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de jour, ils se faisaient précéder de leurs guides échelonnés à la suite les uns des autres; et les fugitifs marchaient après, deux ou trois ensemble, afin d'éloigner tout soupçon. Si le premier guide rencontrait quelque habitant du pays, il criait aussitôt « en avant ›, mot convenu avec la troupe; les guides se transmettaient le signal de l'un à l'autre, et les chrétiens se dispersaient de gauche et de droite, jusqu'à ce qu'un nouveau signal leur permit d'avancer. Quelquefois la fatigue les forçait de se reposer une nuit ; ils la passaient alors à dormir. en plein air, exposés au froid et à l'humidité, à moins qu'ils ne découvrissent quelque masure abandonnée, ou que leurs guides ne les introduisissent dans un village après s'être assurés que tout y était plongé dans le sommeil.

Mais bientôt un des premiers guides, prétextant une indisposition, resta en arrière, avec la promesse de rejoindre les chrétiens dans deux ou trois jours. Les soupçons qu'ils en concurent, se renforcèrent encore, lorsqu'ils découvrirent que l'autre guide ne les conduisait plus dans la direction. convenue. Un jour qu'il était allé acheter du riz dans un village voisin, il se fit longtemps attendre. Il reparut enfin sur le sommet d'un rocher voisin et leur cria : « J'ai regret de vous le dire, mais il vous faut retourner sur vos pas; je ne puis • en vérité plus vous conduire sur cette route, non je ne le ⚫ puis pas; il faut retourner en arrière. Il leur annonça dans peu de jours la rencontre d'un ami, et disparut. Les chrétiens ne doutèrent plus de la trahison; mais ne pouvant se diriger seuls vers la côte, ils se laissèrent conduire où l'on voulut. Ils rencontrèrent bientôt l'ami annoncé, qui chercha à dissiper leurs craintes par de belles promesses et par ses protestations d'attachement aux Blancs (les Missionnaires). Mais il les abandonna aussi après quelques journées de route. Les autres guides, les retinrent, tout en paraissant avancer, dans le voisinage d'une ville nommée Béforona. Un jour, enfin, ils se virent tout à coup environnés d'une troupe d'hommes ayant celui qui les trahissait à leur tête, et voulant les contraindre de se rendre auprès du magistrat. Mais cette mesure n'était point nécessaire: ils n'avaient jamais résisté à l'autorité, et n'y songeaient pas non plus dans cette circonstance. Ils se laissèrent conduire comme des brebis muettes à la boucherie; et indignement trompés par les hommes, ils dirent, dans un profond sentiment d'abandon au Seigneur : Que ta volonté soit faite et non la nôtre ! Le guide leur dit qu'il ne s'agissait que

de répondre à quelques questions, après quoi on les laisserait aller. Ils le chargèrent d'exposer au magistrat, qu'ils se rendaient de Tananarivo à Tamatavé, dans l'intention, les uns de se livrer au commerce, d'autres de gagner leur vie par le travail de leurs mains, et les plus jeunes de visiter quelques amis. - Ils brûlèrent ensuite les lettres de recommandation qui auraient pu compromettre leurs frères; puis ils se jetèrent à genoux et dans leur fervente prière, ils redirent encore du fond du cœur: Ta volonté soit faite!-Le guide revint leur annoncer qu'ils devaient se rendre en personne devant le magistrat.

Là ils furent interrogés à plusieurs reprises et répondirent dans le sens de leur première déclaration. Elle ne renfermait rien que de vrai, sans doute; mais elle n'exprimait pas toute la vérité. Malgré leur résignation sincère, ils étaient évidemment sous l'empire de la crainte qui les empêchait de professer ouvertement leur foi. Honteux, enfin, de ne pas avoir encore rendu témoignage au Sauveur, ils chargèrent l'un d'eux, au prochain interrogatoire, de répondre au nom de tons de la manière suivante: Puisque vous nous interrogez si souvent, → nous voulons tout vous dire. Nous ne sommes ni des voleurs › ni des vagabonds; nous sommes des gens de prière, et si cela › suffit pour nous rendre coupables aux yeux de la reine, nous ⚫ sommes prêts à subir le châtiment qu'il lui plaira de nous infliger. Voilà pourquoi nous avons quitté la capitale. Est-ce là votre dernière réponse à la vie et à la mort? leur demanda-t-on. -‹ Oui!» › ‹ Qui vous a engagés à fuir? →‹ Personne; nous avons pris ce parti de notre plein gré. » Après cette déclaration, les témoins de Jésus-Christ sentirent leur cœur allégé d'un pesant fardeau. Ils goûtèrent une inexprimable paix à la pensée qu'ils avaient confessé le Seigneur, et ils se dirent entre eux, en faisant allusion au Pèlerinage du chrétien, par Bunyan : « Nous voici dans une position semblable à celle de Chrétien et de Fidèle dans la ville › de la foire de la vanité. En effet, la plupart étaient, comme Fidèle, à la veille du martyre.

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Cette conduite franche leur gagna le cœur de bien des habitans de la ville, qui leur apportaient du riz en abondance. Ils n'étaient point encore dans les chaînes, mais simplement gardés par des soldats. - Huit jours plus tard, ils apprirent que le missionnaire Jones et M. Campbell étaient arrivés

Ce fidèle serviteur a été dès lors recueilli dans la joie de son Maître. Il quitta Madagascar en septembre pour retourner à l'ile Maurice, où il

dans la ville pour tenter de les sauver. Mais on les avait éconduits en leur disant que les prisonniers étaient des voleurs et non les personnes qu'ils cherchaient. Ils poursuivirent donc leur voyage dans l'espérance de trouver plus loin les chrétiens prisonniers, et ne les virent plus que la veille de leur martyre. En attendant, la présence de ces deux amis à Béforona ne servit qu'à rendre le sort des captifs plus sévère, par suite des craintes qu'elle inspira aux autorités. D'autres démarches furent inutilement tentées de Tamatavé pour leur délivrance. Ils furent donc acheminés vers la capitale, où ils devaient être jugés.

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Sur la route, ils étaient ordinairement logés dans trois maisons, dont on faisait sortir les habitans, et que l'on munissait d'une garde; car l'autorité les tenait avec grand soin hors de toute communication avec les gens du pays, afin d'éviter de leur part tout acte de prosélytisme. Un soir, au moment où une famille quittait sa demeure pour faire place aux voyageurs, une des femmes captives sut se mêler à elle en portant sur sa tête une corbeille pleine d'effets, et put échapper ainsi à la vigilance des gardes. Une fois libre, elle aperçut une femme de sa connaissance et courut à elle, la suppliant de la recevoir. Malgré le danger, cette amie ne put se résoudre à la perdre; elle l'accueillit et la cacha dans sa maison, après quoi elle se tint négligemment devant sa porte. Les gardes qui furent envoyés à sa poursuite, passèrent sans défiance et cherchèrent dans tous les villages voisins. La nuit suivante, elle se rendit chez un disciple, qui l'accueillit au nom du Seigneur, bien qu'il ne la connût personnellement pas, et elle goûta avec ces amis toutes les douceurs de la communion fraternelle, jusqu'à ce que le danger fût passé.

La captivité des autres chrétiens n'en devint que plus dure. Ils furent sévèrement gardés et chargés de pesantes chaînes qui déchiraient leur chair. Arrivés dans la capitale, ils subirent de nouveaux interrogatoires où rien ne fut épargné pour leur arracher un désaveu de leur foi ou le secret de leurs complices. On les tint rigoureusement séparés les uns des autres; mais, privés de leurs encouragement mutuels et interrogés isolément, ils n'en demeurèrent pas moins, même les deux plus jeunes, des enfans sans expérience, fermes dans

arriva déjà malade, et après sept mois de souffrance, il s'endormit au Seigneur le 1 mai 1841. Ses restes reposent à Port-Louis, auprès de ceux de Mme Newel, et sa veuve affligée, mais non comme ceux qui sont sans espérance, est revenue en Angleterre peu de temps après.

leur profession et inébranlab.es à taire la part que M. Griffith avait pu avoir à leur fuite. Ce qui les affligeait le plus, c'étaient les mépris de la reine pour leur Dieu. Pourquoi votre Dieu › ne vous délivre-t-il pas de mes mains? leur disait-elle. Je puis vous ôter la vie, et je puis aussi vous la laisser; mais > lui, que peut-il faire pour vous? Enfin, après des souffrances inexprimables, leur sentence fut prononcée. Cinq furent condamnés à un perpétuel esclavage; M. Griffith racheta les deux plus jeunes et les rendit à leurs parens. Les dix autres furent condamnés à mort; mais neuf seulement la subirent 1. Nous parlerons du dixième plus tard.

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Le 9 juillet, jour fixé pour leur supplice, ils sortirent de leurs cachots, exténués de faim, pâles et incapables de marcher. Mais leurs visages brillaient d'une clarté céleste; et si leur corps était brisé, leurs cœurs battaient d'espérance et de joie l'heure de la délivrance allait sonner. Un messager de la reine vint proclamer la sentence en ces mots : Vous avez voulu abandonner le pays, ainsi je vous ábandonne : vous › mourrez. › Le peuple les abreuvait de moqueries semblables à celles des Juifs lors de la crucifixion du Sauveur. 2 Pour toute réponse les chrétiens levaient les yeux vers Celui dont ils allaient bientôt contempler la gloire. Dès le matin le bruit du canon avait annoncé le supplice, et ce signal se renouvela tout le jour. Dans l'après midi, ils furent dépouillés de tout vêtement, liés chacun à un poteau, et transportés ainsi au lieu où ils devaient recevoir la couronne du martyre. Ils y arrivèrent à quatre heures. Ils se mirent à genoux, et bientôt après, un dernier coup s'étant fait entendre, les bourreaux procédèrent à l'exécution, et les percèrent l'un après l'autre de leurs lances. Il est remarquable que le canon qui donna le dernier signal sauta en éclats et blessa grièvement les soldats, ce qui parut d'un mauvais augure au peuple. Parmi les martyrs se trouvait Raminahy, la femme de David qui était alors en Angleterre. On entendait, parmi la foule, des gens émus de

La vignette ci-contre représente le supplice d'un des martyrs de Madagascar, dont le corps fut abandonné aux chiens après avoir été percé de lances. Cette manière d'ôter la vie a été appliquée à tous les martyrs, comme étant le supplice en usage dans l'ile; mais deux autres eurent la tête coupée après leur mort, el portée en triomphe sur des pieux ; quelques-uns purent recevoir la sépulture par les soins de leurs familles.

Matth. XXVII, 43. En général on est frappé en lisant cette histoire, du grand nombre de détails qui rappellent des circonstances analogues dans la vie du Sauveur ou de ses apôtres.

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