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en faire part aux enfans. Je certifie que nous n'avons ni argent comptant, ni trésor d'aucune espèce. En cela rien d'étonnant, si l'on veut considérer que nous n'avons eu d'autre revenu que mon salaire et quelques présens, et que cependant nous avons bâti, et porté les charges d'un grand ménage. Je regarde même comme une grâce particulière de Dieu, et je l'en remercie sans cesse, que nous ayons pu y suffire, et que nos dettes né soient pas plus considérables....

› Je prie aussi mon gracieux seigneur, le duc Jean-Fréderic, électeur, de vouloir bien confirmer et maintenir le présent acte, quoiqu'il ne soit pas fait dans la forme demandée par les gens de loi, étant suffisamment connu, et ayant assez de crédit et d'autorité, tant dans le ciel que sur la terre, pour qu'on puisse m'en croire plus qu'à aucun notaire. Car si à moi, pauvre, misérable et condamné pécheur par nature, Dieu, le Père de toute miséricorde, a daigné confier l'Evangile de son cher Fils; s'il m'a accordé et maintenu la grâce d'en être le héraut fidèle et sincère, en sorte qu'il se trouve dans le monde beaucoup de personnes qui l'ont reçu par moi et qui me regardent comme un docteur de vérité, en dépit de l'excommunication du pape et de la colère de l'empereur, des rois et des prêtres; -à plus forte raison doit-on me croire dans des choses moins importantes. J'espère donc qu'il suffira, pour établir la validité de cet acte, qu'on puisse dire : Voici la sérieuse et expresse volonté de docteur Martin Luther, notaire et témoin de Dieu en son Evangile, écrite de sa propre main et certifiée de son

sceau. >

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Nous voyons encore par ce document combien Luther avait peu profité de sa position pour s'enrichir. Sa modération à cet égard est remarquable. — Il écrivait à son prince, qui, apprenant sa pénurie, lui avait envoyé quelques habits: Grâce et paix en Jésus-Christ. Sérénissime seigneur, j'ai longtemps différé de remercier votre Grâce des habits qu'elle a bien voulu m'envoyer; je le fais par la présente de tout mon cœur. Cependant je prie humblement votre Grâce de ne pas en croire ceux qui me présentent comme dans le dénuement. Je ne suis déjà que trop riche selon ma conscience; il ne me convient pas, à moi, prédicateur, d'être dans l'abondance, je ne le souhaite

Son état d'abandon est exprimé d'une manière touchante dans une lettre qu'elle adressa au roi de Danemark. En 1552, la peste ayant éclaté à Wittemberg, elle voulut fuir avec ses enfans à Torgau; elle y mourut la même année des suites d'une chute de voiture, qu'elle avait faite dans le voyage.

ni ne le demande.- Les faveurs répétées de votre Grâce commencent vraiment à m'effrayer. Je n'aimerais pas à être de ceux à qui Jésus-Christ dit; Malheur à vous, riches, parce que vous avez déjà reçu votre consolation! Je ne voudrais pas non plus être à charge à votre Grâce, dont la bourse doit s'ouvrir sans cesse pour tant d'objets importans. C'était donc déjà trop de l'étoffe brune qu'elle m'a envoyée; mais, pour ne pas être ingrat, je veux aussi porter en son honneur l'habit noir, quoique trop précieux pour moi; si ce n'était un présent de votre Grâce électorale, je n'aurais jamais voulu porter un pareil habit. Je supplie en conséquence votre Grâce de vouloir bien dorénavant attendre que je prenne la liberté de demander quelque chose. Autrement cette prévenance de sa part m'ôterait le courage d'intercéder auprès d'elle pour d'autres qui sont bien plus dignes de sa faveur, Jésus-Christ récompensera votre âme généreuse : c'est la prière que je fais de tout mon cœur. Amen. » (Août 1529.)

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Au reste, il était aussi frugal que désintéressé. Mélanchton rapporte que, ‹ malgré sa haute stature et sa forte complexion, Luther usait d'une extrême tempérance dans le manger et dans le boire, et se contentait souvent, dans une journée entière, d'un peu de pain et d'un hareng pour toute nourriture. >

Vers la fin de sa vie, Luther prit en dégoût le séjour de Wittemberg. Il écrivit à sa femme, en juillet 1545, de Zeitz près Leipsig où il se trouvait : Grâce et paix, chère Catherine! Notre Jean te racontera comment nous sommes arrivés. Ernst de Schonfeld nous a très-bien reçus à Lobnitz, et notre ami Scherle encore mieux ici. Je voudrais bien m'arranger de manière à ne plus avoir besoin de retourner à Wittemberg. Mon cœur s'est refroidi pour cette ville, et je n'aime plus à y rester. Je voudrais que tu vendisses la petite maison, avec la cour et le jardin ; je rendrais à mon gracieux seigneur la grande maison dont il m'a fait présent, et nous nous établirions à Zeilsdorf. Avec ce que je reçois pour salaire, nous pourrions mettre notre terre en bon état; car je pense bien que mon seigneur ne refusera pas de me le continuer, du moins pour cette année, que je crois fermement devoir être la dernière de ma vie. Wittemberg est devenu une véritable Sodome, et je ne veux pas y retourner. Après demain je me rendrai à Mersebourg, où le comte George m'a vivement prié de venir. J'aimerais mieux passer ainsi ma vie sur les grandes routes, ou à mendier mon

pain, que de tourmenter mes pauvres derniers jours par la vue des scandales de Wittemberg, où toutes més peines et toutes mes sueurs sont perdues. Tu peux faire savoir ceci à Philippe et à Pomer, que je prie de bénir la ville en mon nom. Pour moi je ne peux plus y vivre. ›

Il ne fallut rien moins que les instantes prières de ses amis, de toute l'académie et de l'électeur, pour le faire renoncer à cette résolution. Il revint à Wittemberg le 18 août.

Cependant le terme de ses travaux approchait. Il disait, dans un de ses derniers sermons: Le monde est las de moi, et je suis las du monde; nous nous quitterons sans regret, comme un voyageur son hôtellerie pour continuer sa route. Je ne demande donc à Dieu qu'une heureuse fin. Telles étaient ses paroles au mois de janvier 1546, et le 15 février Dieu avait accompli son souhait.

Les comtes de Mansfeld, dont il était né le sujet, le prièrent de venir terminer, comme arbitre, des différens qui s'étaient élevés entre eux. Quelque répugnance qu'il eût à se mêler de débats de ce genre, il ne put refuser, et partit le 23 janvier pour Eisleben. Arrivé à Halle, il y fut retenu par le déborde ment de la Saal. Le 28 il poursuivit son voyage, quoique le fleuve fût encore rapide; et peu s'en fallut que la nacelle ne fût engloutie par les flots. Quel plaisir pour le Diable, mon cher Jonas, disait-il, si moi, docteur Martin, je me noyais ici avec vous et mes trois fils! - Il fut reçu dans sa ville natale avec de grands honneurs, et travailla sans relâche, mais non sans peine, à la réconciliation désirée.

Les lettres qu'il écrivit à sa femme de Eisleben, si près de sa fin, portent l'empreinte de la paix, de la confiance et même d'une gaîté enjouée :

A la gracieuse dame Catherine Luther, ma chère épouse, qui se tourmente beaucoup trop. Grâce et paix dans le Seigneur. Chère Catherine! tu devrais lire S. Jean et ce que le Catéchisme dit de la confiance que nous devons avoir en Dieu. Tu te tourmentes vraiment comme si Dieu n'était pas tout-puissant, et qu'il ne pût produire de nouveaux docteurs Martin par dizaines, si l'ancien se noyait dans la Saal ou périssait d'une autre manière. J'ai Quelqu'un qui a soin de moi, mieux que toi et les anges vous ne pourriez jamais faire. Il est assis à la droite du Père tout-puissant. Tranquillise-toi donc. Amen... ›

Trois jours après (le 10 février): A ma sainte et soigneuse

dame Catherine Luther de Zeilsdorf, à Wittemberg, ma chére et gracieuse ménagère. Grâce et paix en Christ, trèssainte dame. Nous vous sommes infiniment obligés des grands soucis qui vous empêchent de dormir. Car depuis que vous avez soin de nous, le feu a pensé nous consumer dans notre hôtellerie, ayant pris à deux pas de la porte de notre chambre; et hier, en vertu de vos soins, on n'en saurait douter, une pierre a failli nous tomber sur la tête et nous écraser comme dans une souricière. Je crains que si tu ne cesses de craindre, la terre ne finisse par nous engloutir, et que tous les élémens ne nous persécutent. Prie et abandonne les soins à Dieu, Il est dit: Décharge-toi de ton fardeau sur l'Eternel, et il aura soin de toi. Nous sommes, grâces à Dieu, sains et bien portans, sans avoir d'autre ennui que celui des affaires qui se traitent. Nous quitterions volontiers pour nous en retourner chez nous, si Dieu voulait nous le permettre. ›

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Sa tâche était presque terminée, lorsque, le 17 février, se trouvant incommodé, il ne put assister aux conférences. Il dîna encore avec ses amis; máis d'heure en heure l'oppression et la maladie augmentèrent. Il n'en était pas moins occupé des intérêts du règne de Dieu : « Priez tous, disait-il de son lit, < priez tous pour la cause du Seigneur et de son Evangile, priez que tout aille pour le mieux; car le concile de Trente et le pape sont dans une furieuse colère. › La moitié de la nuit se passa dans des alternatives de repos et de souffrance. Ses amis ne le quittèrent plus. A une heure du matin, il se réveilla dans de grandes angoisses: O mon Dieu, s'écriat-il, que je souffre! Ah! mon cher docteur, je prévois que je resterai à Eisleben où je suis né, et où j'ai été baptisé. Plusieurs fois il avait répété : « Je remets mon esprit entre tes mains; car tu m'as racheté, ó Dieu de vérité! › et toutes ses prières exprimaient une grande confiance au Sauveur. Vers trois heures, il tomba en défaillance. Les assistans n'ayant pu le rappeler à lui, le docteur Jonas lui demanda d'une voix forte: Révérend père, voulez-vous mourir en Christ et dans la doctrine que vous avez prêchée?, < Oui! répondit le mourant d'une voix distincte. Ce fut sa dernière parole; un quart d'heure après il rendit l'esprit.

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Aussitôt le deuil se répandit dans toute la contrée. Le surlendemain, son corps, placé dans un cercueil d'étain, fut transporté à Wittemberg; et ce voyage se fit au milieu d'un

Ville du Tyrol, où venait enfin de s'ouvrir un concile.

concours de peuples et d'un long cortége, attestant la grandeur de la perte que l'Allemagne venait de faire. Les restes de Luther furent déposés au pied de la chaire d'où si longtemps sa voix avait proclamé la justice qui est par la foi.

Quelques mois après, Charles-Quint entrait en vainqueur dans Wittemberg. Ses courtisans lui conseillaient de faire ouvrir la tombe de Luther et de jeter ses cendres au vent. Laissons les morts dormir en paix! › répondit le monarque. Tel fut l'homme que le martyr Jean Huss avait annoncé, lorsqu'en 1415 il avait dit : « Dans cent ans d'ici, il viendra un cygne1 qui vous chantera un autre chant; et ce cygne, vous ne pourrez le brûler. ›

CORRESPONDANCE.

Monsieur,

Genève, 4 décembre 1812.

Il s'est passé à Genève, la semaine dernière, un fait auquel il me semble convenable de donner une assez grande publicité. Si votre opinion est la même, vous ne refuserez pas, je l'espère, d'en dire quelques mots dans votre Feuille religieuse.

Un jeune curé, nommé Enjolras, a depuis six mois environ abjuré à Loriot les croyances romaines. Des lectures solitaires de la Bible sont la seule cause connue de sa conversion. Auparavant déjà, il s'était rendu suspect par les objections qu'il faisait lorsqu'il n'était que séminariste, et par l'esprit de ses prédications depuis qu'il était consacré. Mais malgré la surveillance, il réussit à venir à Genève, où il arriva sans rien apporter que l'amour de la vérité et d'assez beaux talens. Il voulait suivre les cours de théologie donnés dans notre aca→ démie, et y assistait en effet depuis quinze jours. Le curé de Genève a probablement été instruit de son arrivée et de son dessein. C'est lui sans doute, ou quelque autre personne (car ici on est réduit à des conjectures), qui en a informé deux curés, oncles de M. Enjolras. Ils sont venus à Genève, et, ne connaissant pas la demeure de leur neveu, l'ont attendu à la sortie des cours. Ils avaient pris des habits laïcs. D'abord ils lui adressèrent des paroles qui n'avaient rien d'hostile, et réussirent à l'emmener à la cure. Là ils ont sans doute changé de ton, et ont si bien su l'intimider qu'il ne leur a pas opposé 4 Allusion au nom de Huss, qui signifie une oie.

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