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description des plantes; le deuxième, de leur figure; le troisième, de leur culture; le quatrième ne comprend pas moins que les cinq sixièmes de l'ouvrage; il concerne les vertus des plantes; le cinquième a pour titre : Des mémoires que la compagnie doit donner au public sur l'histoire des plantes. Avant de parler du quatrième chapitre, qui nous intéresse tout particulièrement, nous ferons une remarque relative à trois expressions employées par Dodart; deux d'entre elles ont été admises par le Dictionnaire de l'Académie française; la troisième ne l'a pas été, mais la langue vulgaire l'a adoptée.

Les deux premières1 sont l'épithète radiées, qu'on applique à certaines flears, et l'épithète laciniées, qui se dit de certaines feuilles. La troisième expression, le verbe domestiquer, passe généralement pour être d'origine contemporaine, mais, en réalité, Dodart l'a employée dans la phrase suivante : «Nous essayerons les moyens que l'usage et des conjectures « raisonnables nous pourront suggérer, soit pour domestiquer les plantes sauvages, soit pour amender les domestiques2. » Cette citation montre qu'un membre de l'Académie des sciences, dans un livre qu'il déclarait être, non le sien, mais celui de toute l'Académie, a usé d'un mot fort employé aujourd'hui, dont l'Académie française n'a pas voulu, et, de plus, que l'Académie des sciences, dès son origine, pensait à domestiquer les plantes sauvages,

L'expression ancienne, vertus des plantes, indique la différence existante entre la manière dont on envisageait autrefois la connaissance des plantes et la manière dont on l'envisage aujourd'hui; effectivement, lorsqu'on se rappelle que le règne végétal n'avait guère fixé l'attention des anciens que dans l'espérance d'y trouver des remèdes aux maux de tous genres qui affligent l'humanité, le mot vertu se présentait naturellement pour désigner la faculté qu'ils attribuaient à une plante de guérir une maladie déterminée. Évidemment, en ce sens, le mot verta correspond au mot propriété, par lequel nous exprimons aujourd'hui tout ce que nos organes nous font apercevoir dans les corps, indépendamment de toute action thérapeutique qu'ils peuvent avoir. Quant à celles des propriétés qu'ont des plantes et en général des corps quelconques d'agir sur l'odorat et le goût, de servir à l'alimentation des corps vivants, d'exercer sur ceux-ci une action délétère, ou de servir de remèdes pour rétablir à l'état normal les fonctions troublées de l'économie organique, toutes ces propriétés, disons-nous, rentrent dans un groupe générique, auquel nous avons donné le nom de propriétés organoleptiques, afin de les dis

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tinguer des deux autres groupes génériques, comprenant les propriétés physiques et les propriétés chimiques.

Une différence bien grande encore existe entre la manière dont on étudie les plantes aujourd'hui et celle dont on les étudiait jadis : alors', quand on ne se bornait pas à en exposer les vertus, on n'en donnait qu'une description tout à fait incomplète, et telle est la cause de la difficulté actuelle de savoir précisément à quelle espèce s'appliquent les noms que les ouvrages anciens nous ont transmis. Les modernes pensent ne connaître les plantes qu'après en avoir fait une étude comparative au point de vue de la forme et de la structure anatomique des organes, ainsi qu'au point de vue des relations mutuelles de position et des fonctions physiologiques de ces mêmes organes. C'est cette étude comparative qui conduit à la classification naturelle des espèces en genres, familles, ordres et classes, ordonnée d'après la plus grande ressemblance mutuelle des plantes associées dans un même groupe. Enfin, les plantes ainsi classées doivent encore être l'objet d'un examen chimique propre à faire connaître leurs principes immédiats constituants, qui, dans leur ensemble, représentent toutes les propriétés physiques, chimiques et organoleptiques de la plante dont ils proviennent.

On voit, en définitive, que ce qui distingue essentiellement la manière dont les plantes ont été envisagées par les anciens et celle dont on les envisage actuellement, ce n'est pas seulement qu'autrefois on ne recherchait en elles que les vertas qu'elles pouvaient avoir ou celles qu'on imaginait qu'elles devaient posséder, mais encore qu'on ne les étudiait ni au point de vue de la méthode naturelle, ni au point de vue de l'anatomie et de la physiologie, et qu'en outre on faisait résider généralement ce qu'on appelait leurs vertus dans toute la plante, et non dans des principes immédiats définis, contenus dans des organes déterminés, ou constituant ces organes mêmes.

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La classification des plantes, à l'époque où Dodart écrivait, n'était pas avancée sans doute, mais quelques-unes des bases de la botanique moderne avaient été posées. Zaluzianski, en 1592, avait bien vu les sexes des plantes; Césalpin, en 1583, avait observé la situation de la fleur au-dessus et au-dessous de l'ovaire, la position de la radicule dans les graines. Enfin il avait distingué les graines à un cotylédon des graines à deux cotylédons, et des descriptions plus ou moins exactes permettaient de reconnaître les plantes, et de leur appliquer avec certitude le nom sous lequel chaque espèce avait été décrite. Nous citerons de Ecluse, en 1576, et Gaspard Bauhin, en 1596. En outre, Dodart onsidérait les descriptions des espèces de plantes, accompagnées des

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figures de leurs principaux organes, comme indispensables à l'histoire naturelle du règne végétal, que l'Académie des sciences voulait éclairer de ses propres travaux. Mais aucune idée juste sur l'analyse organique n'existait alors, et Dodart, en acceptant l'expression vertus des plantes, faisait d'ailleurs une critique parfaitement juste de la manière dont l'antiquité et le moyen âge s'en étaient servis en conséquence, il insistait sur la nécessité de constater avant tout si telle vertu, qu'on avait attribuée à une plante, y existait réellement, puis il indiquait comment on devait procéder pour en découvrir de nouvelles. Et le mot vertu était, pour lui, synonyme du mot propriété, car il l'étendait aux facultés les plantes peuvent avoir de servir à la préparation des laques, à la teinture, etc.

que

On apprécie la justesse des critiques de Dodart, lorsqu'on remonte à l'origine des vertus attribuées aux plantes par l'antiquité et le moyen âge. En effet, si l'empirisme a mis à la disposition des anciennes sociétés des plantes d'une efficacité incontestable contre certaines maladies, ainsi que, dans les temps modernes, nous avons vu les Péruviens faire un heureux usage de l'écorce de quinquina contre la fièvre, et si, conformément à ce fait, nous ne doutons pas que l'antiquité n'ait su tirer un bon usage de plusieurs plantes pour combattre certaines maladies, cependant, incontestablement, elle nous a transmis, ainsi que le moyen âge, un nombre considérable d'assertions erronées concernant de prétendues vertus des plantes, et, pour peu qu'on ait étudié l'influence exercée par les sciences dites occultes sur les peuples de l'antiquité et du moyen âge, ce résultat, loin de surprendre, a sa raison

d'être.

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S'il serait difficile aujourd'hui de remonter à l'origine de chacune des assertions erronées auxquelles nous faisons allusion, rien cependant de plus clair que les conséquences déduites de diverses opinions fondamentales de l'antiquité et du moyen âge. Certes, l'idée du ciel, du grand monde, macrocosme, corrélative de celle de l'homme, petitmonde, microcosme, d'après lesquelles des astres étaient en rapport avec des organes du corps humain, les sept métaux correspondaient aux sept planètes, etc. évidemment ces idées de macrocosme et de microcosme établissaient des relations astrologiques et alchimiques, desquelles on déduisait des vertus de certaines matières, avec nos propres organes. D'une autre part, des ressemblances de certaines plantes ou de quelques-unes de leurs parties avec quelques-uns des organes du corps de l'homme, sous la dénomination de signatures, devenaient des rapports, dont on déduisait, comme conséquence, des vertus d'après lesquelles telle

plante, sur les feuilles de laquelle apparaissent des macules blanchâtres rappelant les macules du poumon, prenait le nom de pulmonaire, et devenait un spécifique propre à guérir cet organe malade 1. Il existe plusieurs traités sur les signatures; un des plus célèbres est la Phytognomonica Jo.-Bap. Porte, qui parut en 1583, et l'un des plus curieux est le Tractatus de signatura salium metallorum et planetarum de J. R. Glauber, publié en 1658.

Dans les sciences naturelles, où la classification a une grande importance, il est tout simple qu'on insiste beaucoup sur les ressemblances mutuelles et les analogies des êtres qu'on veut classer. Mais, comme on peut aisément se laisser entraîner à en abuser, rien de plus propre, à notre sens, à prévenir les fautes, que de voir la manière dont les auteurs que nous venons de citer ont envisagé ce sujet, soit qu'il s'agisse de classer, soit qu'il s'agisse de trouver des remèdes, d'après des analogies de formes, d'aspect, de couleur, etc., en d'autres termes, d'après les apparences les plus légères, ou de simples accidents. Part exemple, Porta distinguait :

1o Des plantes douées de parties semblables à celles de l'homme : la pulmonaire, la capillaire, la dentaire, etc.

2o Des plantes douées de parties semblables à celles des animaux : la cynoglosse, la queue de cheval;

:

3o Des plantes à parties semblables aux maladies de l'homme la scrofulaire;

4o Des plantes ayant du rapport avec les astres :

Les dorées avec le soleil;

Les jaunes avec Jupiter;
Les bleues avec la lune;

Les rouges avec Mars;

Les incarnates avec Vénus;

Les livides, les vertes, les pourpres ou bleues avec Saturne;

Et les plantes de couleurs variées avec Mercure.

Et de ces rapprochements, fondés sur le principe de ressemblance, Porta concluait que la plante qui présentait une ressemblance (signature) avec une partie du corps humain était le remède, le spécifique indiqué par la Providence pour guérir cette partie affectée de quelque maladie.

Les plantes douées de quelque ressemblance de forme avec la tête de l'homme étaient spécifiques contre les maux de tête.

1

1 Phytognomonica Jo.-Bap. Porte, Rothomagi, 1650, lib. III, p. 253.

Les plantes à suc laiteux étaient prescrites comme augmentant la sécrétion du lait des nourrices.

Les plantes dont le suc est rouge étaient réputées emmenagogues.

La phytognomonie était donc, en définitive, la méthode de découvrir par des signes fixes ou variables (signatures) les qualités propres ou vertus des plantes.

Dodart parle ainsi des signatures de Porta: «Les signatures que Jean«Baptiste Porta comprend sous le nom de physiognomie des plantes «sont bien des signes purement tels; et on peut dire qu'il n'y aurait «rien à souhaiter dans ces signes (au moins dans ce qui regarde l'usage, « qui est bien d'une autre conséquence que la spéculation), s'ils n'étaient « au moins aussi douteux qu'ils paraissent véritables à ceux qui se sont << voulu rendre célèbres par cette opinion. »

་་

Le premier alinéa du Tractatus de signatura de Glauber suffit pour montrer toute l'importance qu'il attribuait aux signatures. Après avoir dit que Dieu a marqué de signes certains toutes ses créatures grandes et petites, afin que l'homme vît de ses yeux tout ce qui est utile au genre humain; que les herbes, les fruits, les arbres, les animaux qui habitent la terre, les eaux et l'air, et l'homme lui-même, ont été marqués du signe qui nous les rend utiles, il résume ses idées par ces mots : « C'est vraiment cette écriture divine, inscrite sur toutes choses «par le doigt de Dieu, qui nous apprend la nature de toutes choses. >>

En définitive, si les signatures avaient quelque certitude, elles seraient le moyen le plus simple de faire saisir à la vue le système des causes finales.

Dodart se prononce encore contre Galien et ceux qui prétendent que les vertus des plantes se déduisent du système des quatre qualités et des quatre tempéraments, qu'ils accordent aux plantes, tempéraments, ajoutent-ils, qu'on peut déduire de leurs saveurs respectives.

Enfin Dodart, le premier ou un des premiers, fit remarquer, dans un ouvrage spécial du ressort des sciences naturelles, qu'il n'y a rien à tirer, pour le progrès de ces sciences, des distinctions faites par ies aristotéliciens relativement à ce qu'ils ont appelé la matière, les qualités et les formes. Sous ce rapport, il s'éloigne beaucoup de Van Helmont, qui, quoique ardent adversaire d'Aristote, après avoir distingué la matière qui tombe sous nos sens en éléments, l'eau et l'air, en productions séminales comprenant les trois règnes, parle des formes comme en étant absolument différentes1.

1 Journal des Savants, pages 137-147

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