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donnable parmi les petits larcins. A ce propos, Génin ajoute: «Il est « heureux que le mot fripe soit resté en usage parmi le peuple angevin « pour nous mettre sur la voie de la véritable origine de fripon, et qu'il «<ait été recueilli par un écrivain observateur. Combien d'autres mots, « qu'il serait aussi utile de connaître, sont disséminés au hasard dans « les anciennes provinces de France, où ils périssent obscurs et mé« prisés!» Pour confirmer son dire et déterrer quelques-uns de ces mots obscurs et méprisés, je citerai mes deux Glossaires. Le pays wallon a: friper, manger goulûment, et fripe, bonne chère, régal; et le Berry a friper, lécher la sauce d'un plat avec la langue. Rien n'est donc mieux assuré que le sens primitif de fripe ou friper, et, partant, de fripon, tant dans son acception primitive que dans son acception secondaire.

Le mauvis est un oiseau qui figure fréquemment dans les poésies du moyen âge. Là, beaucoup d'éditeurs de ces textes l'ont pris pour une alouette; trompés sans doute par le mot mauviette, ils ont attribué à celui-là le sens de celui-ci. Génin a très-bien relevé cette erreur : le mauvis est une grive. Au reste, le Dictionnaire de l'Académie, dans lequel il figure, le définit: petite espèce de grive très-bonne à manger. Si telle est la signification présente, telle aussi fut l'acception passée. C'est ce que Génin a mis hors de doute par des textes décisifs. Et cela n'était pas inutile; car il arrive que, d'un temps à un autre, comme d'une contrée à une autre contrée, le même mot sert à désigner des bêtes ou des plantes différentes. Tandis que, dans le Berry, le mauvis est une sorte de grive plus grosse que la grive ordinaire, le mâvi, dans le pays wallon, est le merle.

Quelquefois des mots très-semblables ne se laissent pas ramener à un même radical. Ewarer, en wallon, et évarié, en berrichon, sont-ils identiques dans l'origine? Leurs formes, comme on voit, sont voisines; les significations ne se rapprochent pas moins, car éwarer est rendu par troubler quelqu'un au point de le mettre hors de lui, effarer; et évarié est un adjectif qui se dit d'un malade en délire et tenant des discours sans suite. « Aussitôt qu'il a un peu de fièvre, il est évarié. » M. Grandgagnage est d'avis que éwarer est le même mot que le français égarer, qui est littéralement identique, vu que le g français est souvent rendu en wallon par un w. Égarer, à son tout, est composé de la préposition ex (provençal esgarar) et de garer, qui vient de l'ancien haut allemand warón, prendre garde. De son côté, M. le comte Jaubert hésite sur le mot qu'il a sous les yeux : il se demande s'il dérive du latin varius, ou s'il n'est pas tiré de égaré par l'intermédiaire d'une forme égairé, d'où égarié. Cette seconde supposition n'est pas admissible, car le w alle

mand se rend en français non par un v simple, mais par un g. La première, au contraire, me paraît tout à fait plausible. La forme est concordante; la seule difficulté serait de trouver, dans l'ancien français, au latin varius, des sens qui permissent le passage à celui d'évarié. Or, à l'article variare, Du Cange fournit des exemples dont on peut se servir à cet effet. Varier quelqu'un, le faire changer d'avis: se tu de chou (de cela) point me varies... Varier, contrédire laquelle femme contre le propoz et intention dudit exposant varia tant... Varietas a, entre autres, dans le bas latin, le sens de maladie, indisposition. Tout cela étant réuni, on comprend comment un composé bas latin evariatas a pu arriver à la signification de délirant.

Groseille semblera, au premier abord, un mot facile; car il a l'apparence d'un dérivé français, et l'on croirait y retrouver quelque provenance de l'adjectif gros; mais ce n'est, en effet, qu'une apparence, et nul indice ne permet de voir comment cet adjectif figurerait dans la dénomination de ce fruit. Les patois écartent d'ailleurs une telle étymologie. Le Berry dit grouselle ou groiselle; la terminaison, si le mot en lui-même ne devient pas plus clair, l'est davantage, car elle se rattache à d'autres terminaisons semblables, telles que airelle, pranelle, cenelle (c'est le fruit de l'aubépine). Le rouchi grusiéle et le wallon, gruzale, changeant la voyelle du thème, non-seulement témoignent que gros n'a rien à faire ici, mais encore indiquent de quel côté il faut se tourner. M. Grandgagnage remarque que grazale peut très-bien être considéré comme le féminin de gruzai, le wallon formant en ale beaude féminins dont le masculin est en ai. Or gruzai signifie un grêlon. L'assimilation d'un grain de groseille avec un grêlon est tout à fait acceptable, d'autant plus que gruzai et gruzale d'une part, et grêle, grélon et groseille d'autre part, sont rattachés par là à un radical allemand qui veut dire petit fragment (ancien haut allemand krioz). C'est le wallon qui, introduisant des éléments nouveaux de discussion, a suggéré à M. Grandgagnage des rapprochements tout à fait plausibles.

coup

Les mots, soit en changeant de pays, soit en changeant de siècle, s'ennoblissent ou s'avilissent d'une façon singulière. Damehele, en wallon, est, pour la structure, l'équivalent de demoiselle, mais il signifie servante de ferme qui prend soin des vaches; de sorte que dominicella, qui, bien qu'un diminutif, retient tous les attributs de dominus, est, sur le territoire wallon, la dénomination d'une domestique de ferme. Nousmêmes, qu'avons-nous fait de damoiseau, qui est dominicellus, et qui, sous la forme de danciaus ou dancel, suivant qu'il était au sujet ou au régime, tenait une place si honorable dans la langue de nos aïeux? Et

I

donnable parmi les petits larcins. A ce propos, Génin « heureux que le mot fripe soit resté en usage parmi le « pour nous mettre sur la voie de la véritable origine de «ait été recueilli par un écrivain observateur. Combien « qu'il serait aussi utile de connaître, sont disséminés a «les anciennes provinces de France, où ils périssent o « prisés! » Pour confirmer son dire et déterrer quelqu mots obscurs et méprisés, je citerai mes deux Glossaires. I a: friper, manger goulûment, et fripe, bonne chère, rég a friper, lécher la sauce d'un plat avec la langue. Rien n' assuré que le sens primitif de fripe ou friper, et, partant. dans son acception primitive que dans son acception sec

Le mauvis est un oiseau qui figure fréquemment dans moyen âge. Là, beaucoup d'éditeurs de ces textes l'ont alouette; trompés sans doute par le mot mauviette, ils celui-là le sens de celui-ci. Génin a très-bien relevé ce mauvis est une grive. Au reste, le Dictionnaire de l'Acad quel il figure, le définit: petite espèce de grive très-bo Si telle est la signification présente, telle aussi fut l'acc C'est ce que Génin a mis hors de doute par des textes a n'était pas inutile; car il arrive que, d'un temps à un d'une contrée à une autre contrée, le même mot sert bêtes ou des plantes différentes. Tandis que, dans le est une sorte de grive plus grosse que la grive ordinaire le pays wallon, est le merle.

Quelquefois des mots très-semblables ne se laissent pa même radical. Ewarer, en wallon, et évarié, en berricho tiques dans l'origine? Leurs formes, comme on voit, so significations ne se rapprochent pas moins, car éware troubler quelqu'un au point de le mettre hors de lui, e est un adjectif qui se dit d'un malade en délire et tena sans suite. «< Aussitôt qu'il a un peu de fièvre, il est évar gagnage est d'avis que éwarer est le même mot que le qui est littéralement identique, vu que le g français est en wallon par un w. Égarer, à son touf, est composé de ex (provençal esgarar) et de garer, qui vient de l'ancien warón, prendre garde. De son côté, M. le comte Jaube mot qu'il a sous les yeux il se demande s'il dérive du s'il n'est pas tiré de égaré par l'intermédiaire d'une for égarié. Cette seconde supposition n'est pas admissible,

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prendre le caractère et la valeur de la philologie

le premier article, le cahier de décembre 1857.

surtout, qu'avons-nous fait de donzelle, qui est aussi dominicella? Dans le Berry, válet (car c'est ainsi qu'on prononce, et non à tort, car le mot ancien est vaslet) se dit du serviteur du plus bas étage dans une métairie, de celui qui n'a point de charge particulière et qui est employé comme aide; et les bergères rappellent souvent leurs chiens par ce nom : « Veins-ci, mon vâlet. Teins du pain, mon vâlet.» Dans la langue littéraire valet n'a pas eu un bien meilleur sort. Et pourtant, à l'origine, qu'y avait-il de plus distingué que cette appellation? Vaslet, ou, par une substitution non rare de l'r à l's, varlet est un diminutif de vassal; vassal signifiait un vaillant guerrier, et varlet un jeune homme qui pouvait aspirer aux honneurs de la chevalerie. Au contraire mesquin, venant d'un mot arabe qui signifie pauvre, misérable, se releva d'abord; mescin, mescine, sont des termes très-souvent employés, qui signifient seulement jeune homme, jeune fille, sans aucune acception défavorable : le mescin, la mescine, pourraient appartenir aux plus grandes familles. De l'idée de pauvre et misérable, on passa à l'idée de faiblesse inhérente au jeune âge, de là le sens de mescin dans tout le cours du moyen âge. Le wallon n'a conservé que le féminin meskène, en rouchi méquéne, avec le sens de fille (filia), et aussi de servante. Dans la langue littéraire mesquin a gardé à peu près sa signification originelle.

Ici s'arrête le travail par lequel j'ai essayé de faire connaître les- Glossaires de M. le comte Jaubert et de M. Grandgagnage. Après avoir montré la distribution régulière des patois de la langue d'oïl, j'ai examiné séparément chacun des deux que j'avais sous les yeux, et finalement j'ai essayé quelques rapprochements entre l'un et l'autre, croyant qu'il y avait un certain intérêt à appeler l'attention sur l'ensemble des concordances et des discordances qui les affectent. Une excursion dans les patois est très-semblable, on peut le dire, à une excursion dans les pays où ils sont parlés, car ils doivent assurément être rangés parmi les productions qui en caractérisent le ciel et le sol. C'est une sorte de Flore qui varie avec les éloignements, et sur laquelle se marquent les différences des terrains. Le latin, cette plante exotique qui fut apportée dans les Gaules par la conquête et la civilisation romaine, prit domicile partout, mais partout aussi elle reçut l'influence locale, et donna naissance à une série régulière et bien ordonnée de familles naturelles qui se classent géographiquement. Usant des deux Glossaires comme d'un herbier abondant et rangé, on montre qu'ici telle famille se complète, que là telle famille se dédouble, que ce qui était rudimentaire et obscur en un point est développé et clair en un autre. Les zones se prêtent une lumière mutuelle. Cette comparaison des mots avec les

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