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et les sculptures que M. Le Blant explique avec la sûreté de l'érudition, enrichissant son commentaire de remarques instructives et souvent importantes pour l'histoire de l'art chrétien. Il fait observer, par exemple (p. 156), que, dans les peintures et bas-reliefs qui datent des premiers siècles de l'Eglise, au milieu des reproductions si multipliées de tous les actes de la vie de Notre-Seigneur, les scènes de la Passion sont écartées avec un soin remarquable; elles s'arrêtent ordinairement à la comparution devant Pilate; on reconnaît l'intention de dérober aux yeux des fidèles tout ce qui pouvait rappeler les souffrances du Sauveur. Dans les bas-reliefs mêmes où l'on a voulu figurer la résurrection, le sujet s'enveloppe d'une forme mystique (p. 303). On n'y voit point le Christ à deminu, les pieds, les mains, le côté, percés par les clous et la lance, ainsi que l'art moderne nous l'a si souvent retracé; entre les deux soldats gardiens du tombeau s'élève la croix surmontée d'une couronne à lemnisques flottants, et dans laquelle est inscrit le monogramme cruciforme †. La représentation réelle a disparu sous le symbole.

Une autre remarque que l'on doit également aux recherches savantes de M. Le Blant, c'est que le mot IXOYC et la figure du poisson, si souvent sculptés sur les marbres de l'Italie, n'accompagnent que rarement les inscriptions chrétiennes de la Gaule (p. 370). On y rencontre bien plus fréquemment les deux colombes, tenant dans leur bec le rameau d'olivier, signe de la paix, ou le grain de blé, symbole de la nourriture céleste. Mais l'ornement qui décore presque toutes les tombes ce sont les monogrammes et, souvent inscrits dans un cercle ou dans une couronne, signes révérés, qui, comme l'auteur le prouve par de nombreux exemples (p. 465), étaient également tracés sur des objets de toute sorte, non consacrés au culte, sur des anneaux, des colliers, des tuiles, des mesures de liquides; la croix, symbole de la rédemption, figure aussi sur des poids, des vases, des meubles, et jusque sur une table de jeu. D'autres monuments, dessinés par M. Le Blant, présentent le bon pasteur, Daniel debout entre deux lions, un arbre flétri et desséché à côté d'un arbre verdoyant et plein de vigueur, indiquant la mort terrestre et l'immortalité promise. La même idée est exprimée ailleurs par un cyprès ou par Jonas endormi sous le lierre, images de la mort et du sommeil, formant contraste avec le disque du soleil, la colombe sur l'arche et Jonas rejeté par le monstre, c'est-à-dire avec la lumière, la régénération et la vie. Enfin, sur un monument sépulcral trouvé à Trèves (p. 402), on aperçoit deux chevaux avec des palmes, allusion aux textes

sacrés qui comparent la vie chrétienne à une lutte, à une course du cirque, où la couronne attend le vainqueur.

En terminant ici l'extrait fort incomplet du volume, objet de cette analyse, nous engageons M. Le Blant à persévérer dans les savantes et consciencieuses études auxquelles il s'est livré avec tant de succès. Le temps n'est plus où, pour beaucoup de personnes, c'était une espèce de mérite que de faire peu de cas de pareils travaux; c'était même un mérite que bien des gens se contentaient d'avoir. Aujourd'hui des historiens illustres, des philologues éminents, des maîtres dans la science linguistique, ont montré de quelle manière il faut approfondir un passé qui nous a faits ce que nous sommes. Aucune voix ne s'élèvera pour contester la palme du génie aux écrivains latins du siècle d'Auguste; mais leurs œuvres ont été l'objet de tant de méditations, d'observations et d'analyses, que les efforts de la philologie semblent n'avoir plus rien à y ajouter, et que de nouveaux commentaires sur ces auteurs seraient peut-être plus louables que nécessaires. L'épigraphie, au contraire, fournit sans cesse une foule de faits nouveaux, et les inscriptions de la décadence, aussi bien que celles du haut empire, nous représentent au vif le caractère intime des individus, la situation morale des peuples; elles jettent une nouvelle lumière sur beaucoup de points d'histoire et d'archéologie, quand on sait faire de ce genre de monuments l'usage que M. Le Blant en a fait, quand, familiarisé avec les procédés sévères de la critique, on joint à une instruction variée et positive des notions saines et justes sur les grands événements intellectuels qui ont transformé le monde. Nous faisons donc des vœux pour que ce premier volume, que l'auteur vient d'offrir au public, soit bientôt suivi d'un second, et que les fonctions d'une nature bien diverse. dont notre savant épigraphiste est chargé lui permettent de terminer promptement un travail si heureusement commencé. Nous l'espérons, car le temps bien ménagé est bien plus long que n'imaginent ceux qui ne savent que le perdre; et ce second volume, contenant les inscriptions chrétiennes de la Gaule Narbonnaise, de l'Aquitaine et de la Novempopulanie, complétera un ouvrage riche déjà en recherches curieuses et digne de l'attention de tous ceux qui s'intéressent à l'épigraphie, à la linguistique et aux antiquités de la France.

HASE.

ÉTUDES SUR LA GRAMMAIRE VÉDIQUE, Prátiçákhya du Rig-Véda, les deux premières lectures ou chapitres I à XII, par M. Ad. Regnier, membre de l'Institut (Extrait du Journal asiatique, 1856 et 1857). Paris, Imprimerie impériale, 1857, in-8°, 315 et 145 pages. RIG-VEDA, oder die heiligen Lieder der Brahmanen, herausgegeben von Max-Müller, mit einer Einleitung, Text und Uebersetzung des Prátiçákhya oder der ältesten Phonetik und Grammatik enthaltend, Erste Lieferung. Leipsick, F. A. Brockhaus, 1856, gr. in-4o, LXXII-100; Zweite Lieferung, 1857, LXXIII à CXXVIII-101 à 200. Le Rig-Véda, ou les Chants sacrés des brahmanes, publiés par M. Max-Müller, avec une introduction, renfermant le texte et la traduction du Prátiçákhya, ou de la phonétique et de la grammaire les plus anciennes, 1re et 2o livraison.

DAS VADJASENEYI PRATICAKHYAM, von Dr Albrecht Weber, indische Studien, vierter Band, Erstes Heft. Le Prátiçákhya du YadjourVéda, , par le Docteur Albrecht Weber. Berlin, 1857, Etudes indiennes, IVe volume, ier cahier.

TRAITÉ DE LA FORMATION DES MOTS DANS LA LANGUE GRECQUE, avec des notions comparatives sur la dérivation et la composition en sanscrit, en latin et dans les idiomes germaniques, par Ad. Regnier. Paris, 1855, in-8°, vi-404 pages.

APOLLONIUS DYSCOLE, Essai sur l'histoire des théories grammaticales dans l'antiquité, par E. Egger. Paris, 1854, in-8°, 11-349 pages.

TROISIÈME ARTICLE1.

Pour mieux comprendre les travaux et le mérite des écoles védiques, nous nous bornerons à l'analyse d'un seul des quatre Prâtiçâkhyas. Nous choisirons naturellement le Prâtiçâkhya du Ṛig-Véda, qui est le plus ancien de tous 2. C'est, en outre, celui qui nous est actuellement le mieux

1

Voyez, pour le premier article, le cahier de décembre 1857, page 739; et, pour le deuxième, celui de janvier 1858, page 29. Il résulte de la comparaison que M. Albrecht Weber a faite des quatre Prâtiçâkhyas parvenus jusqu'à nous qu'à en juger par la terminologie grammaticale le Prâtiçâkhya du Rig-Véda serait le plus vieux; viendrait ensuite le Prâtiçâkhya du Taittirîya Yadjour-Véda; puis

connu; et, avec des guides tels que MM. Ad. Regnier et Max-Müller, il est aisé d'en pénétrer toutes les théories, quelque nouvelles et quelque difficiles qu'elles soient. Puis, une fois que nous connaîtrons à fond un de ces curieux ouvrages, nous pourrons rapprocher tous les autres de celui-là, et en juger plus aisément la valeur respective et les diffé

rences.

Le Prâtiçâkhya du Rig-Véda se compose de trois lectures, ou trois livres, d'inégale longueur, divisés chacun en six chapitres. Nous n'examinerons dans le présent article que la première lecture, consacrée tout entière à l'alphabet et au sandhi des voyelles et des consonnes; et nous nous rappellerons, en voyant ces études si minutieuses, que, pour les Indiens, le Véda n'est pas seulement un livre révélé; il est en quelque sorte l'esprit même de Brahma, caché dans les mots dont ce livre se compose. C'est la dévotion la plus scrupuleuse et la plus intelligente qui en note les moindres nuances pour les ériger en règles grammaticales, respectées comme de véritables dogmes 1.

Après une invocation à Brahma, supérieur et inférieur2, et une courte explication de l'objet du traité, l'auteur, Çaounaka, énumère

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1

celui de la Vâdjasaneyi, dont M. Albrecht Weber a commencé l'explication; enfin le Prâtiçâkhya de l'Atharva serait le plus récent. (Indische studien, t. IV, p. 74 et suiv.) M. Albrecht Weber croit les quatre Prâtiçâkhyas antérieurs à Pânini, ibid. P. 86 et suiv. Nous profitons de l'occasion qui nous est offerte ici pour annoncer que M. Whitney, le savant éditeur de l'Atharva-Véda, prépare la publication du Prâtiçâkhya spécial de ce Véda. Il ne resterait plus à publier que le Prâtiçâkhya du Taittirîya. C'est grâce à ce pieux respect pour le texte sacré que les Védas n'ont point été altérés, et que nous les avons aujourd'hui tels qu'ils étaient dans le IV siècle avant l'ère chrétienne et très-probablement bien longtemps auparavant. Le texte a été fixé de très-bonne heure par les travaux de l'exégèse; et il est resté immuable d'une manière vraiment prodigieuse. L'esprit indien a, du moins en ceci, parfaitement atteint son but, et les écoles védiques n'auraient rendu que ce service que leurs labeurs seraient complétement justifiés. Voir M. Max-Müller, nouvelle édition du Rig-Véda, 1856, préface, page 9. Le Brahma supérieur est celui qu'on ne peut atteindre que par la méditation et la pensée; le Brahma inférieur est le Brahma que donnent les mots mêmes du Véda, le Brahma-mot, comme l'appellent les commentateurs. 3 Cette espèce d'introduction, qui annonce les matières qui vont suivre en les résumant, se compose de sept çlokas, qui offrent bon nombre d'allusions fort obscures, et qui ne tiennent pas étroitement au sujet. M. Ad. Regnier n'a pas donné cette introduction, sur laquelle, d'ailleurs, il se propose de revenir. Comme, d'un autre côté, le çloka de l'invocation et les deux çlokas de l'alphabet ne sont pas non plus comptés dans le manuscrit qu'il a suivi, il en résulte que, dans l'édition de M. Ad. Regnier, le premier chapitre se compose de 26 çlokas, tandis qu'il en a 36 dans l'édition de M. Max-Müller. — Voir, sur Çaounaka, M. Roth et M. Albrecht Weber.

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les lettres de l'alphabet. C'est l'ordre où nous les connaissons, sauf une différence insignifiante, qui met le ri après l'a, au lieu de le placer après l'ou1; et le ha, avant les sifflantes, au lieu de le mettre après 2.

Nous n'insisterons pas sur ce système merveilleux dont nous avons déjà signalé l'incomparable régularité3. Nous ajouterons seulement ici que, quand bien même ce système ne serait pas aussi ancien qu'on le croit, et ne remonterait pas, avec les Prâtiçakyas où il se trouve pour la première fois, à cinq ou six siècles avant notre ère, le mérite des grammairiens indiens n'en serait en rien diminué. A quelque époque qu'ils aient imaginé cette classification, fondée sur l'observation la plus exacte des phénomènes vocaux et des éléments de la langue sanscrite, cette classification n'en est pas moins juste; elle n'en est pas moins le seul monument de ce genre dont l'esprit humain puisse se glorifier. Toutes ces lettres, sans doute, se trouvaient déjà dans la langue avec leurs rapports si délicats et leurs influences réciproques. Mais les grammairiens ont eu la sagacité inouïe de dégager tous ces faits, et de les ranger avec une précision infaillible selon leurs affinités naturelles. Il faut admirer beaucoup un idiome constitué comme le sanscrit; mais il faut admirer presque autant la philologie attentive qui en apprécie l'inestimable valeur, et qui sait en découvrir et en mesurer toutes les beautés organiques.

Nous ne disons pas que les grammairiens grecs et latins, avec les idiomes incomplets sur lesquels ils travaillaient, pussent en, faire autant; mais la pensée de classer les lettres de l'alphabet selon les organes auxquelles elles se rapportent, ne leur est pas même venue; et, recevant d'une tradition lointaine et obscure un ordre tout fait, ils n'ont point songé à se demander ce qu'était cet ordre étrange, dont la confusion les aurait frappés pour peu qu'ils se fussent donné la peine d'y jeter les regards. Personne, dans notre monde occidental et européen, n'a pris la peine de débrouiller ce chaos, probablement parce que ce système, tel qu'il nous avait été transmis, était trop insuffisant pour qu'on pût tirer de ces débris rien de satisfaisant. Ne craignons donc pas de le ré

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1Cette position du riaprès l'a peut se justifier aisément par les rapports intimes de ces deux lettres dans le système des Indiens; ri se change très-souvent en ar, comme on sait. Ouvata, le commentateur de Çaounaka, n'a pas manqué de signaler ces différences de classification. Caounaka ajoute aussi, à la suite de son alphabet, quatre signes qui le complètent sans en faire absolument partie; aḥ (visarga), k, xp, et am (anousvaram). M. Max-Müller, page 10, remarque avec raison que l'ordre suivi par Çaounaka est différent de celui qu'adopte Pânini. - Journal —' des Savants, cahier de janvier 1857, p. 50.

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