'ils ne pourroient avoir aucune alliance, accorder du secours, ou faire la guerre à qui que ce fût sans leur consentement; de plus, dans leurs

traités avec les rois, ils leur défendirent de faire aucunes levées chez les alliés des Romains; ce qui les réduisit à leurs troupes nationales '.

' Ils avoient déjà eu cette politique avec les Carthaginois, qu'ils obligèrent par le traité à ne plus se servir de troupes auxiliaires, comme on le voit dans un fragment de Dion.

CHAPITRE VI.

De la conduite que les Romains tinrent pour soumettre tous les peuples.

DANS le cours de tant de prospérités, où l'on se néglige pour l'ordinaire, le sénat agissoit toujours avec la même profondeur; et pendant que les armées consternoient tout, il tenoit à terre ceux qu'il trouvoit abattus.

Il s'érigea en tribunal qui jugea tous les peuples à la fin de chaque guerre, il décidoit des peines et des récompenses que chacun avoit méritées. Il ôtoit une partie du domaine du peuple vaincu pour la donner aux alliés; en quoi il faisoit deux choses: il attachoit à Rome des rois dont elle avoit peu à craindre et beaucoup à espérer, et il en affoiblissoit d'autres dont elle n'avoit rien à espérer et tout à craindre.

des

On se servoit des alliés pour faire la guerre à un ennemi; mais, d'abord, on détruisit les destructeurs. Philippe fut vaincu par le moyen Étoliens, qui furent anéantis d'abord après pour 'être joints à Antiochus. Antiochus fut vaincu par le secours des Rhodiens: mais après qu'on leur eut donné des récompenses éclatantes, on les humilia pour jamais, sous prétexte qu'ils avoient demandé qu'on fit la paix avec Persée.

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