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se retira presque entière à Véies; le peuple se sauva dans les villes voisines, et l'incendie de la ville ne fut que l'incendie de quelques cabanes de pasteurs.

CHAPITRE II.

De l'art de la guerre chez les Romains.

LES Romains se destinant à la guerre, et la regardant comme le seul art, ils mirent tout leur esprit et toutes leurs pensées à le perfectionner. C'est sans doute un dieu, diț Végèce ', qui leur inspira la légion.

Ils jugèrent qu'il falloit donner aux soldats de la légion des armes offensives et défensives plus fortes et plus pesantes que celles de quelque autre peuple que ce fût 2.

Mais, comme il y a des choses à faire dans la guerre dont un corps pesant n'est pas capable, ils voulurent que la légion contînt dans son sein une troupe légère qui pût en sortir pour engager le combat, et, si la nécessité l'exigeoit, s'y retirer;

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' Livre II, chap. 1.

Voyez dans Polybe, et dans Josèphe, de Bello judaico, lib. III, cap. IV, quelles étoient les armes du soldat romain. Il y a peu de différence, dit ce dernier, entre les chevaux chargés et les soldats romains. «Ils portent, dit Cicéron, leur nourriture pour plus de quinze jours, tout ce qui est à leur usage, tout ce qu'il faut pour « se fortifier; et, à l'égard de leurs armes, ils n'en sont pas plus embarrassés que de leurs mains. » Tuscul., liv. II, page 200, édit. in-4°.

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qu'elle eût encore de la cavalerie, des hommes de trait et des frondeurs, pour poursuivre les fuyards et achever la victoire; qu'elle fût défendue par toutes sortes de machines de guerre qu'elle traînoit avec elle; que chaque fois elle se retranchât, et fût, comme dit Végèce ', une espèce de place de guerre.

Pour qu'ils pussent avoir des armes plus pesantes que celles des autres hommes, il falloit qu'ils se rendissent plus qu'hommes; c'est ce qu'ils firent par un travail continuel qui augmentoit leur force, et par des exercices qui leur donnoient de l'adresse, laquelle n'est autre chose qu'une juste dispensation des forces que l'on a.

Nous remarquons aujourd'hui que nos armées périssent beaucoup par le travail immodéré des soldats ; et cependant c'étoit par un travail immense que les Romains se conservoient. La raison en est, je crois, que leurs fatigues étoient continuelles ; au lieu que nos soldats passent sans cesse d'un travail extrême à une extrême oisiveté; ce qui est la chose du monde la plus propre à les faire périr.

Il faut que je rapporte ici ce que les auteurs nous disent de l'éducation des soldats' romains 3.

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' Liv. II, chap. xxv.

Surtout par le fouillement des terres.

3 Voy. Végèce, liv. I. Voy. dans Tite-Live, liv. XXVI, chap. LI,

On les accoutumoit à aller le pas militaire, c'està-dire à faire en cinq heures vingt milles et quelquefois vingt-quatre. Pendant ces marches on leur faisoit porter des poids de soixante livres. On les entretenoit dans l'habitude de courir et de sauter tout armés : ils prenoient dans leurs exercices des épées, des javelots, des flèches, d'une pesanteur double des armes ordinaires, et ces exercices étoient continuels 1.

Ce n'étoit pas seulement dans le camp qu'étoit l'école militaire; il y avoit dans la ville un lieu où les citoyens alloient s'exercer (c'étoit le champ de Mars). Après le travail, ils se jetoient dans le Tibre, pour s'entretenir dans l'habitude de nager, et nettoyer la poussière et la sueur 2.

Nous n'avons plus une juste idée des exercices du corps : un homme qui s'y applique trop nous paroît méprisable, par la raison que la plupart de ces exercices n'ont plus d'autre objet que les agrémens; au lieu que, chez les anciens, tout, jusqu'à la danse, faisoit partie de l'art militaire.

les exercices que Scipion l'Africain faisoit faire aux soldats après la prise de Carthage la neuve. Marius, malgré sa vieillesse, alloit tous les jours au champ de Mars. Pompée, à l'âge de cinquantehuit ans, alloit combattre tout armé avec les jeunes gens ; il montoit à cheval, couroit à bride abattue, et lançoit ses javelots. Plutarque, Vie de Marius et de Pompée.

Végèce, liv. I, chap. XI, XII, XIV.

* Idem, liv. I, chap. x.

Il est même arrivé, parmi nous, qu'une adresse trop recherchée dans l'usage des armes dont nous nous servons à la guerre est devenue ridicule, parce que, depuis l'introduction de la coutume des combats singuliers, l'escrime a été regardée comme la science des querelleurs ou des poltrons.

Ceux qui critiquent Homère de ce qu'il relève ordinairement dans ses héros la force, l'adresse ou l'agilité du corps, devroient trouver Salluste bien ridicule, qui loue Pompée « de ce qu'il cou« roit, sautoit, et portoit un fardeau aussi bien qu'homme de son temps 1. »

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Toutes les fois que les Romains se crurent en danger, ou qu'ils voulurent réparer quelque perte, ce fut une pratique constante chez eux d'affermir la discipline militaire. Ont-ils à faire la guerre aux Latins, peuples aussi aguerris qu'eux-mêmes; Manlius songe à augmenter la force du commandement, et fait mourir son fils, qui avoit vaincu sans son ordre. Sont-ils battus à Numance; Scipion Émilien les prive d'abord de tout ce qui les avoit amollis 2. Les légions romaines ont-elles passé

1 Cum alacribus saltu, cum velocibus cursu, cum validis vecte certabat. Fragment de Salluste rapporté par Végèce, liv. I, chap. IX.

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Il vendit toutes les bêtes de somme de l'armée, et fit porter à chaque soldat du blé pour trente jours, et sept pieux. Somm. de Florus, liv. LVII.

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