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pouvais plus m'en détacher. Quels ravissemens de joie j'éprou vais, en me promenant dans le jardin, en cueillant mes fleurs de mauves. Je n'étais plus sur la terre, j'étais avec mon Sauveur dans le ciel, je répétais sans cesse : Que je suis heureuse! que je suis beureuse! Un jour que je faisais ces exclamations devant ma tante: Comment! tu es heureuse? me dit-elle. On te croit pourtant si malheureuse, vu ton état de maladie, qui va en croissant!

Effectivement, à dater de cette époque, il s'opéra chez cette chère enfant un développement religieux et moral à peine croyable. La Bible à la main, le Saint-Esprit dans le cœur, elle croissait et désirait toujours croître dans l'amour de Jésus. Voilà l'unique source où elle puisait la sagesse, l'intelligence, le renoncement, je dirai plutôt l'abandon de toutes les choses de ce monde, l'abnégation d'elle-même. La volonté de son Dieu était tout pour elle. Combien de fois n'ai-je pas eu l'occasion d'admirer en elle cette véritable foi de petit enfant, qui s'appuyait uniquement, invariablement sur le sacrifice de Christ, et qui s'unissait chez elle à cette conscience humble, délicate, qui l'attachait à la pratique de tous ses devoirs. Elle ne pouvait pas assez répéter qu'il fallait se reconnaître pécheur, pécheur perdu, pour recevoir Jésus-Christ dans le cœur. Quand je prie, disait-elle, je me vois petite, toute petite, aux pieds de mon Sauveur. Il est toujours là, placé entre la sainteté de Dieu et la faiblesse de ma misérablé nature. Avec quelle douce confiance je me rapproche alors de Dieu! Souvent elle se plaisait à récapituler ses péchés d'enfant, pour montrer que, sans le changement du cœur, nul ne peut voir le royaume des cieux, même les plus jeunes. Celui qu'on croit le plus saint sur la terre, disait-elle, est le premier des pécheurs à ses propres yeux et à ceux de Dieu... Elle trouvait un bonheur inexprimable à dire en elle-même : Mon Sauveur! Il ne s'agit pas, ajoutait-elle, de l'apdeler le Sauveur; mais il faut pouvoir se l'appliquer à soimême, sentir qu'on est à lui, qu'il est à nous individuellement, et se dire: Si j'avais été toute seule dans ce monde, il aurait également fallu qu'il fut venu mourir sur la croix pour me

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Au commencement de novembre, elle quitta la campagne. et revint avec nous. Ce fut à cette époque qu'elle me dit : <J'ai sondé mon coeur dans ses plus secrets replis, pour savoir s'il y a encore quelque coin par lequel il tienne au monde;.

mais je n'y ai rien trouvé. Je serai heureuse de déloger quand le Seigneur voudrá. »

Quoiqu'elle ait été très souffrante tout l'hiver, qu'elle n'eût point de repos la nuit à cause de sa toux violente et de sa main toujours malade, néanmoins elle se trouvait constamment heureuse; elle était toujours dans un calme et une paix admirables: jamais une impatience; jamais un nuage sur son front; tout allait bien, tout était bon. Sans exigence aucune, il fallait lutter avec elle pour lui faire accepter quelques fantaisies ou quelques soins qu'elle appelait superflus. Souvent on faisait devant elle l'éloge de sa patience; alors elle se hâtait de dire : Si Dieu ne m'avait pas changé le cœur, je n'aurais point de patience; je n'ai que celle qu'il me donne. Maman peut dire que, l'année passée, n'ayant encore que mal au bras, je me suis agitée, impatientée jusqu'à pleurer. Que ne ferais-je donc pas maintenant qu'il y a en moi complication de souffrances, si Dieu ne m'avait pas donné un cœur nouveau? › Souvent on conseillait différens remèdes qu'on disait immanquables, qui avaient guéri tant de personnes de la même maladie, etc. Elle répondait invariablement : « J'ai un médecin; j'observerai tout ce qu'il me prescrira, afin qu'on n'ait rien à se reprocher. Si Dieu veut me guérir, il est puissant pour le faire par ce moyen; sinon, que sa volonté soit faite. ›

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Au commencement de mars, elle me dit : « Il y aura trois ans le 15 de ce mois, que papa est mort. Le 17, il y aura sept ans que ma sœur n'est plus. J'ai toujours espéré que le Seigneur viendrait me chercher dans cette première quinzaine. Dès le commencement de ma maladie, j'ai eu le pressentiment que je ne guérirais pas. › Elle ajouta plusieurs choses qui montraient combien elle était joyeuse de quitter ce monde pour s'en aller vers son Dieu. Elle disait : « Si des mondains m'entendaient, ils croiraient que c'est parce que je suis fatiguée de souffrir, que je suis mécontente de mon sort, ou que je n'affectionne pas mes parens. Mais ce n'est pas cela. Je suis très heureuse, très satisfaite de tout ce qui m'entoure, de tout ce qu'on fait pour moi; je vous aime de toute mon âme. Mais je languis d'être avec mon Sauveur. ›

Cette chère enfant priait beaucoup pour la conversion de toute sa famille. Un jour qu'un des siens était venu pour la voir, elle lui dit, avec un calme et une sérénité que rien ne pouvait altérer : • Considère-moi comme un avertissement que le Seigneur t'envoie. Il y a bien peu de temps que je jouis

sais d'une pleine santé, de toute la vigueur de la jeunesse ; je ne suis pas bien vieille, puisque je n'ai pas seize ans. Eh bien! tu vois que je m'en vais tous les jours; encore très peu de temps, je ne serai plus. Si maintenant je ne possédais pas mon Sauveur, crois-tu que je pourrais penser à la mort, non-seulement sans crainte, mais avec joie? et crois-tu que je pourrais maintenant travailler à mon salut? Hélas non! je suis trop faible. Ainsi, mon pauvre ami, convertis-toi pendant que tu es jeune. Plus tu renverras, moins tu seras disposé à le faire. On ne sait pas ce qui peut arriver; tu peux être surpris par la mort au moment où tu y songeras le moins, et si le Seigneur t'appelait à paraître devant lui dans l'état où tu es, où iraistu? Tu le sais il ne faut pas s'abuser; il n'y a que deux chemins, un qui mène au bonheur éternel, l'autre à la condamnation éternelle; le ciel ou l'enfer. La voie du salut est lente et difficile, au lieu que quand on commence à rétrograder, la pente est si rapide qu'on est bientôt dans l'abîme. Encore une fois, convertis-toi avant qu'il soit trop tard. — Ce jeune homme était très ému; il pleurait, et moi aussi. Elle seule était restée impassible du commencement à la fin de son exhortation, comme dans toutes celles qui ont suivi et précédé celle-ci.

Le surlendemain, avec une voix lente et qu'on pouvait à peine entendre, elle lui disait encore: Combien, maintenant, je sens la vérité de ce beau passage: Souviens-toi de ton Créateur pendant les jours de ta jeunesse, avant que les jours mauvais viennent, où tu diras: Je n'y prends point de plaisir. Si je ne m'étais pas souvenue de mon Créateur avant d'être si faible, si souffrante, je n'y trouverais maintenant point de plaisir. Oh! si les gens du monde savaient le bonheur qu'on trouve à lui appartenir, la paix et la joie qu'on goûte en le servant, ils se convertiraient tous à lui.

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Dans ses plus grands accès de douleur, elle s'écriait : Sans mon Sauveur, jamais je ne pourrais supporter de tels maux. Si, l'année passée, on m'eût prédit que je passerais par là, j'aurais cru que je ne pourrais point l'endurer. D'autres fois, elle disait: Si je n'avais pas mon Sauveur, que deviendraisje maintenant? › Puis elle ajoutait : « Il me semble que, quand mon âme se sera élancée à ses pieds, je le servirai avec un bonheur inexprimable dans la pensée d'être à jamais près de lui, à l'abri du péché et de toutes les misères de ce monde. Je serai tout de bon arrivée au port. › Un jour qu'elle

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m'avait paru très angoissée de corps, elle me dit, pendant que je la couchais : « Que j'ai été heureuse aujourd'hui ! J'ai joui d'une grande paix. J'avoue que je pleurai de joie et de surprise en entendant de telles paroles, après une journée si pénible en apparence.

On pourrait croire que cette âme si unie à son Sauveur n'avait pas de combats. Toutefois j'avais remarqué, qu'un jour elle semblait plus recueillie et plus absorbée que de coutume. Je crus bien faire de la laisser à ses méditations. Le lendemain matin elle me dit: Quelle journée j'ai passée hier! Mon cœur était froid; mon Sauveur semblait avoir caché sa face de moi; je le cherchais partout, au ciel, sur la terre, sur la croix; je pensais à son sacrifice pour moi, à ce que j'étais, pauvre pécheresse. Je ne le trouvais plus; rien ne pouvait m'ôter cette sécheresse. Comme j'étais malheureuse! Si cet état eût du se prolonger jusqu'à aujourd'hui, je ne sais pas ce que je serais devenue. Tout le jour j'ai crié : Seigneur, aie pitié de moi! Seigneur, aide-moi, ne m'abandonne pas, toi qui as dit Invoque-moi au jour de ta détresse; je t'en délivrerai et tu me glorifieras; délivre-moi, car je t'invoque ! Après que j'ai été couchée, j'ai continué à crier à Dieu, à réciter des passages dont je me souvenais. Tout à coup mon Sauveur est revenu; j'ai senti un tel transport de joie dans mon cœur, que, si je l'eusse vu des yeux de la chair, je n'en eusse pas éprouvé davantage. Je me suis écriée : Seigneur, combien je t'aime!!

Deux jours après, elle me disait : Depuis que j'ai eu ce terrible combat, où mon Sauveur semblait s'être éloigné de moi, je me sens plus d'amour pour lui. Tout le jour je répète en moi-même : Mon bon Sauveur ! mon cher Sauveur ! Mais il me semble que c'est pourtant trop familier. ».

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Le 7 mars, nous parlions ensemble de la Cène. Elle me dit; « J'ai souvent désiré de la prendre avant que de mourir. Je voudrais faire une confession de mes péchés et de ma foi en Celui qui les a expiés; car il faut se reconnaître pécheur, pécheur perdu, pour recevoir Jésus-Christ dans son cœur. Vous savez qu'elle la prit le mercredi suivant, à midi. Vous vous rappelez sans doute que nous étions tous très émus, qu'elle seule.conservait un calme imperturbable. Toute sa personne portait l'empreinte d'une âme qui jouissait déjà du bonheur céleste, que rien de terrestre ne pouvait plus émouvoir. L'après midi elle me dit : « Maman a été bien émue pen

dant la cérémonie, elle a beaucoup pleuré; moi, j'étais sans aucune émotion, j'éprouvais une paix indéfinissable, et lorsque j'ai pris ce pain, ce vin, symboles de l'amour de Jésus, il me semblait que mon cœur reposait sur son cœur. › Ceci ne nous rappelle-t-il pas Jean, le disciple bien-aimé du Seigneur, penché sur son sein pendant le repas de la Cène? - En lui présentant le pain, vous lui aviez dit ces paroles : Voyez quel amour le Père nous a témoigné, que nous soyons appelés enfans de Dieu! Elle répéta plusieurs fois ce passage avec conviction, avec onction, d'une voix faible, lente. Nous convinmes qu'on le graverait sur sa tombe. Quinze jours après, à peu près à la même beure, vous prononciez son oraison funèbre, sur les mêmes paroles, en face de son cercueil ouvert.

Le 14 mars était le jour de sa fête. Plusieurs amies se firent un plaisir de lui faire quelques légers cadeaux. Ce sont de jolies attentions, dit-elle; mais j'espère que mon Sauveur me fêtera aussi aujourd'hui par sa douce présence. C'est ainsi que rien ne pouvait la distraire lui. Elle y revenait d sans cesse, lui rapportant toutes choses. Voyant l'intérêt général qu'elle inspirait, elle disait : « Que le Seigneur est bon ! il incline tous les cœurs en ma faveur. - Souffrait-elle beaucoup? aussitôt elle voyait son Sauveur sur la croix. Ses angoisses ne lui paraissaient rien en comparaison de celles du Saint et du Juste qui avait souffert non pour lui, mais pour elle. C'est ainsi qu'une nuit qu'elle était dans une fièvre ardente, et que le médecin avait ordonné qu'on lui donnât très souvent à boire de l'orgeat pour la rafraîchir, elle disait: Le Seigneur sur la croix avait aussi une fièvre brûlante; il demanda à boire, et on lui donna du vinaigre, tandis que ma mère est là, qui me donne de l'orgeat.

Son désir de déloger pour étre avec Christ était si grand, elle avait une si ferme espérance du bonheur et du repos qu'elle allait trouver auprès de lui, qu'il lui semblait que nous devions partager sa joie; et elle s'étonnait de nous voir pleurer. «Il est bien triste, disait-elle, que je ne puisse pas parler de ma mort, sans que vous vous attristiez ious, quoique vous sachiez que je vais être parfaitement heureuse. Encore que ses souffrances redoublassent sur la fin de sa vie, néanmoins jamais une plainte n'est sortie de sa bouche, bien au contraire. Un jour, par exemple, que vous étiez là, elle eut une oppression si forte qu'elle ne pouvait presque plus respirer ; et plusieurs fois, vous lui dites:

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