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du 14 septembre, au retour du voyage de Languedoc, 1629. Ce morceau, où l'on reconnaît la main de Cherré et une autre écriture que nous rencontrons fréquemment dans nos manuscrits, commence ainsi :

«J'arrivay à Fontainebleau le 14 septembre... » et, dans le cours du récit, Richelieu parle constamment à la première personne; il raconte, en disant : «Je faisois ceci; j'étois là.» Et puis cette relation, avec quelques changements, et tournée en style indirect, a été insérée à sa date dans les Mémoires. (Liv. XX, t. V, p. 53, éd. de Petitot.)

En tête du manuscrit de ce morceau, nous voyons cette marque

8; c'est le renvoi qui joint à la relation du retour à Fontainebleau un autre fragment placé plus loin dans ce tome Ll de la collection France; mais qui, dans l'ordre des dates, devait précéder la relation, et qu'on a mis, en effet, à sa véritable place, en l'insérant dans les mémoires manuscrits 1.

Ce dernier morceau, intitulé: Relation de l'affaire de Monsieur, touchant le dessein de son mariage avec la princesse Marie, est l'esquisse incomplète d'un récit qui se retrouve avec plus d'ordre et de développements dans les Mémoires du cardinal. Mais il y a de plus, dans notre manuscrit de la collection France, quelques détails et divers textes in extenso de lettres du roi et de la reine mère, qu'on s'est contenté d'ana lyser dans les Mémoires. Richelieu parle ici, comme dans les autres morceaux que nous venons de citer, en se servant du langage direct et des pronoms je et moi. Nous avons trouvé dans ce premier brouillon plusieurs traces de l'écriture du cardinal, et, par exemple, dans un coin de la marge du fo 200, nous lisons ces mots : Après tout faudra mettre mes premières pensées de la clandestinité. L'ensemble de la pièce est de la main de Céberet, de Charpentier et de celle de deux autres secrétaires ou copistes dont nous voyons souvent l'écriture.

Durant la guerre d'Italie, en 1630, une conférence entre le prince de Piémont et le cardinal eut lieu le 4 mars; le lendemain, Richelieu rédigea le détail de cette entrevue, sous ce titre : Relation succincte de l'entrevue du Cardinal et de M. le Prince de Piémont. Nous avons vu la minute écrite de la propre main de Richelieu, qui avait composé cette - relation dans le double but de la soumettre au roi 2 et de l'insérer

dans ses Mémoires, où elle se trouve mot pour mot. (Éd, Petitot, tome V, p. 454, 456.)

2

Manusc. A, tome V, p. 551.-B, tome IV, p. 266. Il se trouve dans l'éd. de Petitot, p. et suiv. du Vo volume. — Outre cette minute, le manuscrit contient la mise au net qui fut envoyée au roi, ainsi qu'il est prouvé par cette note, écrite au verso, de la main de Bouthillier, lequel était en ce moment auprès de Louis XIII :

Dans la recherche que nous avons faite des morceaux composés par Richelieu en vue de son histoire, nous n'avons pas dû oublier un fragment très-intéressant, publié pour la première fois par le père Griffet1, et qui commence par ces mots :

«Bien que l'année 1639 ait été mêlée de roses et d'épines, la posté* rité jugera... » Le manuscrit porte la marque incontestable du travail de Richelieu. Le P. Griffet a cru y voir une continuation du premier chapitre du Testament politique. Ce n'est point l'avis de MM. Michaud et Poujoulat, qui l'ont joint à leur édition des Mémoires de Richelieu; ce n'est point non plus le nôtre. Ce fragment, qui se rapporte aux années 1639, 1640 et 1641, nous semble avoir été composé comme une préparation pour la suite des Mémoires, dont le manuscrit original, qui se termine, comme on sait, à la fin de 1638, annonce l'année 1639. Nous nous bornerons à faire ici une simple mention de ce morceau, puisqu'il a été plusieurs fois imprimé 2.

Mais nous devons donner une attention particulière à un autre fragment, non moins curieux, qui se rapporte aussi à l'année 1639, et que nous avons trouvé dans un manuscrit de la Bibliothèque impériale, fragment qui vient confirmer tout ce que nous avons dit de la manière dont ces Mémoires ont été composés.

C'est un morceau intitulé: Projet de l'histoire des affaires d'Italie de l'année 1639 3. Il a été écrit, peut-être sous la dictée du cardinal et certainement au moins avec ses notes. On y reconnaît, non-seulement toute sa politique, mais toutes ses pensées, toutes ses antipathies, et enfin ses formes de style, la tournure et l'expression qu'il donne ordinairement à ses idées et à ses sentiments.

du lecteur.

Dans ce canevas on renvoie à tout moment au magasin de matériaux recueillis pour la composition des Mémoires, et qu'au début de ce travail nous avons mis aussi fidèlement que nous avons pu sous les yeux L'historien commence par l'exposition générale des faits, et, à mesure qu'il arrive aux détails, il puise dans ces correspondances, ces méEnvoyée par m le cardinal avec sa dépêche du 5 mars 1630.» (Arch. des aff. étr. Turin, t. XI, fo* 136 et 282.) - ' III volume du règne de Louis XIII, ou le XV dans la continuation de l'Histoire de France du P. Daniel, in-4°. Après le P. Griffet, qui avait pris ce morceau dans un manuscrit de Colbert, Marin l'a publié dans son édition du Testament politique, de 1764 (t. I, p. 60); Petitot l'a reproduit dans sa Collection de mémoires (t. XI, 2a série); MM. Michaud et Poujoulat l'ont imprimé de nouveau dans la leur (t. IX de la a'série); enfin, tout récemment, M. A. Champollion l'a joint au IV volume des Mémoires de Molé, p. 231.- Bibliothèque impériale, fonds de Saint-Germain-Harlay, t. CCCXLVII, fo 726.

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moires, ces fragments de longue main amassés; il prend partout des lambeaux qu'il coud les uns aux autres, en se bornant à changer le langage direct en récit.

Dès que le roy eut advis que les trouppes ennemies estoient assemblées et assiégeoient Chencio, sans attendre nouvelle ou de la prise ou du secours, il dépescha en diligence le s' d'Hémery vers Madame, et luy donna ordre d'aller promptement à Lyon, et y faire assembler Vide cahier Italie, p. 85 A jusqu'à B, 71'.

En mesme temps, le cardinal escrit au cardinal de la Valette qu'il feust asseuré qu'il ne seroit pas abandonné, qu'on faisoit l'impossible pour faire passer les trouppes, mais que les hommes n'estant pas des oyseaux, il n'y avoit pas moien de les faire voler. Que, pour bien conserver les Estats de Madame, il estoit du tout nécessaire Vide cahier d'Italie, p. 94 C jusqu'à 95 D.

Le cardinal de Savoye et le prince Thomas mandent cependant à dom Félix, gouverneur de Montmelian, qui avoit en sa garde le prince et les princesses, qu'il s'en alloit dans le crime Vide cahier Italie, p. 115 Ejusqu'à F. Il leur respondit très sagement qu'en conservant

jusqu'à H.

Le cardinal de la Valette luy demanda quel ordre jusqu'à K.,

Vide, p. 115

P. 116

Et ainsi de suite. Le Projet de l'histoire des affaires d'Italie, en 1639, a quarante-quatre pages in-folio, du feuillet 726 au feuillet. 747 inclusivement. Les renvois ne sont pas toujours si nombreux que dans cette première page que nous venons de copier; on trouve bien deux et trois passages sans un seul vide, mais, le plus souvent, ils reviennent après quelques lignes.

Personne ne doutera que les deux derniers morceaux que nous venons de citer ne dussent faire partie des Mémoires de Richelieu, s'il les eût continués au delà de 1638.

Nous pourrions indiquer beaucoup d'autres fragments parmi ceux qui se rapportent à une époque antérieure, et que nous avons notés dans notre examen des manuscrits du cardinal, portant la marque évidente de son propre travail, ainsi que de celui des secrétaires intimes qui écrivaient sous sa dictée, fragments que nous avons ensuite retrouvés dans les Mémoires classés à leur date, textuellement copiés, ou avec quelques modifications. Les pièces dont nous avons fait mention suffisent, et d'autres preuves ne seraient que d'inutiles répétitions.

Nous ajouterons que, parmi les morceaux ainsi intercalés dans le tissu des Mémoires et qui en font partie intégrante, quelques-uns ne sont point de Richelieu et ont été demandés ou acceptés par lui. Tout le

1F 729 v° du manuscrit de Harlay.

monde sait qu'il y avait même certains écrivains qu'il employait de préférence, soit pour préparer divers mémoires, soit pour y mettre la dernière main, et dont il adoptait ensuite le travail. «Il faisoit par d'autres « ce qu'il ne pouvoit faire lui-même; il n'épargnoit rien pour avoir à luy « des gens qui fussent capables de luy donner des extraits, » a dit Richard Simon1. Et, longtemps auparavant, le P. Le Moine, qui publia la première édition des Mémoires du maréchal d'Estrées, en 1666, vers la fin de la longue carrière du frère de Gabrielle, les fit précéder d'une lettre où il disait : « M' le cardinal de Richelieu, qui pensoit à tracer un plan « pour l'histoire de son temps, le pria de lui donner un sommaire des « choses qui s'estoient passées pendant la régence de la reine mère du «< feu roi. >> Telle fut l'origine des Mémoires de d'Estrées; et l'on voit, en effet, combien Richelieu les a mis à profit dans la composition de ses propres mémoires, pour la période de 1610 à 1617.

Cette habitude de Richelieu de s'approprier le travail et la pensée des autres allait jusque-là que telle page de ses Mémoires, que l'on devrait croire l'expression d'une pensée intime et d'une opinion personnelle, est tout simplement copiée mot pour mot dans une lettre à lui adressée.

Le marquis d'Effiat lui écrivait confidentiellement une longue missive chiffrée, sans date, mais qui doit être du 20 juillet 1630; c'étaient des plaintes secrètes sur des mécontentements, des rivalités dont d'Effiat était blessé, et il portait, avec toute liberté, son jugement sur ses collègues et sur les principaux officiers de l'armée dont il était un des généraux.

Voici un passage de la lettre du marquis d'Effiat :

Nos mareschaux de camp sont extraordinairement négligens et peu soigneux des ordres qui doivent contenir les soldats dans la bonne discipline, et de pourveoir à la seureté des logements, les campements estant la plupart si mal ordonnés, que, s'ils eussent eu un ennemi plus entreprenant, ou moins abbattu de cœur par nos bons succez, il nous eust taillé bien souvent de la besogne. Si le bonhomme M. Doriac eust eu de la force il eust bien fait, mais il estoit décrépit. Montréal a trèsbonne intention, mais peu d'intelligence; et le marquis de La Force de mesme. Le comte de Cramail a très-bon esprit et beaucoup de reigles, mais l'application ne respond pas. Feuquières est celluy de tous à qui je me fierois le mieux, et le marquis de Villeroy encore plus que luy.» (Arch. des aff. étr. Turin, tome XII, fol. 588.)

Qu'on lise maintenant les Mémoires de Richelieu, à la page 184 du tome V de l'édition de Petitot, on verra que cela est reproduit mot à mot,

1 Lettres choisies, t. I, p. 2.

et que,

bien que d'Effiat soit nommé dans cette page1, le cardinal y parle en son propre nom, et il est impossible de deviner que les appréciations qu'on vient de lire ne sont pas le jugement et l'opinion mêmes de Richelieu. Sans doute, en les donnant comme siens, il les adopte; mais il est bon d'être averti que la première pensée et l'expression appartiennent à un autre.

Les Mémoires de Richelieu nous fourniraient plus d'un exemple de pareils emprunts.

Voilà donc comment s'est trouvé composé le premier manuscrit des mémoires, que n'ont connu ni le savant oratorien auteur de la Bibliothèque historique de France, ni Fontette, le laborieux continuateur du P. Le Long, ni Foncemagne, qui, à l'occasion du Testament politique, avait si soigneusement recherché tout ce qu'on pouvait attribuer à Richelieu, ni les éditeurs des Mémoires des deux grandes collections; tous ils n'ont connu que le second manuscrit des affaires étrangères, dont nous nous occuperons bientôt2.

Malheureusement ce premier manuscrit n'est pas complet, soit qu'une partie ait été perdue, soit qu'on ne l'ait jamais terminé. Que ce manuscrit ne commence qu'en 1624, tandis que le second commence en 1610, on ne saurait beaucoup s'en étonner, puisque c'est en 1624 seulement que Richelieu prit la direction générale des affaires; mais qu'il n'aille que jusqu'en 1630 inclusivement, c'est ce qu'on ne peut expliquer que par la perte des volumes absents, ainsi que nous verrons bientôt, lorsque nous comparerons les deux manuscrits originaux des affaires étrangères.

1

Mais auparavant nous devons nous arrêter un moment sur un point

D'Effiat n'est nommé, dans le passage qui suit immédiatement celui que nous venons de citer, que pour un rapport qu'il avait adressé à Richelieu sur le duc de Montmorency; et la citation même que fait ici le cardinal de ce témoignage, à l'égard de Montmorency seul, doit induire encore plus le lecteur à croire que le jugement porté sur les autres généraux ne peut être attribué qu'à l'auteur des Mémoires lui-même. — 2 La bibliothèque historique de France, n° 21,928, désigne ainsi ce manuscrit : Histoire du cardinal de Richelieu, ou plutôt de Louis XIII, par le cardinal de Richelieu, in-folio, 8 volumes conservés au dépôt des affaires étrangères. Sous le n° 21,615, la même bibliothèque avait déjà signalé, comme déposé aussi aux affaires étrangères, un autre manuscrit : Histoire de France sous le règne de Louis XIII, ou mémoires du cardinal de Richelieu, depuis l'an 1609 jusqu'en 1630, in-folio, 4 volumes. Mais ces indications ne se rapportent point à notre manuscrit en 9 volumes grand in-folio, ainsi qu'on s'en convaincra quand on en verra la description. Si, par hasard, c'était celui-là que les auteurs de la Bibliothèque historique eussent voulu indiquer, il est évident qu'ils en parlaient sans l'avoir feuilleté, sans même l'avoir vu.

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