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à cent, y pouvoit être aisément comme d'un à huit.

Les fondateurs des anciennes républiques avaient également partagé les terres cela seul faisoit un peuple puissant, c'est-à-dire une société bien réglée; cela faisoit aussi une bonne armée, chacun ayant un égal intérêt, et très-grand, à défendre sa patrie.

Quand les lois n'étoient plus rigidement observées, les choses revenoient au point où elles sont à présent parmi nous : l'avarice de quelques particuliers, et la prodigalité des autres, faisoient passer les fonds de terre dans peu de mains, et d'abord les arts s'introduisoient pour les besoins mutuels des riches et des pauvres. Cela faisoit qu'il n'y avoit presque plus de citoyens ni de soldats; car les fonds de terre, destinés auparavant à l'entretien de ces derniers, étoient employés à celui des esclaves et des artisans, instrumens du luxe des nouveaux possesseurs : sans quoi, l'état, qui, malgré son déréglement, doit subsister, auroit péri. Avant la corruption, les revenus primitifs de l'état étoient partagés entre les soldats, c'est-à-dire les laboureurs : lorsque la république étoit corrompue, ils passoient d'abord à des hommes riches, qui les rendoient aux esclaves et aux artisans, d'où on en retiroit, par le moyen des tributs, une partie pour l'entretien des soldats.

Or, ces sortes de gens n'étoient guère propres à la guerre : ils étoient lâches, et déjà corrompus par le luxe des villes, et souvent par leur art même; outre que, comme ils n'avoient point proprement de patrie, et qu'ils jouissoient de leur industrie partout, ils avoient peu à perdre ou à

conserver.

Dans un dénombrement de Rome fait quelque temps après l'expulsion des rois ', et dans celui que Démétrius de Phalère fit à Athènes 2, il se trouva à peu près le même nombre d'habitans: Rome en avoit quatre cent quarante mille, Athènes quatre cent trente et un mille. Mais ce dénombrement de Rome tombe dans un temps où elle étoit dans la force de son institution, et celui d'Athènes dans un temps où elle étoit entièrement corrompue. On trouva que le nombre des citoyens pubères faisoit à Rome le quart de ses habitans, et qu'il faisoit à Athènes un peu moins du vingtième : la puissance de Rome étoit donc à celle d'Athènes, dans ces divers temps, à peu près comme un quart est à un vingtième, c'est-àdire qu'elle étoit cinq fois plus grande.

́1C'est le dénombrement dont parle Denys d'Halicarnasse dans le livre IX, p. 402, et qui me paroît être le même que celui qu'il rapporte à la fin de son sixième livre, qui fut fait seize ans après l'expulsion des rois.

2

Ctésiclès, dans Athénée, liv. VI, chap. xIx.

Les rois Agis et Cléomènes voyant qu'au lieu de neuf mille citoyens qui étoient à Sparte du temps de Lycurgue', il n'y en avoit plus que sept cents, dont à peine cent possédoient des terres, et que tout le reste n'étoit qu'une populace sans courage, ils entreprirent de rétablir les lois à cet égard 3, et Lacédémone reprit sa première puissance, et redevint formidable à tous les Grecs.

Ce fut le partage égal des terres qui rendit Rome capable de sortir d'abord de son abaissement, et cela se sentit bien quand elle fut cor

rompue.

Elle étoit une petite république, lorsque les Latins ayant refusé le secours de troupes qu'ils étoient obligés de donner, on leva sur-le-champ dix légions dans la ville 4. « A peine à présent, dit << Tite-Live, Rome, que le monde entier ne peut «< contenir, en pourroit-elle faire autant si un en

'C'étoient des citoyens de la ville appelés proprement Spartiates. Lycurgue fit pour eux neuf mille parts; il en donna trente mille aux autres habitans. Voyez Plutarque, Vie de Lycurgue, tom. I, pag. 177, édition de Cussac.

2

⚫ Voyez Plutarque, Vie d'Agis et de Cléomène, tom. VII, pag. 365.

3

Voyez Plutarque, ibid., tom. VII, pag. 410, 411.

Tite-Live, première décade, liv. VII, chap. xxv. Ce fut quelque temps après la prise de Rome, sous le consulat de L. Furius Camillus, et de Ap. Claudius Crassus.

<< nemi paroissoit tout-à-coup devant ses murailles; « marque certaine que nous ne nous sommes point agrandis, et que nous n'avons fait qu'augmenter « le luxe et les richesses qui nous travaillent. »

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« Dites-moi, disoit Tibérius Gracchus aux no<< bles ', qui vaut mieux, un citoyen, ou un es<< clave perpétuel; un soldat, ou un homme inutile « à la guerre? Voulez-vous, pour avoir quelques << arpens de terre plus que les autres citoyens, << renoncer à l'espérance de la conquête du reste « du monde, ou vous mettre en danger de vous << voir enlever par les ennemis ces terres que vous

<< nous refusez? »

'Appien, de la guerre civile, liv. I, chap. x1.

CHAPITRE IV.

1. Des Gaulois. 2. De Pyrrhus. 3. Parallèle de Carthage et de Rome. 4. Guerre d'Annibal.

LES Romains eurent bien des guerres avec les Gaulois. L'amour de la gloire, le mépris de la mort, l'obstination pour vaincre, étoient les mêmes dans les deux peuples; mais les armes étoient différentes. Le bouclier des Gaulois étoit petit, et leur épée mauvaise : aussi furent-ils traités à peu près comme, dans les derniers siècles, les Mexicains l'ont été par les Espagnols. Et, ce qu'il y a de surprenant, c'est que ces peuples, que les Romains rencontrèrent dans presque tous les lieux et dans presque tous les temps, se laissèrent détruire les uns après les autres, sans jamais connoître, chercher, ni prévenir la cause de leurs malheurs.

Pyrrhus vint faire la guerre aux Romains dans le temps qu'ils étoient en état de lui résister et de s'instruire par ses victoires : il leur apprit à se retrancher, à choisir et à disposer un camp: il les accoutuma aux éléphans, et les prépara pour de plus grandes guerres.

La grandeur de Pyrrhus ne consistoit que dans

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